Par James Howard Kunstler – Le 24 février 2020 – Source kunstler.com
La question métaphysique, à savoir, que veut la Russie, ressemble beaucoup à l’énigme cosmique posée par Sigmund Freud : que veulent les femmes ? Vladimir Poutine est-il en transition pour « devenir » une femme ? Il semble que les hormones le rattrapent. Un jour, il a le béguin pour Donald Trump, le lendemain, pour Bernie Sanders. Du moins, selon la communauté américaine des services de renseignements. Ou est-ce que c’est juste la façon dont le député Adam Schiff a fait présenter les choses à la Commission parlementaire sur les services de renseignements, par Shelby Pierson, « une haute fonctionnaire du renseignement chargée de superviser les questions d’interférence électorale », comme la décrit le New York Times
La rapidité avec laquelle le récit a basculé est incroyable, par tous les moyens surnaturels que les médias utilisent de nos jours – planches Ouija, vision astrale, distorsion virtuelle, métapotence, distorsion de l’équilibre psionique, association avec le fantôme d’Allen Dulles… On pourrait en déduire que la nomenklatura du Parti Démocrate a réalisé dans un éclair de lucidité que les câlins de la Russie étaient bien plus utiles appliqués à Sanders qu’à Trump, dont le statut parmi les Démocrates est aujourd’hui « pire que Satan ». Il n’y a pas grand-chose à y faire.
Ils se sont efforcés de trouver un moyen d’entasser Bernie dans le trou de la mémoire. Ils ont essayé de faire monter Michael Bloomberg sur scène pour traiter Bernie de communiste. Ça a foiré en emportant Bloomberg. Tout le monde sait déjà que Bernie a passé sa lune de miel en Union soviétique à faire la queue à la soupe populaire pour des assiettes de potage au chou-rave. Dimanche soir, ils ont dupé Bernie dans une séance musclée style 60-Minutes, avec Anderson Cooper jouant les inquisiteurs. Andy lui a mis la pression sur la question de savoir comment l’Amérique allait payer pour tous les trucs gratuits que Bernie propose. Les réponses ont été embarrassantes et peu concluantes et personne ne s’en est soucié, peut-être parce que personne n’y croit de toute façon, pas même le plus vertueux des potes de Bernie.
Au moins, Bernie a choisi un moment, pour raconter librement ceci ou cela, qui ne pouvait pas être pire du point de vue historique. Les soins de santé publics et la gratuité des études universitaires ont fonctionné dans certains pays dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale en raison d’une augmentation constante du PIB mondial, lui-même lié à un approvisionnement fiable et abordable en combustibles fossiles. C’est terminé. Le « miracle » du pétrole de schiste a embobiné le public pendant dix ans. C’était un grand coup de poker, mais c’est tout ce que c’était, et il va maintenant s’évanouir par manque de capitaux disponibles, et il n’y a pas de combinaison de produits énergétiques alternatifs pour le remplacer. Ni la moitié « Woke » [gauchiste ou « éveillée », NdT] de l’Amérique ni la moitié MAGA ne se rendent compte de cette situation. L’argent n’est pas là. Et beaucoup de choses qui prétendent être de l’argent sont des créations de l’industrie bancaire et financière, qui vont bientôt fondre.
Et maintenant, le virus Corona entre en scène pour perpétuer cette situation, en commençant par un arrêt virtuel de l’économie mondiale excessivement complexe, sur-mécanisée et adepte du juste à temps. Les choses ne sont pas fabriquées et les lignes d’approvisionnement s’arrêtent. Les constructeurs automobiles hors de Chine ont quelques semaines de répit avant que leurs lignes de production ne s’arrêtent par manque de pièces. Mais, bien sûr, toutes les autres industries connaîtront des problèmes et des arrêts similaires. De nombreux travailleurs américains se débrouillent à peine d’un salaire à l’autre. Combien de chèques de paie manquants faudra-t-il pour que la véritable faim et le désespoir s’installent ? Nous ne le savons pas, car les médias américains ont été occupés à évoquer les nombreuses romances de Vlad Poutine.
Cela devient sérieux maintenant. Certains d’entre vous ont peut-être remarqué ce matin que les indices boursiers se dirigent vers leur pire chute depuis des années. Aujourd’hui, M. Le Marché s’est enfin réveillé, comme Rip Van Winkle, et a découvert que le monde a changé pendant son sommeil. Il y a de fortes chances que les conditions de la vie quotidienne en Amérique se détériorent fortement dans les mois à venir. Depuis janvier, nous avons observé à distance les rues vides de Wuhan et d’autres villes chinoises, pensant que c’était comme une de nos émissions d’horreur sur le réseau câblé. Il n’est pas inconcevable qu’une ville américaine, ou plus d’une, soit soumise à une quarantaine, ou qu’un grand nombre de personnes ne quittent tout simplement pas leur maison pendant un certain temps. Les camionneurs continueront-ils à transporter les choses dont les gens ont besoin ? Nous ne le savons pas. Comment organiser une convention politique dans une telle situation, ou même une élection ?
La situation en Chine est peut-être déjà allée trop loin. Les finances du pays ont été un gigantesque jeu de faux-semblants. Dans l’ancienne Union soviétique, chère à Bernie, la plaisanterie était : « ils font semblant de nous payer, et nous faisons semblant de travailler » – ce n’est pas une formule géniale pour une prospérité durable. En Chine, la blague actualisée était « nous prétendons faire des prêts, et vous prétendez les rembourser ». Le boom de la Chine ressemblait beaucoup au « miracle » du pétrole de schiste. C’étaient toutes deux de grandes espérances. Ils ont produit beaucoup de choses en empruntant au futur. Maintenant, nous avons tout ce matériel et nous devons l’entretenir, le faire fonctionner, et pour cela emprunter plus d’argent … et soudain, ce n’est plus plausible. Le monde industrialisé tout entier est tombé dans le piège de la dette.
Les observateurs attendaient de voir ce qui provoquerait finalement le dénouement de fausses promesses massives. On dirait que l’attente est terminée.
Bonus littéraire :
Un poème pour Bernie
par Peter A. Golden
Je me souviens de toi, Bernie Sanders, avant que tu ne t’enfuies vers le nord, dans cet Eden où les skis et les chaussures Birkenstocks fleurissent sur les arbres.
Nous avons quitté le Fillmore la veille du Nouvel An, la tête pleine de bruit et de fumée, dansant toujours au clair de lune glacé de la Seconde Avenue, où de vieux juifs, arrachés à leurs ateliers de misère, s’étaient autrefois entassés dans les théâtres yiddish.
Le givre embuait les vitres brillantes de la charcuterie, et à l’intérieur, le parfum des cornichons et des viandes fumées était aussi épais que les remugles d’un bordel.
Comme il y avait foule ! Des fumeurs de hashish dévorant du fromage danois avec du corned-beef, tandis que des amoureux, les rêves teintés de rose et de bleu par le LSD, comptaient les trous dans le pain azyme.
Mais toi, Bernie, tu n’étais pas parmi eux. Tu étais dans l’arrière-salle, un idéaliste menchevik éberlué débattant avec un bolchevik aux grandes dents jaunes, mâchant des pieds de veau en gelée, et j’ai prié pour toi Bernie, prié pour que Staline ne sorte pas de sa tombe pour planter un piolet dans ton crane.
Et maintenant te voilà de nouveau, brillant comme une lampe à lave dans l’obscurité Trumpienne, un sage aux cheveux blancs, agitant les bras, chantant de vieilles chansons à des jeunes qui ne les ont jamais entendues, des chansons sans signification ni musique, offrant des vœux filés au sucre candy comme de la barbe à papa.
Oh, quelle beauté ! dites-vous, quand nous sommes étreints par les bras aimants du gouvernement. Qui pourrait douter qu’un bureaucrate sans visage vous aime moins que ce Dieu silencieux ? Alors je vous écoute Bernie, en me rappelant les étés au bord de la mer et le patinage sur un étang de Norman Rockwell , parce que j’aime aussi le rêve d’une Amérique qui n’a jamais été et ne sera jamais.
Pour lui, les choses sont claires, le monde actuel se termine et un nouveau arrive. Il ne dépend que de nous de le construire ou de le subir mais il faut d’abord faire notre deuil de ces pensées magiques qui font monter les statistiques jusqu’au ciel.
Traduit par Hervé, relu par Kira pour le Saker Francophone
Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone