Pourquoi perdre une seule semaine de plus avant de lutter sérieusement contre Covid-19 ?

Pourquoi perdre une seule semaine de plus avant de lutter sérieusement contre Covid-19 ?

Cela pourrait coûter 1 000 vies en France


Par Alexis Toulet − Le 5 mars 2020 − Source Le Nœud Gordien

Hypothèses optimiste / pessimiste concernant le taux d’augmentation de l’infection au Covid-19 en France dans les 15 prochains jours et leurs conséquences, ou pourquoi les élections municipales vont nécessairement être reportées, et pourquoi perdre ne serait-ce qu’une seule semaine de plus avant de lutter sérieusement contre Covid-19 pourrait coûter 1 000 vies en France.


Le gouvernement l’a encore assuré aujourd’hui 5 mars

Les élections municipales auront bien lieu les 15 et 22 mars

On s’attachera à examiner le degré de réalisme ou d’aveuglement de cette affirmation, ce qui sera l’occasion de mettre à jour des conséquences bien plus graves pour la vie des citoyens qu’un éventuel report des municipales – et l’urgence absolue pour le gouvernement de cesser la politique consistant à agir « au minimum et pas au maximum », politique qui est en fait celle du « trop peu, trop tard »

Voici :

  • Le tableau des cas de Covid-19 détectés en France dans la période du 25 février au 5 mars
  • Le taux quotidien d’augmentation correspondant
  • La projection en « hypothèse optimiste » c’est-à-dire avec un taux moyen équivalent à celui de la Chine entre 26 janvier et 11 février c’est-à-dire 21% quotidiennement
  • Pourquoi c’est optimiste : des mesures de restriction de circulation à grande échelle avaient déjà commencé d’être implémentées en Chine dès le 22 janvier, avant la période qui a servi à calculer un taux moyen, tandis qu’elles n’ont pas encore été initiées en France
  • La projection en « hypothèse pessimiste » c’est-à-dire avec un taux moyen équivalent à celui de l’Italie entre 26 février et 5 mars c’est-à-dire 33% quotidiennement
  • Pourquoi c’est pessimiste : cela supposerait que le gouvernement non seulement continue à négliger l’expérience de la Chine, mais qu’il néglige encore celle de l’Italie. Or, c’est la voisine de la France donc un exemple d’autant plus convaincant des conséquences d’une réaction « trop peu, trop tard », ce qui pourrait inciter le gouvernement à réagir à la hauteur de l’enjeu dans les tous prochains jours
  • En orange, la date du 5 mars, base de la projection

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La projection est arrêtée au 22 mars soit dans un peu plus de deux semaines, car projeter plus dans l’avenir aurait moins de sens étant donné que la lutte contre l’épidémie pourrait commencer vraiment entre temps, ce qui réduirait fortement la progression du virus et finirait sans doute par la stopper, comme cela s’est passé en Chine.

Ici la visualisation graphique des hypothèses sur le taux d’augmentation quotidien – orange version « Chine » optimiste, vert version « Italie » pessimiste.

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Et la visualisation graphique des conséquences en nombre de cas détectés – version « Chine » optimiste, version « Italie » pessimiste

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Dans l’hypothèse optimiste, la France compterait environ 3 000 cas au 15 mars la date actuellement prévue pour le 1er tour des élections municipales, et 10 000 le 22 mars au moment du 2nd tour.

Dans l’hypothèse pessimiste, elle en compterait environ 7 000 le 15 mars et 50 000 le 22 mars.

Au vu de ces résultats

Il tombe sous le sens que les élections municipales devront être reportées, quoi que puisse en dire aujourd’hui le gouvernement. Il est inimaginable que les Français puissent se rendre sereinement aux urnes au moment où le nombre des cas détectés se compterait en milliers voire au pire en dizaines de milliers lors du deuxième tour, et sachant que le virus serait encore présent non détecté parmi beaucoup d’entre eux. Une élection suppose de multiples contacts entre les assesseurs d’un bureau de vote et les centaines d’électeurs qui s’y rendront : même si le gouvernement décidait de maintenir les élections, la participation ne pourrait qu’être très faible, et la légitimité des nouveaux maires serait à l’avenant c’est-à-dire nulle.

La décision entre une évolution plus proche du scénario « optimiste » ou du « pessimiste » se fera sur la rapidité et l’échelle de la mise en place d’une politique radicale de lutte contre l’épidémie. Rappelons que le seul pays à ce jour à avoir stoppé l’épidémie, la Chine, n’a pas pu y parvenir sans  :

  1. des restrictions drastiques des déplacements, allant jusqu’à la suspension de la majorité des activités professionnelles non-essentielles
  2. l’organisation de quarantaines strictes pour l’ensemble des personnes potentiellement touchées par le Covid-19, quarantaines étendues dans le cas de Wuhan à l’ensemble d’une ville aussi peuplée que l’ensemble de l’agglomération parisienne
  3. et l’acceptation des conséquences économiques évidemment brutales de la lutte contre l’épidémie, sachant qu’elles seraient de toutes façons empirées si on tardait à faire face à la situation, sans parler encore des pertes humaines multipliées.

Tôt ou tard, le gouvernement devra s’y résoudre, et les pertes humaines comme les dégâts économiques seront d’autant plus grands qu’il tardera davantage.

Pour un ordre de grandeur de l’enjeu humain entre la lutte radicale dès maintenant et la lutte radicale un autre jour – par exemple « après les élections », ou « pas avant d’être vraiment sûrs qu’on n’est pas arrivé à passer entre les gouttes juste par chance » – rappelons le taux de mortalité du virus qui d’après les sources chinoises c’est-à-dire celles qui ont la plus grande pratique est d’environ 2,3% des personnes contaminées détectées. La différence entre une version « optimiste » à 10 000 contaminations et une version plus pessimiste à 50 000, soit 40 000 contaminations, représente donc presque 1 000 morts évitables (40 000 x 0,023). Il s’agit là de l’ordre de grandeur des conséquences d’un retard limité à une semaine ou dix jours supplémentaires.

Naturellement, si la décision de lutter sérieusement, c’est-à-dire radicalement « à la chinoise » contre Covid-19 tardait encore, les pertes pourraient encore être multipliées. Un taux d’augmentation « optimiste » de 21% par jour c’est un triplement en six jours. Un taux « pessimiste » de 33% quotidiennement, c’est un triplement en quatre jours.

A condition de tarder suffisamment avant de devenir sérieux, il serait même possible de provoquer l’engorgement total du système hospitalier français. Rappelons que suivant le retour d’expérience chinois 13,8% des contaminés détectés au coronavirus ont besoin d’une hospitalisation, et 6,1% ont des organes défaillants nécessitant les soins intensifs. Or, les places en unités de soins intensifs sont peu nombreuses, de l’ordre de 5 000 en France. Il suffirait donc de 50 000 contaminés, dont environ 3 000 (50 000 x 0,061) auraient besoins de soins intensifs, pour occuper plus de la moitié des lits de soins intensifs disponibles en France, d’où blocage avec effet d’éviction, les malades du coronavirus prenant les places d’autres malades, à moins que ce ne soit eux que l’on décide de « sacrifier » en les privant de soins. Quel que soit le choix, la mortalité augmenterait.

Enfin, à supposer que passer à la politique radicale de lutte contre la contamination ne soit jamais décidé – hypothèse certes extrême tant elle supposerait d’entêtement dans l’aveuglement – l’ordre de grandeur de l’impact humain potentiel est assez facile à estimer à partir de l’exemple de la « grippe espagnole«  de 1918-1919, qui infecta une proportion estimée à un tiers de l’espèce humaine. Une telle proportion de Français représenterait plus de vingt millions de contaminés, et un taux de mortalité de 2,3% parmi les malades aurait pour résultat final de l’ordre d’un demi-million de décès. On pourra certes discuter le réalisme de l’hypothèse, en imaginant qu’à partir d’un certain moment les initiatives individuelles – ou les paniques – mèneraient d’une autre manière à restreindre les déplacements et à établir des quarantaines, mais il est possible aussi de penser que des quarantaines efficaces ne peuvent être établies que collectivement. La défaillance du gouvernement ne pourrait être compensée par les initiatives individuelles ou locales.

Il est grand temps que le gouvernement prenne enfin des décisions à la hauteur de la menace. La prochaine semaine de retard pourrait coûter mille vies. Les suivantes seraient encore beaucoup plus coûteuses.

Alexis Toulet

Relu par San pour le Saker FR

Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone

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