Le baril de brut échangé à New York, le WTI, a connu lundi sa pire chute depuis la première guerre du Golfe en 1991. En cause : la décision de l’Arabie saoudite de baisser considérablement, et unilatéralement, le prix de son or noir, après l’échec de négociations en fin de semaine dernière avec la Russie. Moscou avait alors refusé de baisser de nouveau sa production de brut, ne souhaitant pas perdre du terrain face aux États-Unis, qui inonde le marché mondial avec leur pétrole de schiste.
Les producteurs américains ont profité de nouvelles techniques de fracturation hydraulique et de forage horizontal, souvent décriées par les défenseurs de l’environnement, pour multiplier depuis une dizaine d’années les puits au Texas, au Nouveau-Mexique, dans le Dakota du Nord ou en Pennsylvanie.
Le secteur « ne va pas disparaître » avec la dernière chute des prix, prédit Andrew Lebow, spécialiste du marché de l’énergie pour Commoditiy Research Group. « Mais il est certain qu’on se dirige vers une période difficile », ajoute-t-il. « Si on reste autour des 30 $US le baril, certaines entreprises risquent l’extinction. »
Les majors pétrolières, qui sont arrivées plus tard dans l’exploitation du schiste mais y ont récemment pris de l’ampleur, pourront résister, estime l’expert. Elles chutaient en tout cas lundi à la Bourse de New York, ExxonMobil chutant de 8 %, Chevron de 13 % et ConocoPhillips de 23 %. Les compagnies américaines plus spécialisées dans le schiste, Chesapeake Energy (-19 %) et Whiting Petroleum (-33 %) étaient aussi punies lourdement.
Le boom du schiste, qui a permis aux États-Unis de devenir le premier producteur mondial d’or noir devant la Russie et l’Arabie saoudite, a aussi nécessité des milliards de dollars que banques et investisseurs, avec des taux d’intérêt particulièrement bas, ont généreusement accordés. Résultat : les sociétés d’exploration et de production aux États-Unis et au Canada ont environ 86 milliards de dollars de dette à rembourser entre 2020 et 2024, selon un rapport de l’agence Moody’s dévoilé mi-février. Et 62 % de cette dette est considérée comme spéculative, ajoute Moody’s.
« Il doit sûrement y avoir beaucoup de conversations enflammées actuellement entre les producteurs et les banques, des négociations sur un possible prolongement de leur dette », avance M. Lebow. Il est difficile selon lui de fixer un seuil moyen en dessous duquel le baril n’est plus rentable, chaque entreprise fonctionnant différemment. « Mais il est clair que plus l’entreprise est grande, plus ce seuil est bas dans la mesure où elle a un accès à un crédit moins cher et qu’elle peut faire des économies d’échelle », explique-t-il.
Le prix de revient dépend par ailleurs de la localisation des puits, soulignent les analystes de JPMorgan Chase. Selon leurs calculs, il se situe à environ 45 $US le baril dans le bassin Midland au Texas, ou à environ 55 $US dans le bassin du Delaware. Si le baril reste en dessous de 45 $US, cela devrait ralentir la croissance de la production.
Et « contrairement à ce qui avait pu se passer lors de précédentes périodes aux bas prix, comme quand le baril évoluait sous les 30 $US début 2016, les sociétés devraient (cette fois-ci) utiliser leurs liquidités pour rémunérer leurs actionnaires plutôt que de défendre des niveaux spécifiques de dépenses d’investissement par rapport aux volumes ». En 2016, la demande paraissait encore très solide, contrairement à la forte baisse attendue en 2020 à cause de l’épidémie de COVID-19, et la marge de progression était encore grande. Quand les cours ont de nouveau fléchi fin 2018, les compagnies pétrolières ont répondu par de fortes mesures d’économies pour répondre aux inquiétudes des investisseurs.
Leur situation financière est aujourd’hui plus précaire. Pour Andy Lipow, du cabinet Lipow Oil Associates, il ne faut pas non plus oublier la situation fragile de « toutes les entreprises de sous-traitance ou de services » associées au secteur, souvent encore plus petites.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec