N’y a-t-il pas une illusion à croire que l’anglais est une priorité absolue ? Les jeunes rêvent de réussite professionnelle et d’un bon statut social. La possibilité d’explorer le monde est pour eux essentielle. Or, il n’est pas nécessaire de parler anglais « sans accent » ou avec une aisance totale pour accéder à une carrière de haut niveau, ni pour être citoyen du monde. Le Québec et le monde sont peuplés en vaste majorité de non-anglophones, qui parlent anglais comme ils le peuvent, avec une multiplicité de beaux accents !
De nombreux francophones qui choisissent les études en anglais semblent ne pas réaliser que cela entraînera un désavantage pour leur réussite scolaire et universitaire. Qu’on le veuille ou non, notre langue maternelle nous définit. C’est en parlant le français que nous sommes à notre meilleur. Devenir un parfait bilingue est un objectif qui a un prix. Certains étudieront en anglais sans jamais le maîtriser parfaitement. Ils deviendront moins à l’aise dans leur langue natale sans vraiment en gagner une autre. Un désastre !
Nous laissons s’assoupir une partie de nous-mêmes qui nous inscrit dans la longue durée. Le mouvement massif vers l’anglais ne peut être sans conséquences pour l’avenir du Québec. Ne préparons-nous pas une société où parler anglais « sans accent » sera obligatoire pour avoir du succès ? N’y aura-t-il pas une certaine exclusion de ceux qui ne parlent pas assez bien l’anglais ? Ne sommes-nous pas déjà en train de trahir les immigrants qui ont choisi de devenir Québécois en croyant que leur maîtrise du français serait un atout ? Nous nous dirigeons vers une société où les anglophones n’auront plus besoin d’apprendre le français, tandis que les francophones devront travailler dur pour vivre chez eux une langue qui n’est pas la leur. […]
Continuons donc à parler anglais imparfaitement, avec notre accent français, créole, maghrébin, ou autre. Cela est maintenant facile, dans cette mondialisation où règne un anglais simplifié. Continuons aussi d’offrir aux anglophones ce luxe que les francophones hors Québec n’ont pas : des institutions d’enseignement supérieures dans leur langue minoritaire. Mais de grâce, ayons le courage de faire le nécessaire pour que nos cégeps et nos universités restent vraiment francophones, non bilingues, et qu’ils retrouvent les milliers d’étudiants perdus. Étendre la loi 101 aux cégeps est une solution légitime et réaliste. Ceux qui la rejettent ont le fardeau de proposer quelque chose de plus efficace. La langue française est en Amérique à un tournant de son histoire. Nous pouvons imaginer qu’elle n’est qu’un poids mort, et la laisser dépérir, ou retrousser nos manches pour faire durer l’aventure quelques siècles de plus.
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