Tout le monde se l’arrache. A peine trois mois après son arrivée dans le débat public, d’abord à la faveur d’une offensive contre ses méthodes de travail, le professeur Didier Raoult ne boude plus son plaisir de se prêter au jeu médiatique, acceptant ici et là les sollicitations d’un univers envers lequel il se montre pourtant particulièrement acerbe.
En retour, les médias ne sont pas en reste pour monter en épingle la dimension politique autour de l’infectiologue. Et de fait, au-delà d’apporter des réponses aux remontrances dont il fait l’objet, Didier Raoult n’hésite pas à critiquer régulièrement certaines dynamiques du monde telles qu’il les perçoit.
Au-delà de la médecine, Didier Raoult attire l’œil médiatique
En dépit de la défiance mutuelle qui semble s’être installée entre l’univers médiatique et le professeur marseillais, force est de constater que la répulsion magnétique a ses limites, Didier Raoult ayant accepté de multiplier les interventions télévisées et par voie de presse.
Dans un récent entretien accordé au magazine L’Express, il ne rechigne d’ailleurs pas à évoquer ses positions sur une palette de sujets, s’exprimant parfois sur des thématiques éloignées de la médecine, comme sa fascination pour la philosophie de Friedrich Nietzsche, ses références à l’économiste Thomas Piketty et à l’historien Emmanuel Todd, ou encore l’intérêt, selon lui, de participer aux processus électoraux de son pays.
Bien qu’ayant affirmé à plusieurs reprises n’avoir aucune intention d’entamer une quelconque esquisse de carrière politique – lors de son entretien à L’Express par exemple, il dit se «fout[re] de qui [le] soutient» et se revendique lui-même comme «un grand élitiste» qui se soucie peu de sa popularité – le désir médiatique de lui prêter cette intention revient comme un leitmotiv, tant dans certaines questions qui lui sont posées lors d’interviews, qu’à la faveur de chroniques le concernant. Et nombre de personnalités médiatiques soulignent à ce sujet l’existence d’un potentiel politique «anti-système» chez le professeur marseillais, comme en témoignent quelques exemples récents.
Un professeur politique malgré lui ?
«Didier Raoult : « Les hommes politiques sont tous des hologrammes »», titre le 25 mai L’Express pour la publication du premier épisode de l’entretien susmentionné.
Didier Raoult pourrait être un bon modèle, dans ce monde politique trop craintif
Le même jour, le même magazine, poursuit sur le même sujet, à travers une interview d’Ivan Rioufol, chroniqueur du Figaro, selon qui «Didier Raoult pourrait être un bon modèle, dans ce monde politique trop craintif, conformiste, indécis, aseptisé», et l’éditorialiste d’ajouter : «Sa soudaine notoriété marque sans doute l’attente d’un tel chef. Un chef qui ne jouerait pas le jeu.»
Ivan Rioufol : "Didier Raoult pourrait être un bon modèle, dans ce monde politique trop craintif, conformiste, indécis, aseptisé. Sa soudaine notoriété marque sans doute l'attente d'un tel chef. Un chef qui ne jouerait pas le jeu" https://t.co/r2ZJUJS70d
— L'Express (@LEXPRESS) May 25, 2020
Dans une publication du 25 mai encore, faisant référence à un récent article du Monde qui pointe «la peur» d’Emmanuel Macron face à de potentiels «outsiders en vue de 2022», l’émission Quotidien (TMC) place Didier Raoult aux côtés d’un humoriste (Jean-Marie Bigard), et d’un chroniqueur politique (Eric Zemmour), comme une des «figures populistes» pouvant émerger «sur la scène politique».
Jean-Marie Bigard, Éric Zemmour, Didier Raoult… Emmanuel Macron redoute l’émergence d’une figure populiste sur la scène politique. Ça nous a rappelé la série « Baron Noir »… ?@salhiabrakhlia#Quotidienpic.twitter.com/GuUb9niAus
— Quotidien (@Qofficiel) May 25, 2020
Les médias ont contribué à le faire bien sûr
Une journée décidément riche en commentaires médiatiques sur le potentiel politique de l’infectiologue marseillais, puisque l’éditorialiste Alain Duhamel abonde en ce sens à l’antenne de BFM TV le soir-même, nuançant pour sa part la possibilité d’une quelconque candidature de l’infectiologue marseillais : «Il a un profil [et] un potentiel politique», estime-t-il en évoquant une «polarisation générale autour de [Didier Raoult]» : «Les médias ont contribué à le faire bien sûr», analyse-t-il encore.
Et le chroniqueur de considérer que le professeur Raoult représente une force politique, celle du «populisme».
"Didier Raoult représente aujourd'hui une force politique : il incarne le populisme" pic.twitter.com/nOkVXLISuv
— Alain Duhamel (@AlainDuhamel) May 25, 2020
Il est armé pour une campagne électorale, il a un potentiel extraordinaire
Ce 26 mai au petit matin, alors qu’elle s’apprête à recevoir le professeur marseillais en début de soirée à une heure de grande audience, la chaîne LCI pose de son côté clairement la question par la voix de sa journaliste Pascale de La Tour du Pin : «[Didier Raoult] veut se lancer dans une carrière politique peut-être ?» Et son interlocuteur, l’éditorialiste Jean-Michel Aphatie, d’y répondre par une chronique n’écartant pas le scénario, bien au contraire : «Tout le monde est en train de lui dire qu’il est absolument génial, on en a connu d’autres qui sur ces bases là se sont lancés dans des carrières politiques […] Il est armé pour une campagne électorale, il a un potentiel extraordinaire […] On redoute, dans tous les états majors politiques, ce type de candidature qui pourrait déséquilibrer la campagne électorale.»
Le Pr #Raoult est-il tenté par la politique ? Écoutez plutôt @jmaphatie.
? #LaMatinaleLCI de @PascaledeLaTour sur le canal . pic.twitter.com/QVtOvxVDDh
— LCI (@LCI) May 26, 2020
Vous l’aimez ou vous le détestez ?
Dans la foulée, le talk-show de RMC Les Grandes Gueules interroge, de son côté, sa communauté Twitter en ces termes : «Didier Raoult esseulé depuis la mise en cause de la chloroquine dans plusieurs cas d’effets cardiaques néfastes… Vous l’aimez ou vous le détestez ?»
1ER DÉBAT : @raoult_didier esseulé depuis la mise en cause de la chloroquine dans plusieurs cas d’effets cardiaques néfastes… Vous l'aimez ou vous le détestez ? #GGRMCpic.twitter.com/Jl4n2g2eYE
— Les Grandes Gueules (@GG_RMC) May 26, 2020
Comment est né le «phénomène Raoult» ?
La cristallisation du débat autour du professeur marseillais pourrait s’expliquer, du moins en partie, par l’actuel climat de défiance vis-à-vis des médias en France, un phénomène particulièrement tangible depuis l’émergence du mouvement des Gilets jaunes.
De fait, dès ses premières publications mettant en avant ses travaux à Marseille, Didier Raoult s’est heurté à ce qu’il a décrit comme une forme d’hostilité à son égard de la part du monde médiatique. Au mois de février, les controversés «Décodeurs» du journal Le Monde avaient par exemple pris l’initiative, en partenariat avec le réseau social américain Facebook, de s’attaquer à une vidéo du professeur Raoult, lui reprochant de tromper son public dès le titre.
En outre, son bras de fer interposé avec l’infectiologue parisienne Karine Lacombe, a donné lieu à des interrogations au sujet de celle qui était alors habituée des plateaux télévisés. Nombre de commentateurs dévoilant l’identité des acteurs économiques l’ayant rémunérée ces dernières années.
Par ailleurs, dans le contexte des nombreuses critiques visant l’exécutif pour sa gestion de la crise sanitaire, la rupture entre Didier Raoult et le Conseil scientifique du gouvernement apparaît comme un autre facteur ayant pu bénéficier à l’aura du professeur marseillais. Celui-ci a d’ailleurs accepté de participer au mook souverainiste de Michel Onfray, Front populaire.
Autant d’éléments qui pourraient expliquer l’existence d’une communauté grandissante autour du personnage : à l’image du demi-million d’abonnés dont il bénéficie aujourd’hui sur Twitter, ou de l’émergence de groupes de soutien sur Facebook, comme «Raoult Didier Président de la République en 2022», qui cumule à ce jour plus de 24 000 membres.
Un plébiscite dont l’infectiologue marseillais n’hésite d’ailleurs pas à se féliciter. Lors de son entretien télévisé avec David Pujadas sur LCI ce 26 mai, Didier Raoult compare par exemple sa crédibilité avec celle de son interlocuteur, puis avec celle du ministre français de la Santé, Olivier Véran. «Faites vos sondages, moi je les ai», lâche-t-il en se chatouillant la barbe.
Fabien Rives