L’avocat des causes sionistes (Charlie, Halter, Valls, Mila) a répondu (un peu à côté) aux questions qui nous brûlaient les lèvres. Globalement, comment un avocat défenseur de la liberté d’expression peut-il soutenir la liberté d’expression des uns et pousser à la condamnation de celle des autres ? On a essayé de lui extirper une explication sur ce deux poids, deux mesures, vous allez voir que ça a été extrêmement difficile : il y a un mur mental – ou politique – que Richard n’arrive pas à franchir. Ou à détruire.
Alors, Richard, comme ça tu défends Mila ? C’est parce que tu es sioniste ou parce qu’elle est islamophobe ?
On ne menace pas de mort une personne pour ses propos même quand celle-ci a mis en cause l’existence d’Allah ou de tout autre dieu. De telles menaces doivent être condamnées sans tergiverser, sans « oui mais », sans chercher des excuses aux auteurs des menaces et sans dériver sur d’autres débats.
Tu veux dire le débat sionisme/antisionisme ?
Notre faiblesse, nos renoncements sur des valeurs qui devraient pourtant être évidentes et universelles, font le jeu des ennemis de la démocratie. Si tous les journaux avaient publié les caricatures de Mahomet, non parce qu’ils y adhéraient mais au nom de la solidarité avec ceux qui étaient menacés de mort, Charlie ne serait pas devenu une cible. Il y a des lâchetés qui créent de l’insécurité et ensuite, du sang qui coule. Certains enjeux supérieurs méritent que l’on mette de côté nos divisions, nos désaccords et même nos croyances.
Si on te suit, si toute la presse française avait été islamophobe en 2006, Charlie n’aurait pas été la cible d’un attentat en 2015, c’est bien ça ?
Je n’ai jamais eu la moindre illusion. Je suis un observateur de ces questions depuis longtemps et je n’ai jamais eu l’espoir que la tragédie de Charlie arrange quelque chose. Bien au contraire, je savais que cela ne ferait qu’enrager davantage ceux qui ne sont pas Charlie, ceux pour qui les millions de manifestants du 11 janvier représentaient la « France moisie ».
Ceux qui ne sont pas Charlie sont donc des enragés… Il n’y a pas d’enragés chez les Charlie ? Nathalie Saint-Cricq, qui voulait dénoncer « ceux qui ne sont pas Charlie » ? Meyer Habib ? Alain Finkielkraut ? C’est pas des enragés, ça ?
Sur la ligne de front de la liberté d’expression, la justice tient bon mais aucun droit n’est jamais acquis pour l’éternité. Il faut se battre, en l’occurrence pour conserver le précieux droit de critiquer le ciel !
Tous les ciels ? Le ciel chrétien, le ciel musulman, et aussi le ciel juif ?
Vous savez, il y a une chose dont je suis sûr et si ça peut servir à une seule personne lisant cet article j’en serais heureux : quand on se vit en victime, on devient victime, quand on se vit en personne discriminée, on devient discriminé, quand on choisit de vivre au travers de sa seule susceptibilité, tout devient insupportable. Accepter de se confronter à la diversité des opinions est une condition pour être libre soi-même, c’est une nécessité pour ne pas sombrer dans le dogmatisme.
Tu sais quelle communauté a inventé et exploité en France le concept et le filon de la victimologie ? Tu veux vraiment qu’on te le dise ? Toi, tu parles de la victimologie musulmane, tu ne crois donc pas au concept d’islamophobie ? Pourtant tu crois à celui d’antisémitisme…
Des acteurs de la laïcité – de plus en plus souvent des personnes de culture musulmane, d’ailleurs – sont poursuivis par des associations comme le CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France) sur ce terrain. Ils veulent faire taire toute critique à leur encontre. C’est un combat quotidien. Cette arme politique qu’est l’argument de l’islamophobie fait des ravages et les mentalités sont déjà profondément influencées, en particulier celles des jeunes. Pour moi, désolé de le dire mais la peur de l’islam comme de toute autre religion est un devoir. Je ne méconnais évidemment pas l’apport des religions dans la culture humaine mais c’est comme dans un mariage, il y a le meilleur et le pire. En matière de religion, on ne m’enlèvera pas le droit de m’en méfier terriblement.
Tu te méfies donc du judaïsme, c’est honnête de le dire. Enfin, tu ne le dis pas, tu le sous-entends, n’est-ce pas ? On peut donc blasphémer contre le judaïsme, si on suit ton raisonnement ?
Je ne suis pas un extrémiste de la liberté d’expression mais je m’interroge depuis longtemps sur ce qui serait le meilleur système possible. Nos systèmes européens sont assez équilibrés autour d’un principe de liberté contrebalancé par un ensemble de restrictions (diffamation, incitation à la haine raciale, répression du négationnisme…). Le système américain ne connaît qu’un principe de liberté sauf pour des propos vraiment extrêmes appelant à commettre des crimes.
En termes d’efficacité, je ne suis pas sûr que notre système soit meilleur. Il y a des effets contre-productifs et l’efficacité des lois contre le racisme et l’antisémitisme est relative. Alain Soral et Dieudonné ont été condamnés à de multiples reprises, comme bien d’autres propagateurs de haine, et cela n’empêche pas leur business de prospérer. Mais d’un point de vue culturel, compte tenu du poids de l’Histoire notamment – c’est en Europe et pas aux États-Unis qu’a eu lieu la Shoah – il est impossible de procéder autrement dans notre pays.
Mince, le « poids de l’Histoire » comme tu dis vient contrebalancer tes vœux pieux de liberté de blasphémer. C’est pas de chance pour les chrétiens et les musulmans, qui eux ne bénéficient pas de ce sacré poids de l’histoire. Tu crois pas qu’il faut déconstruire la loi Pleven et les lois dites « mémorielles » qui ont suivi et qui ont bousillé la liberté d’expression chez nous ?
La loi Pleven date de 1972. Ces lois sont dans notre paysage depuis 50 ans déjà. Je ne vois pas quel parti politique, quel gouvernement pourrait décider de supprimer les lois contre le racisme.
Euh, en l’occurrence c’est contre l’antisémitisme ; le racisme des autres, le parlementaire semble s’en foutre !
Et pour mettre quoi à la place comme outil de régulation des propos haineux ? Aux États-Unis, il n’y a pas de loi mais il existe une autorégulation qui n’a rien à voir avec le système français. Il y a une morale religieuse, sexuelle et une culture du politiquement correct institutionnalisée qui nous a longtemps été étrangère… Je ne pense pas souhaitable de s’aligner sur le modèle américain mais pour autant, n’imaginons pas que c’est en multipliant les délits de presse que nous résoudrons la question de l’antisémitisme et du racisme.
Tiens, toi aussi tu sépares les deux ! Il y a le grand et le petit racisme, le racisme intolérable et le racisme tolérable, curieux dans la bouche d’un avocat, tu trouves pas ? Quand Soral et Dieudonné dénoncent le sionisme meurtrier, c’est de la haine. Quand Zemmour défonce les Noirs et les Arabes, c’est de la liberté d‘expression et il faut la défendre, c’est ça ?
J’ai souvent pris sa défense dans les médias, toujours par détestation de la censure. D’autant plus que les pétitions contre lui viennent souvent de journalistes qui devraient être les premiers à défendre la liberté d’expression. Pour autant, je ne défendrais pas Zemmour dans l’enceinte d’un tribunal car, dans mon domaine, il s’agit autant de défendre une personne qu’une cause. Mais pour défendre une cause à travers une personne, il faut être en osmose totale avec son client. Il faut être en adéquation, en résonance. L’éloquence n’a rien à voir avec le talent oratoire mais avec le fait que l’on parle avec ses tripes et son cœur. Or, mes divergences sur le fond sont trop fortes avec Éric Zemmour pour que j’y parvienne et donc pour que je puisse l’assister judiciairement.
De toute façon Zemmour peut tout dire, il n’ira jamais en taule et aura toujours plusieurs fenêtres de tir médiatiques. Cependant, sur le Net c’est pas comme dans les médias dits mainstream, t’as conscience que le rapport de force ou d’opinion est inversé ?
Il faut civiliser Internet mais ce mouvement prendra des décennies. Il existe des tentatives imparfaites mais aucun pays n’a trouvé la solution. L’anonymat, l’extraterritorialité des grands acteurs, l’absence de responsabilité, l’immunité, la violence, posent des problèmes nouveaux à l’échelle de l’humanité qui tâtonne pour les résoudre. C’est une évolution anthropologique.
Et la violence des médias mainstream qui appellent à la guerre ? Les tribunes de BHL dans Le Monde qui justifie le bombardement de la Libye et l’exécution de son chef historique avec le soutien de Sarkozy ? C’est pas de la violence, ça ? Avec en plus l’immunité oligarchique ? À notre connaissance, les internautes n’ont détruit aucun pays ni tué personne…
Le chaos s’ordonnera mais entre-temps il peut y avoir des conflits et il y a des victimes, des gamines harcelées, des personnes lynchées, sans parler de l’essor exponentiel du conspirationnisme et du racisme. C’est un facteur de déstabilisation complet de notre écosystème civilisationnel, de notre urbanité et de notre civilité.
Les dirigeants des régimes ou de spouvoirs profonds ultramilitarisés et ultraviolents occidentaux font croire que la haine est sur l’Internet, ça les arrange bien ces salauds ! On est sûrs que tu vas nous dire que la loi Avia anti-haine est une bonne loi, hein ?
- Laetitia N’Avia
Cette loi peut avoir des effets pervers colossaux, en particulier en matière de politiquement correct. Par exemple, les GAFA, les grands acteurs d’internet, ne voulaient pas diffuser Charlie, ce n’était pas dans leur culture. La satire se heurte à l’idéologie anglo-saxonne. Mais en même temps, nous savons que les dérapages numériques ne peuvent pas se résoudre judiciairement. Face à un déferlement de 100.000 tweets haineux, il est impossible de poursuivre tous les responsables. Les solutions ne peuvent donc pas être uniquement judiciaires. Il faut en inventer d’autres. Confier la régulation à un algorithme en Californie n’est peut-être idéal, mais la confier au CSA serait probablement pire…
N’empêche que toi et les tiens vous avez que le mot « régulation » à la bouche, qui pour nous veut dire contrôle, répression, censure. Vous voulez réguler les propos de ceux qui ne pensent pas comme vous ? C’est pas ça la France, Richard… Si tu la connaissais, si tu l’aimais vraiment, tu comprendrais que c’est pas jouable, à terme.
Ce qui unissait ce pays était cette idée fondatrice de l’universalité. Elle a induit la Révolution, puis la Troisième République et les grandes lois républicaines en particulier celle de 1881 sur la liberté d’expression et celle sur la laïcité en 1905. Cet édifice est entièrement remis en cause. Un pays, c’est comme un journal, ça peut se résumer à une idée. Notre idée s’affaiblit et tout se fragmente dans une atmosphère de guerre civile permanente car nous avons renoncé à affirmer nos vieilles et belles valeurs républicaines et unificatrices. Mais vous savez, tout dépend de nous. Nous, journalistes, avocats, présidents d’université, acteurs publics, parents, votants, adhérents syndicaux, citoyens…Einstein avait comme toujours raison : si le monde est dangereux à vivre, ce n’est pas à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.
Super, ton inversion accusatoire : ce sont maintenant les innocents qui sont coupables des actions des salauds ! Si la Palestine est dangereuse à vivre, ce n’est pas à cause des assassins israéliens, c’est ça ? Richard ? Allo ?
Richard Malka au Grand Oral des Grandes Gueules en avril 2019
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation