L’auteur est professeur titulaire, Université Laval, membre Des Universitaires
Malgré ses implications dramatiques, la pandémie actuelle a suscité certaines lueurs d’espoirs de la part des environnementalistes qui prônent un changement majeur du système économique actuel sous l’égide de dirigeants devenant soudain plus éclairés et plus sensibles aux arguments d’un nombre croissant de scientifiques sur les limites des écosystèmes et sur le caractère non-soutenable de notre modèle dominant de développement.
Ces arguments, qui sont au cœur du concept de développement durable, ne sont pas nouveaux. Kenneth Boulding affirmait déjà dans les années 60 que « celui qui croit que la croissance peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou ou un économiste ».
La baisse significative des émissions de GES lié à l’arrêt brutal d’une large part des activités économiques et la capacité des États à imposer des mesures contraignantes à la population au nom du bien-être commun ont ravivé les espoirs et les spéculations sur l’avènement d’un nouveau système économique qui serait subordonné aux impératifs environnementaux et guidé par les recommandations de scientifiques affranchis de toute allégeance partisane.
De telles spéculations semblent, au mieux, hasardeuses, même si la période actuelle est propice aux remises en causes et aux propositions pour une relance centrée sur les enjeux environnementaux à long terme plutôt que sur des objectifs économiques de courte vue.
D’une part, les précédentes crises se sont traduites par un effet de rebond sur les émissions polluantes corrélatif à la reprise de la croissance et qui a plus que neutralisé les gains liés à la contraction momentanée des activités économiques. D’autre part, malgré la montée des pressions écologistes et les avertissements des scientifiques au cours des dernières années, les mesures mises en place par les gouvernements dans ce domaine semblent dérisoires par rapport à l’ampleur des défis à relever.
Rappelons que, selon les données du dernier rapport fédéral, les émissions canadiennes de GES ont augmenté (729 millions de tonnes en 2018 contre 714 en 2017) et sont aujourd’hui comparables à ce qu’elles étaient en 2005 alors que le gouvernement s’est engagé à les réduire de 70% d’ici 2030. Au Québec, on observait également une augmentation en 2018, alors que le budget alloué en 2020 au ministère de l’Environnement et des changements climatiques représente 0,33% du budget global (contre près de 50% pour la santé et les services sociaux).
Il est peu probable que la crise de la Covid-19, les efforts pour relancer l’économie et l’augmentation de la dette publique vont changer le rapport de force très inégal entre, d’une part, la gravité des enjeux environnementaux et, d’autre part, les moyens insuffisants mis en place par les gouvernements pour y faire face.
Par contre, un changement plus profond, plus inattendu et plus durable pourrait provenir de la simplicité contrainte à laquelle la pandémie actuelle nous a convié sans que nous ayons eu notre mot à dire. Nombre de ces changements sont depuis longtemps proposés par le mouvement de la simplicité volontaire et par de nombreux écologistes : réduction de la consommation, limitation des biens inutiles, prise de distance par rapport au travail, simplification de nos modes de vie, remise en cause de notre dépendance par rapport à l’extérieur et aux objets, développement de l’autonomie alimentaire, retour sur les valeurs essentielles, augmentation du temps consacré à la santé, à la famille et aux activités de développement personnel consommant peu de ressources (méditation, sport, lecture).
Si ce mode de vie trouve un écho particulier aujourd’hui, ce n’est pas seulement parce qu’il a été imposé au plus grand nombre par des circonstances parfois dramatiques mais aussi parce qu’il a des racines très anciennes. Épicure (342-270 av. J.-C) avait notamment critiqué la poursuite des désirs artificiels et non-nécessaires pour proposer un mode de vie plus autosuffisant, plus simple, moins dépendant des choses extérieures, et davantage centré sur la satisfaction des besoins naturels et nécessaires. Le bonheur stable – ou ataraxie – ne repose pas, selon Épicure, sur des satisfactions éphémères mais sur la santé de l’âme et du corps à travers la limitation des désirs futiles sur laquelle repose aujourd’hui notre société d’hyperconsommation.
Les nombreuses études sur le niveau de bonheur dans différentes régions du monde semblent donner raison à Épicure et ont montré que, lorsque les besoins de base des individus sont comblés, leur niveau de bien-être dépend surtout d’aspects qui sont davantage tributaires de nos modes de vie que de ce que la logique marchande dominante peut nous offrir: santé, contact avec la nature, équilibre intérieur, temps disponible, éducation, amitiés, réduction des sources de stress, etc.
S’il semble utopique de promouvoir la sagesse épicurienne dans nos sociétés, il l’est sans doute tout autant d’espérer un simple retour à la normale après les mesures de déconfinement amorcées un peu partout dans le monde. D’abord parce que ces mesures seront progressives, que de nouvelles vagues de confinement sont à craindre et que de nombreux secteurs de l’économie (e.g. restauration, tourisme, transports) resteront, hélas, durablement sinistrés.
Ensuite, parce que les problèmes environnementaux qui favorisent l’éclosion de zoonoses de type Covid-19 (destruction des écosystèmes naturels, urbanisation croissante, élevage industriel, changements climatiques) demeurent plus que jamais présents. Enfin, parce que nos comportements auront été affectés dans des proportions qu’il est encore difficile de mesurer. Malgré les graves conséquences de la crise – qui ont été largement relayées par les médias –, nombre de citoyens ont pu apprécier, au cours des dernières semaines, l’amélioration de la qualité de l’air, la diminution du trafic routier et de la pollution sonore, ou encore la réduction du stress lié au rythme frénétique de la vie moderne.
Ainsi, la pandémie aura peut-être réussi à réaliser, dans la douleur et la contrainte, ce que beaucoup d’environnementalistes appelaient – en vain – de leurs vœux et ce qu’aucun gouvernement n’a sérieusement envisagé : un changement de nos habitudes afin de réduire de façon substantielle notre empreinte écologique. De plus, alors que ces changements sont trop souvent amalgamés à une austérité privative de bien-être, on découvre qu’au contraire, ils peuvent être porteurs de bonheur. Espérons qu’une partie non négligeable de la population aura su trouver dans ces changements une occasion durable de ressourcement, de retour à l’essentiel, de simplification durable du mode de vie, et de bonheur épicurien. Après tout, l’avenir appartient sans doute à ceux qui, comme le disait Gandhi, sont eux-mêmes le changement qu’ils souhaitent voir dans le monde.
Illustration : Brignaud
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