Le problème, pourquoi on n’en parle pas souvent, c’est que très souvent, en région, ce racisme-là est très subtil. Ce n’est pas aussi flagrant qu’on peut le voir dans les grands centres, mais il existe, il est présent, il est très subtil, et des fois ce n’est pas facile de le rendre évident
, mentionne Pierre Tchakoua, qui vit à Rouyn-Noranda depuis neuf ans.
Anthony Dallaire, qui a grandi à Rouyn-Noranda, croit lui aussi que le racisme est présent en région, que ce soit sous forme évidente ou sous forme plus subtile.
Une fois, je me rappelle, j’étais au primaire et il y a un petit garçon qui m’a dit “Il n’y a aucune chance que j’aille dans la salle de bains où un Noir est allé”, se souvient Anthony. Ce ne sont pas des situations qui sont arrivées souvent, mais j’ai toujours ressenti cette espèce de différence là, que je n’étais pas au même pied d’égalité que tout le monde.
Quand j’étais jeune, il y a une fille qui m’a dit “Je ne sortirais jamais avec un Noir”. Et je me suis dit que ça a du sens : si elle a osé me dire ça, c’est qu’il y a d’autres personnes qui se sentent comme ça.
Vianney Dituba a passé la majeure partie de son enfance et son adolescence à Rouyn-Noranda. Il affirme avoir lui aussi ressenti du racisme qui se manifeste dans certains propos ou comportements.
Ce n’est pas du racisme plus expressif, ce sont plus des façons que les gens vont te faire ressentir. Par exemple, j’ai voulu jouer au hockey quand j’étais jeune puis il y avait beaucoup de monde qui me disait “Mais tu ne peux pas, t’es noir, tu ne peux pas jouer au hockey”. Des affaires de même
, témoigne-t-il.
Pierre Tchakoua rapporte avoir vécu plusieurs expériences où il a été victime de discrimination. Il raconte par exemple une fois, l’année dernière, où un agent de la Sûreté du Québec s’est mis à suivre sa voiture alors que plusieurs personnes quittaient un bar à Rouyn-Noranda.
Dès qu’on est sorti du bar, il y a un véhicule de police qui s’est mis à nous suivre. C’est mon épouse qui conduisait. C’était quasiment 15, une vingtaine de minutes que la policière nous a suivis, jusqu’à ce qu’on arrive chez mon ami, et elle était toujours là à nous suivre, jusqu’à temps, probablement, qu’on commette une infraction. On n’a commis aucune infraction, mais elle a fini par nous arrêter pareil et elle a demandé si ma femme avait consommé de l’alcool, se souvient Pierre Tchakoua. On n’était pas les seuls à sortir du bar.
Vianney Dituba estime qu’en grandissant dans un milieu où il y avait peu de minorités visibles comme lui, il s’est senti jugé par la couleur de sa peau plutôt que pour sa personnalité.
Je me suis toujours senti comme si j’étais le personnage de seconde main. Un peu comme le garçon chinois dans la Guerre des Tuques
, indique-t-il en exemple. Il croit que dans une ville avec une plus grande diversité, il aurait été moins identifié comme étant différent. J’y pense chaque jour, en fait
, avoue-t-il.
Édith Kpodékon vit à Ville-Marie au Témiscamingue depuis un peu plus d’un an. Elle rapporte que, de son côté, elle s’est toujours sentie bien accueillie dans la région. Par contre, lors de son travail en tant qu’agente de projet multiculturel, elle a rencontré des enfants qui ont subi de la discrimination, comme une jeune fille du primaire qui venait de déménager au Témiscamingue l’été dernier.
On a fait notre activité et je lui ai demandé “Ça va? Est-ce qu’à l’école ça se passe bien?” et elle a commencé à pleurer un peu. “Je veux retourner à Montréal parce qu’à l’école ça ne se passe pas bien, je n’ai pas d’amis, les gens disent que j’ai la peau noire”. Des trucs du genre
, indique Édith Kpodékon.
Comment améliorer la situation?
Pierre Tchakoua estime que l’éducation et la sensibilisation demeurent la clé. L’enfant, il n’est pas né avec des préjugés, il n’est pas né raciste. C’est l’environnement, c’est ce que les parents disent et font à la maison
, lance-t-il.
Ce n’est pas l’affaire des autres, c’est l’affaire de tout le monde. Faire comprendre au monde qu’on est tous des acteurs, on a tous un rôle à jouer pour que cesse ce genre de comportement. Que ce soit le racisme envers les noirs, les Amérindiens, de respecter la différence de l’autre
, ajoute-t-il
Anthony Dallaire abonde dans le même sens. Il croit notamment que l’on doit changer la façon dont on nomme les gens afin d’éviter de renforcer une perception de différence entre les personnes blanches et les personnes de couleur.
Admettons on va dire “J’ai travaillé avec un Noir.” Je trouve ça dommage parce le premier élément pour le décrire, c’est sa couleur de peau, alors qu’il peut avoir un nom, plein de caractéristiques différentes, déplore-t-il. Je trouve que le fait de le nommer de cette façon-là, ça vient un créer une différence.
Je pense que notre plus grande arme en tant que société, c’est l’éducation. Il faut éduquer les gens, leur dire que ça existe, la différence.
Édtih Kpodékon souhaite d’ailleurs effectuer davantage d’ateliers de sensibilisation par le biais de son rôle au Carrefour jeunesse-emploi du Témiscamingue.
On est vraiment dans cette démarche pour aller donner des formations dans les écoles pour permettre aux gens de mieux accueillir et de réduire un peu cette discrimination, d’être un peu plus ouverts, dit-elle. Il y a vraiment une diversité culturelle à Montréal qu’il n’y a pas dans un petit coin comme au Témiscamingue ou à Ville-Marie, où les enfants n’ont peut-être pas encore vu quelqu’un avec la peau noire.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec