«La fin du monde»

«La fin du monde»

Lorsque le PM a annoncé qu’on reportait la réouverture des écoles primaires en septembre, Jimmy a écrit « Set la fin du monde » sur la page FB de François Legault en direct à 13 h. J’observe toujours les commentaires défiler à la droite du point de presse. Le défouloir est éloquent et donne le « la » social.

Je me disais la même chose que Jimmy, mais peut-être pas avec la même perspective. D’un point de vue des chiffres, 17 % de chômage depuis la COVID-19, 23 % de décrochage scolaire chez les garçons avant et toujours 19 % d’analphabètes, en plus des 34 % d’analphabètes fonctionnels (qui peuvent lire le titre de cette chronique, mais pas forcément en comprendre la suite). Tout cela ira en augmentant. Jimmy aura des amis dans sa faim du monde.

D’ailleurs, ils étaient combien de Jimmy devant l’Assemblée nationale dimanche dernier ? À suivre les frères Tadros (je les découvre, sorry, j’écoutais de l’opéra) et à scander « Rendez-nous notre libarté » et « Des centaines d’aînés en détrèsse. Bâtard ! » Dans une vidéo sur FB, dimanche, les frères Tadros, chanteurs / entrepreneurs / nouveaux messies, ont fait la démonstration en direct au milieu d’une foule de dé-con-finés : « On tue pas personne !!! »

Bien sûr. Pas de sang, pas de civières, pas de masques. LIBARTÉ postillonné à 2600 gouttelettes à la seconde, en suspension dans l’air durant 8 à 14 minutes, selon une étude faite au laser. « Nos » droits individuels. Multipliez par 7,7 milliards et sortez le pop-corn.

Nous sommes en guerre, disent certains. Sans autre ennemi que la barbarie des systèmes qui nous contraignent.

Oscar Wilde aurait dit : « Il n’y a que les esprits légers pour ne pas juger sur les apparences. Le vrai mystère est le visible, et non l’invisible. »

Ils sont en colère. C’est visible. Comme je les comprends. Les gouvernements mondiaux ont suspendu les labours de l’économie pour les FORCER à être vaccinés contre un virus QUI N’EXISTE PAS. FAITES VOS RECHERCHES. La majuscule, contrairement au ridicule, tue.

« Set la fin du monde. » Les théories du complot alimentent les temps libres de chômeurs anxieux, décrocheurs du système malgré eux, à qui l’on apprend qu’ils devront aussi travailler de chez eux, entre la tivi et le four à micro-ondes. Des cols blancs à qui l’on demande d’être résilients et de se réinventer. Oui, oui. J’ai lu ça dans un texte du boss d’Infopresse lundi dernier. Faudra se réinventer. Maintenant. Comme se réinvente madame Chose du Cercle des fermières qui fabrique des masques dans son sous-sol.

Comme se réinventent le Cirque du Soleil sous respirateur ou le p.-d.g. sortant de Bombardier avec une indemnité de départ d’« environ » 8,9 millions $US à 12,5 millions $US. J’attends leur tutoriel sur la gymnastique fiscale.

Robots démasqués

Pas étonnant que les Jimmy se révoltent. Ils commencent à se dire que « ça va bien aller » pour certains, mais peut-être pas pour tous. Ça va bien aller pour les géants technologiques, les GAFAM, ça oui. L’essayiste Naomi Klein (No logo, La maison brûle) a publié récemment un article percutant à ce sujet dans The Intercept : « Screen new deal » (repris par The Guardian). Eric Schmidt, l’ex-patron de Google, main dans la main avec le gouverneur de l’État de New York, Andrew Cuomo, ont annoncé qu’ils allaient se tourner vers le haut débit, la télémédecine, l’école à distance. Schmidt doit réinventer l’après-COVID-19.

Dans ce futur proche (parce que l’ancien temps, c’était en février), nos demeures deviendront, souligne Klein, nos écoles, nos cabinets de médecin, nos gyms et, éventuellement, selon les directives gouvernementales, nos prisons. Sans compter nos lieux de divertissement et de télétravail lorsque travail il y a.

« Ces technologies nous seront présentées comme notre seule façon de rendre nos vies à l’épreuve de la pandémie et les clés indispensables pour nous garder, nous, et ceux que nous aimons, en sécurité. »

Bientôt nous travaillerons tous à distance, nous enseignerons et nous éduquerons par écran interposé et ça va bien aller, il n’y aura plus de perte de temps, de bibliothèques dans lesquelles errer, d’enseignement magistral à remettre en question, de politique culturelle – ou son absence – à dénoncer.

 

Cette vision à la Black Mirror de notre société ne fait qu’émerger, mais tous les circuits étaient déjà branchés. Et il devient évident que ce grand déploiement sur petits écrans (le screen new deal, ou dystopie technologique) sera le « nouveau normal » et s’implantera pour de bon. « Le problème, en sous-traitant les décisions clés afin de “réinventer” nos États et nos villes aux mains d’hommes comme Bill Gates et Schmidt, c’est qu’ils ont passé leur vie à faire la démonstration de leur croyance : il n’y a aucun problème que la technologie ne peut pas régler », écrit Klein.

On ne peut pas aller contre le progrès, veut l’adage. Jusqu’à ce que le progrès vous préfère un robot qui, lui, n’a besoin ni de gants ni de masques et ne propage rien du tout, sinon des virus informatiques. Les employés déjà délocalisables dans certains secteurs (télémarketing, télécoms) et rivés à leurs écrans deviendront des points sur une carte, GPS inclus. Ne manque qu’un bracelet électronique et vous êtes aussi bien équipés que des Chinois en quarantaine.

« Loft » à louer

Et, bien sûr, on vous assignera à demeure. Des compagnies logées au centre-ville s’apprêtent à signer des baux plus modestes. Rien qu’à Montréal, La Presse+ estimait que 1,6 million de pieds carrés de bureaux (10 % de l’espace) pourraient retourner sur le marché chaque année, presque deux fois le 1000 De La Gauchetière.

Et qui devra se réinventer un petit coin de travail à domicile en épargnant sur les transports et les cafés à 5 $ chez Starbucks ? Dans le mille, Émile.

Je visitais justement des logements avec un ami qui se « réinvente » en télétravail, car son appart actuel ne peut plus convenir à ses nouveaux besoins d’ingénieur « en résidence ». J’ai eu droit à des visites de « lofts » sur le Plateau (des studios grands comme un walk-in, l’espace d’un lit mural avec frigo et poêle) à 1000 $ par mois, incluant une vue sur le Ultramar. J’ai vu des chiottes sans balcon, en demi-sous-sol, rue Mentana, occupées par des Français habitués à payer encore plus cher à Paris.

Incidemment, les Français et les Airbnb ont fait augmenter les loyers de façon indécente sur le Plateau.

Mon ami a choisi de changer de quartier, mais les propriétaires tirent au sort, y vont à la gueule du client et exigent des tests de COVID-19 avant de louer (presque). L’arbitraire et Équifax font le reste. Et il vient de passer d’un loyer de 3 à 4 chiffres en claquant des doigts.

Bref, il est facile de nous enjoindre à rebondir tout en chiquant de la gomme à mâcher. Encore faut-il l’espace pour installer le mini-trampoline et des plafonds de plus de deux mètres.

À propos de l'auteur Le Devoir

Le Devoir a été fondé le 10 janvier 1910 par le journaliste et homme politique Henri Bourassa. Le fondateur avait souhaité que son journal demeure totalement indépendant et qu’il ne puisse être vendu à aucun groupe, ce qui est toujours le cas cent ans plus tard.De journal de combat à sa création, Le Devoir a évolué vers la formule du journal d’information dans la tradition nord-américaine. Il s’engage à défendre les idées et les causes qui assureront l’avancement politique, économique, culturel et social de la société québécoise.www.ledevoir.com

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You