Le mot « sexe » fait rigoler bien des enfants. Surtout entre 7 et 10 ans, quand ils ne sont ni des bambins ni des ados. Dans Sexe ce drôle de mot, publié aux éditions Dent-de-lion, Cory Silverberg réussit à parler de sexualité, de genre et d’abus aux enfants avec beaucoup d’ouverture, sans les infantiliser – ni les faire grandir trop vite. Analyse en huit points.
Accompagner Zai, Sacha, Mimi et Omar
« Notre objectif, c’est d’inciter les familles à avoir des conversations », indique Cory Silverberg, éducateur spécialisé en sexualité de Toronto. « On s’est demandé comment continuer d’avoir une conversation sur le corps, le consentement, le genre et le toucher quand on a un enfant de 7 ou 8 ans. » La trouvaille de Sexe ce drôle de mot, c’est de passer par quatre personnages – Zai, Sacha, Mimi et Omar, âgés de 8 à 10 ans –, dessinés par Fiona Smyth (illustratrice née à Montréal). Grâce à eux, le lecteur se sent à hauteur d’enfant, tout au long des 159 pages du livre.
De quoi sont faits les bébés ?
Cory Silverberg a d’abord publié De quoi sont faits les bébés ?, album sur la conception et la gestation qui s’adresse à toutes les familles – pas seulement à celles où maman et papa ont procréé sous la couette. « Je suis queer et beaucoup de mes amis sont trans, explique Cory Silverberg. Quand ils ont commencé à fonder des familles, à avoir des bébés, il était très clair qu’il n’y avait aucun livre sur la conception qui leur convenait. » De quoi sont faits les bébés ? réussit un tour de force : s’harmoniser tant aux familles qui ont adopté qu’à celles qui ont fait appel à la procréation assistée, tant aux parents seuls qu’aux parents de même sexe, hétérosexuels, etc.
« Parties du milieu »
Dans Sexe ce drôle de mot, les parties intimes sont rebaptisées « parties du milieu ». Pourquoi ? « On a inventé ce terme, répond Cory Silverberg. Je n’aime pas les mots private parts (parties intimes, en anglais), et beaucoup d’autres éducateurs en sexualité partagent mon avis. Parler de parties intimes, ça peut être nocif, car les enfants apprennent que c’est seulement si quelqu’un touche leurs parties génitales qu’ils peuvent s’inquiéter. En fait, quand il y a un sévice sexuel, ce sont souvent d’autres parties du corps qui sont d’abord touchées : l’épaule, les cheveux… On veut que, peu importe où il est touché, s’il sent que c’est bizarre ou mal, l’enfant écoute son sentiment et en parle. »
Le pénis ne fait pas le garçon
« Avoir un pénis n’est pas ce qui fait de toi un garçon. Avoir une vulve n’est pas ce qui fait de toi une fille. La vérité est bien plus intéressante que ça ! », lit-on dans Sexe ce drôle de mot. Bien des enfants – et des parents – seront étonnés devant pareille affirmation. « Mais c’est vrai, rétorque Cory Silverberg. Par exemple, si quelqu’un est né avec un pénis, mais qu’il a un accident et doit se le faire amputer, il reste un garçon. Si une femme a une hystérectomie, elle reste une femme. » En pratique, « cette page du livre est vraiment importante pour les enfants qui se posent des questions, pour qui ces choses-là ne sont pas évidentes, observe Cory Silverberg. Et elle ne dérange pas les autres. »
L’ambivalence de Zai
Dans l’une des bandes dessinées de Sexe ce drôle de mot, l’enseignant d’éducation physique demande aux élèves de se mettre en ligne, les garçons à droite et les filles à gauche. Le personnage de Zai ne sait pas où aller. « Si tout le monde est différent, comment peut-il y avoir seulement deux sortes de personnes ? », demande son ami Omar. Jamais Zai n’est étiqueté comme queer ou trans, mais son malaise est palpable. « Beaucoup d’enfants vont s’identifier à cette situation, parce qu’ils sentent qu’ils ne cadrent pas, dit Cory Silverberg. Notre approche, c’est de montrer qu’il existe beaucoup de configurations différentes. »
Pas de relations sexuelles
Étonnamment, ce livre innovateur est chaste : il n’évoque même pas les relations sexuelles. « L’activité sexuelle la plus commune chez les 7 à 9 ans, c’est la masturbation, fait valoir Cory Silverberg. Nous parlons donc de masturbation et d’avoir le béguin pour quelqu’un. Dans notre prochain livre, qui s’adresse aux 10 à 12 ans, on aborde les baisers et les rapports sexuels. »
« Avant-gardiste »
Sexe ce drôle de mot est « avant-gardiste », selon Sandrine Bourget-Lapointe, de la librairie féministe L’Euguélionne, à Montréal. Il fait « preuve d’une réelle ouverture aux différentes réalités sans les hiérarchiser, que ce soit par rapport à l’orientation sexuelle, l’identité de genre ou la représentation raciale, analyse-t-elle. Il réussit ça notamment grâce à un langage dégenré et non sexiste – les illustrations vont dans le même sens. Il montre que tous les corps sont uniques, comme les goûts, et que la communication et le respect doivent être au centre de tous nos rapports aux autres. »
Censuré
La version anglaise du livre (Sex Is a Funny Word) a figuré au palmarès des 10 livres les plus contestés de l’Association des bibliothèques américaines, en 2017. « C’est probablement parce qu’il y a le mot “sexe” dans le titre, estime Cory Silverberg. Je ne suis pas sûr que les parents qui portent plainte ont vraiment lu le livre… Il reste qu’ils comprennent que j’ai voulu offrir quelque chose de différent. Certaines personnes n’aiment pas ça. Elles veulent qu’on dise clairement qu’il y a d’un côté les hommes, et de l’autre, les femmes, qu’un garçon est ceci, et une fille, cela. Mais ce n’est pas vrai. L’un de mes buts, c’est d’écrire que ce qui est vrai. »
De quoi sont faits les bébés ?, texte de Cory Silverberg, illustrations de Fiona Smyth, traduction de Rachel Arsenault, éditions Dent-de-lion. Dès 3 ans.
Sexe ce drôle de mot, texte de Cory Silverberg, illustrations de Fiona Smyth, traduction de Rachel Arsenault, éditions Dent-de-lion. Dès 7 ans.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec