Depuis quelques décennies, suivant en cela un mouvement qui la dépasse, la Suisse s’est pliée à la culture de la soumission. Soumission à des instances internationales, soumission à la mondialisation, mais aussi soumission à une volonté de culpabilisation des peuples menant à leur dilution, à l’extinction de leurs identités propres. Or la Suisse, qui arrive à faire vivre sans heurt des langues et des religions différentes, laissant à chaque canton une grande autonomie, devrait plutôt servir de modèle aux peuples européens en crise.
En Suisse romande les regards se tournent vers la France, et, que ce soit à propos des nouvelles méthodes pédagogiques ou des pratiques bancaires, la tentation est parfois grande de suivre ses pas. Pourtant, la France va mal, et les Français souffrent d’un système sclérosant et jacobin qui laisse peu de place aux initiatives individuelles, d’un système éducatif qui laisse de plus en plus de jeunes sur le carreau, d’un système administratif et fiscal à la fois tatillon et violent pour les plus fragiles, et fertile en niches et passe-droits qui profitent aux plus malins – système que l’auteur passe ici au crible d’une analyse comparée sans concession. Aussi la Suisse, qui s’est construite autour des notions de respect et de confiance, où les relations entre les citoyens et l’État n’ont jamais connu les tensions habituelles à la France, où la paix du travail et la culture du consensus favorisent le dialogue plutôt que la lutte et les grèves, où l’égalité et la liberté sont in fine bien plus grandes que là où on les proclame, pourrait inspirer bien des revendications, en plus de celui du référendum d’initiative populaire. Car elle est ce pays où on ignore ce qu’est un « interdit bancaire », où un abonnement annuel de 40 francs (36€) donne accès à toutes les autoroutes du pays, où un enseignant absent est remplacé dès la première heure, où un certificat maladie n’est pas exigé avant trois jours, voire plus, où chaque étudiant choisit librement l’université qu’il désire intégrer, où un professeur n’est pas affecté contre son gré à un poste à l’autre bout du pays, où l’apprentissage n’est pas dénigré et où le chef de l’État paye lui-même son loyer et ses factures. Un pays où, comme chacun le sait, la démocratie directe donne toujours le dernier mot au peuple, qui peut alors s’exprimer et être entendu autrement que par la violence.
Lorsqu’au tournant du siècle les accords bilatéraux ont été signés, les villes frontalières, et en particulier Genève – crise du logement oblige –, ont encouragé leur population à s’installer de l’autre côté de la frontière. Nombre de Suisses sont alors partis, mais les accords bilatéraux prévoyant également la libre circulation avec les ressortissants de l’Union européenne, il est finalement entré bien plus de personnes qu’il n’en sortait. Le bétonnage de la campagne genevoise a ainsi accompagné celui de la région frontalière, où les prix ont tellement grimpé que les habitants du cru ne peuvent plus se loger chez eux, sauf à devenir eux aussi frontaliers. Promoteurs, mais aussi patrons d’entreprises pouvant puiser dans un marché aux dimensions européennes ont ainsi gagné ce que d’autres ont perdu : le Français non frontalier, mais aussi le résident suisse mis en concurrence pour trouver du travail chez lui. Les problèmes grandissant, chacun tente une parade : la France supprime les assurances maladie privées, certains cantons exigent un domicile en Suisse pour obtenir un emploi, le mode d’indemnisation des frontaliers chômeurs est sans cesse remis en cause, les conditions d’accès aux universités suisses deviennent plus exigeantes, rendant toujours plus difficiles et incertaines les prises de décision dans une environnement qui change sans cesse. Expérience locale d’un monde « fluidifié » où chacun se veut partout chez lui, et où l’autre, loin d’être le « frère » d’une humanité plus solidaire, devient l’ennemi qui pourrait prendre votre place, dans une concurrence exacerbée qui se fait toujours au détriment du plus faible.
Après une vie passée en Suisse, l’auteur, française d’origine, a fait partie de ces Genevois qui ont sauté le pas, découvrant une réalité française bien moins douce que l’image qu’elle s’en faisait, et une réalité frontalière que semblent souvent ignorer aussi bien les tenants de la libre circulation que ceux qui la fustigent. Rendue ainsi plus attentive aux qualités d’une Suisse qui tend à s’éloigner de sa propre identité, elle plaide ici pour que la Suisse demeure et que, plutôt que de vouloir se fondre dans la mondialisation, elle soit une source d’inspiration pour les autres nations.
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