Au départ, des articles ont rapporté que dans la ville de Wuhan un marché de produits de la mer de plein air vendant aussi des animaux domestiques et sauvages pourrait avoir été le point de départ de l’épidémie, étant donné qu’une partie des premiers cas s’y étaient rendus. Les autorités locales ont immédiatement fermé le marché et les médias n’ont pas tardé à pointer du doigt les « marchés de produits frais » et la tradition qui consiste à manger des animaux fraîchement abattus comme la cause de cette épidémie et d’autres épidémies mondiales.
Cependant, il est de plus en plus clair que le marché de Wuhan n’est peut-être pas la source de la flambée initiale de la maladie chez les humains. Un article publié dans The Lancet par un groupe important de chercheurs chinois a étudié les 41 premiers cas de patients hospitalisés pour une contamination confirmée au coronavirus. Ces chercheurs ont trouvé que le premier cas « est tombé malade le 1er décembre 2019 et qu’il n’avait aucun lien établi avec le marché aux fruits de mer. » Au total, 13 des cas initiaux examinés n’avaient aucun lien avec le marché. « Treize, sans lien, cela fait beaucoup, » déclare Daniel Lucey, spécialiste des maladies infectieuses à l’Université de Georgetown. 1
« Si l’on en juge par l’ensemble de la situation, le marché aux produits de la mer n’est peut-être pas la seule source ou bien l’origine du nouveau coronavirus peut être multi-source, » explique Huang Chaolin, directeur adjoint de l’Hôpital Jinyintan de Wuhan. Pour Huang, les endroits où le virus a été transmis pour la première fois aux humains peuvent être multiples. 2
Les marchés de produits frais sont extrêmement communs et ont une longue histoire dans beaucoup d’endroits en Asie. On y vend de la viande fraîche, du poisson, des légumes et des fruits frais et d’autres denrées périssables. Sur ces marchés, des centaines voire des milliers de commerçants se mêlent aux paysans et aux pêcheurs qui amènent leurs denrées à vendre. Les marchés de produits frais représentent une source importante d’aliments et de viande frais à un prix abordable pour une majorité des citadins. Il est rare qu’on y vende des animaux sauvages.
Ce sont les vendeurs de rue et les petits paysans dépendant des marchés de produits frais pour vendre leurs produits qui subissent les conséquences quand les autorités accusent ces marchés de provoquer de nouvelles épidémies. C’est ce qui s’est passé il y a une dizaine d’années avec la grippe aviaire et la peste porcine, quand les gouvernements ont commencé à fermer les marchés de produits frais. Mais le fait est que ces marchés existent en Asie depuis des milliers d’années sans avoir provoqué le genre de pandémies qu’on peut voir aujourd’hui.
Ce qui a changé, c’est la manière dont on élève les animaux dans des fermes-usines et la façon dont la viande est transformée et vendue dans les chaînes de production de masse mondialisées. C’est ce système industriel de production de viande qui a généré et propagé les pandémies sans précédent de grippe aviaire, peste porcine et peste porcine africaine de ce siècle. 3
Et il est tout à fait possible que ce système soit lié à l’épidémie actuelle de coronavirus. De fait, en 2008, un autre nouveau coronavirus, connu sous le nom de SADS [diarrhée épidémique porcine] a démarré dans une ferme porcine en Chine et a anéanti tout le lot de 24 000 porcelets. 4 Des tests de laboratoire ont montré que la maladie avait évolué à partir du virus de la diarrhée épidémique porcine, qui est lui-même un produit de l’élevage industriel, et qu’elle était transmissible aux humains. Par chance il n’y a pas eu à ce jour de transmission du SADS aux humains, mais une fois de plus, le cas a montré comment des virus potentiellement pandémiques peuvent évoluer dans la promiscuité inhérente aux fermes industrielles.
Les affirmations infondées sur la responsabilité des marchés de produits frais en matière de transmission des maladies aux humains ont déjà causé d’immenses dommages économiques pour ceux qui travaillent et dépendent de ces marchés pour leur subsistance et leur sécurité alimentaire. Ce journalisme irresponsable est souvent empreint de l’idée tendancieuse que les supermarchés occidentaux avec leur lumière artificielle et leur atmosphère stérile sont mieux et plus sûrs que les marchés de produits frais. De tels stéréotypes peuvent facilement servir d’arme politique pour consolider la domination des chaînes d’approvisionnement mondiales et décimer les petits paysans et commerçants.
****
Notes :
[2] Xinhua, “Wuhan seafood market may not be only source of novel coronavirus: expert “, 29 janvier 2020, http://www.xinhuanet.com/english/2020-01/29/c_138741063.htm
[3] L’époque des virus – La politique des maladies émergentes dans le monde , 2008: https://grain.org/fr/article/770-l-epoque-des-virus-la-politique-des-maladies-animales-emergentes-dans-le-monde ; Un système alimentaire qui tue : la peste porcine, dernier fléau de l’industrie de la viande, 2009: https://grain.org/fr/article/197-un-systeme-alimentaire-qui-tue-la-peste-porcine-dernier-fleau-de-l-industrie-de-la-viande ; et un rapport de GRAIN à venir sur la peste porcine africaine (mars 2020).
[4] Melody Schreiber, « A Novel Virus Killed 24,000 Piglets In China. Where Did It Come From? » NPR, 4 avril 2018: https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2018/04/04/599179621/a-novel-virus-killed-24-000-piglets-in-china-where-did-it-come-from
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca