Je tiens à préciser ici que j’utilise le terme de santé mondiale pour désigner la santé des populations dans le contexte mondial, et non pas — comme beaucoup le font (à tort, je pense) — les investissements d’organisations, de fondations et de pays à hauts revenus dans des efforts visant à relever les défis de santé et de développement dans les pays moins développés économiquement, généralement dans l’hémisphère sud.
J’aimerais plaider en faveur de la nécessité pour les scientifiques et les universitaires de la communauté mondiale de développer et tester de nouveaux modèles qui pourraient fonctionner pour lutter contre la corruption dans le domaine de la santé mondiale, et pour les bailleurs de fonds de soutenir cet effort. Cette tâche est urgente ; la corruption est la plus grande menace pour l’avenir de la santé dans le monde.
La principale information en ce qui me concerne tient en ce que je ne suis pas du tout expert en la matière, sauf qu’en tant que personne originaire d’un pays à revenu moyen d’Amérique latine, j’ai vécu toute ma vie entourée de corruption, qui était considérée par beaucoup comme le statu quo ou même comme un mécanisme d’adaptation. J’ai entendu des gens dans mon pays et des collègues du Nord — par lequel je fais référence aux pays à revenus élevés de l’hémisphère nord — utiliser des termes tels que « corruption de survie », pour essayer de justifier des situations injustifiables. En tant qu’étudiante en médecine, il y a trente ans, j’ai vu la corruption liée aux pratiques des fournisseurs, aux équipements, aux médicaments et ainsi de suite, mais comme à cette époque les ressources étaient rares, il n’y avait pas grand-chose à voler. Cependant, lorsque je suis devenu ministre péruvien de la Santé en 2016, j’ai réalisé l’ampleur du problème, surtout en raison du fait que les ressources sont aujourd’hui plus que jamais disponibles. Plus il y a d’argent, plus il y a de corruption. La disponibilité de l’aide étrangère pour la santé a également alimenté la corruption au niveau mondial.
J’ai vu comment — pour faire avancer une stratégie ou achever une mise en œuvre — il était considéré comme acceptable, bien que parfois étrange — selon les termes des bailleurs de fonds — , de payer un supplément pour des activités qui faisaient partie du travail des prestataires ou de négliger simplement des choses qui étaient inconfortables.3 Un exemple est la rémunération des prestataires de soins de santé pour qu’ils assistent à des séances de formation — la formation ne fait-elle pas partie de leur travail et ne représente-t-elle pas un avantage ? Eh bien, c’était le cas dans mon pays, mais pour plusieurs programmes de santé mondiaux, payer les travailleurs de la santé pour qu’ils assistent à une session de formation est devenu coutumier et a engendré un insoutenable cercle de corruption. Cette pratique a conduit à une situation dans laquelle les travailleurs de la santé participant à la formation n’étaient pas ceux qui avaient besoin de la formation, mais ceux qui étaient choisis pour bénéficier d’avantages. Pour les experts en santé mondiale qui affirment qu’il est important d’identifier si la corruption est ou n’est pas un obstacle au succès ou à la mise en œuvre d’un programme de santé mondiale4, 5, je soutiendrai que la corruption est toujours un problème, même si le programme semble être une réussite. La corruption représente un facteur de coût non négligeable qui affecte la durabilité et l’efficacité d’un programme, et la possibilité pour un pays de sortir d’une dépendance à l’égard des autres.
Cette situation illustre la réalité d’aujourd’hui. Maintenant que nous disposons de plus de ressources que jamais au niveau mondial, le monde entier est en proie à la corruption, mais nous ne parlons pas de ce problème ni ne l’affrontons. La corruption est un secret de polichinelle connu dans le monde entier, il est systémique et se propage6. Plus des deux tiers des pays sont considérés comme endémiquement corrompus selon Transparency International7. Bien que la perception de la corruption dans le secteur de la santé varie d’un pays à l’autre, dans l’ensemble, ce secteur est perçu de manière très négative8. La corruption touche les pauvres et les plus vulnérables, et la corruption dans le secteur de la santé est plus dangereuse que dans tout autre secteur car elle est littéralement mortelle9, 10. La corruption viole les droits des individus et des communautés11. Lorsque la corruption est liée à la santé, les systèmes de santé, les individus et les résultats en matière de santé sont profondément affectés12. On estime que, chaque année, la corruption prend la vie d’au moins 140 000 enfants13, aggrave la résistance aux antimicrobiens et sape tous nos efforts pour contrôler les maladies transmissibles et non transmissibles14, 15. La corruption est une pandémie ignorée16.
Comment la corruption a commencé et s’est répandue
Bien qu’il n’existe pas de définition unique, complète et universellement reconnue de la corruption, celle-ci est clairement « l’abus d’un pouvoir confié à des fins de profit privé »17. La corruption existe depuis longtemps, probablement depuis que les structures sociales humaines existent18. Certaines théories suggèrent que dans le développement des structures sociales, il existe des différences claires quant à ce qui s’est produit dans les nations du nord par rapport à celles du sud, ce qui pourrait expliquer l’endémicité et les niveaux de corruption plus élevés dans ces dernières. Les gouvernements du nord ont été créés pour servir les citoyens alors que dans le sud, les colonies ont été structurées pour exploiter les ressources et les populations. Plus tard, lorsque les nations colonisées ont acquis leur indépendance, les structures sociales qui maintenaient ces pratiques coloniales ont continué à profiter aux nouveaux individus occupant les places de pouvoir18, 19, 20.
Au cours des trente à quarante dernières années, la corruption a augmenté de façon significative et, depuis le début des années 1990, elle fait l’objet d’une plus grande attention21. Certaines explications sur la propagation et la croissance de la corruption sont liées aux profonds changements intervenus après la Deuxième Guerre mondiale et pendant la Guerre froide6, 21. Après la Deuxième Guerre mondiale et une très courte période de reconstruction, les pays européens qui s’étaient accaparé une grande partie du monde ont essentiellement désoccupé ces territoires, entraînant l’émergence de nouveaux pays. Un phénomène similaire s’est produit à la toute fin des années 80 et au début des années 90, avec la fin de la Guerre froide. Les nouveaux pays créés après l’éclatement de l’Union soviétique disposaient d’institutions inexpérimentées et d’un personnel ne disposant pas de connaissances ou d’une expérience suffisantes. Ces institutions étaient faibles et vulnérables à l’exploitation, aux abus, aux mauvais usages et à la corruption22. Parallèlement, les marchés mondiaux ont commencé à développer un éventail plus large de relations commerciales et d’échanges. Bien que les entreprises nord-américaines et européennes n’avaient pas encore expérimenté le fonctionnement des entreprises au sein de ces nouvelles régions, elles ont cherché des moyens rapides et pratiques d’interagir avec ces nouveaux territoires, ce qui a malheureusement contribué à engraisser les rouages de la corruption. De telles pratiques se répandent comme un virus, et la corruption devient le moyen de faciliter les interactions. Dans les pays à régime autoritaire, où les gens ordinaires n’avaient que très peu de pouvoir, la corruption a trouvé un espace pour s’épanouir23. Dans notre monde globalisé, nous devons reconnaître le rôle des pays développés en tant que source des problèmes de corruption dans les pays en développement. Nous devons également reconnaître l’existence de corrompus et de corrupteurs, et la nécessité de travailler ensemble à la recherche d’une solution à ce problème mondial.
La corruption dans le domaine de la santé
Le domaine de la santé est un secteur attrayant pour la corruption25 et elle peut être observée dans toutes les sociétés. Cependant, comme elle est influencée par des facteurs organisationnels, son ampleur observée dans un secteur en particulier, y compris celui de la santé, est liée à la société dans laquelle ce secteur intervient. Dans les sociétés où l’État de droit est moins respecté, où la transparence est réduite et où les mécanismes de responsabilité sont plus limités, les systèmes de santé sont plus corrompus26.
La corruption menace tout effort visant à réformer le secteur public et à atteindre une couverture sanitaire universelle, ce qui affecte également les efforts déployés pour atteindre l’objectif de développement durable des Nations unies3 27, 28, 29, 30. La corruption limite l’accès aux services de santé et affaiblit toutes les dimensions qui déterminent la bonne performance des systèmes de santé : équité, qualité, réactivité, efficacité et résilience, et affecte également les résultats et les vies15, 29, 31. Elle entraîne également la démotivation et l’épuisement des ressources humaines. C’est le « cancer de nos systèmes de santé »4.
On estime que le monde dépense plus de sept mille milliards de dollars pour les services de santé et qu’au moins dix à vingt-cinq pour cent des dépenses mondiales sont directement absorbées par la corruption, ce qui représente des centaines de milliards de dollars perdus chaque année15, 25, 32, 33. Ces milliards engloutis par la corruption dépassent les estimations de l’OMS concernant le montant nécessaire chaque année pour combler les lacunes en matière de couverture sanitaire universelle dans le monde d’ici 203034, 35. Cependant, le coût réel de la corruption pour les populations est impossible à quantifier étant donné qu’il peut en résulter une différence entre le bien-être et la maladie, et la vie et la mort.
Dans le domaine de la santé, la corruption est enracinée et systémique. Klitgaard et ses collègues36 soulignent que l’ampleur de la corruption dépend de trois variables : le monopole (M) sur la fourniture d’un bien ou d’un service, la discrétion (D) dont jouissent les fournisseurs et la responsabilité du fournisseur (A) envers les autres. Les auteurs montrent que le montant de la corruption (C) pourrait être exprimé comme suit C=M + D – A.
Cette équation montre que plus l’approvisionnement d’un bien ou d’un service est concentré, plus le pouvoir discrétionnaire de ceux qui le contrôlent est élevé, et plus faible leur responsabilité envers les autres ; par conséquent, le niveau de corruption n’en sera que plus élevé. Malheureusement, ce sont là les caractéristiques des systèmes de santé. La complexité du système, les dépenses publiques élevées, l’incertitude du marché, l’asymétrie de l’information et la présence de nombreux acteurs — les régulateurs, les payeurs, les prestataires, les consommateurs et les fournisseurs — interagissent à différents niveaux, ce qui accroît sensiblement la corruption29, 37. En outre, les dépenses mondiales de santé sont en hausse en raison du vieillissement croissant de la population, des maladies chroniques et plus complexes, de la pression exercée pour acquérir des équipements de haute technologie et coûteux, et d’un nombre croissant de médicaments onéreux poussés par de puissants vendeurs transnationaux dans un monde interconnecté, autant de facteurs qui exercent une pression sociale sur les gouvernements et attirent davantage de corruption33.
Les différents types de corruption dans le domaine de la santé
La corruption dans le domaine de la santé se décline dans une large gamme, qui va de la petite corruption à la corruption nationale, voire multinationale10. Elle se présente sous différentes formes, telles que la corruption, l’extorsion, le vol, le détournement de fonds, le népotisme et l’abus d’influence38. Elle apparaît à différents points du système : dans la prestation de services par le personnel médical et les autres travailleurs de la santé, dans l’achat, la distribution et l’utilisation d’équipements, de médicaments et de matériels, dans la réglementation de la qualité des produits et des services, dans l’embauche de ressources humaines et dans la construction d’installations37. Transparency International a récemment examiné les six formes de corruption les plus courantes dans la prestation de services15. Abstraction faite des causes légitimes telles que la maladie, l’absentéisme se produit lorsque les employés ne se présentent pas au travail [et constitue la première forme de corruption – NdT]. Dans le cas des services de santé des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, cette situation est souvent due au fait que ces employés exercent en cabinet privé pendant les heures de travail normales qui sont dus au service public. Cette situation informelle est soutenue par les syndicats de plusieurs pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. L’absentéisme est associé à l’absence de responsabilité et de sanctions et, non seulement il démotive les bons travailleurs, mais il prive aussi les patients des soins dont ils ont besoin39, 40, 41, 42, 43. Malheureusement, bien que l’absentéisme soit un problème courant — qui toucherait trente-quatre à cinquante pour cent des employés dans le monde entier15 — il n’a pas été bien étudié.
La deuxième forme de corruption est constituée par les paiements informels des patients, qui comprennent toute une série de situations et de montants qui représentent des pots-de-vin dans la plupart des cas44, 45, 46. La troisième forme de corruption est le détournement et le vol d’argent, de matériels et de médicaments. Le détournement de fonds est l’une des formes de corruption les plus évidentes. La quatrième forme de corruption opère dans la prestation de services, qui comprend des activités — par exemple, des traitements, des procédures et des recommandations — qui ne sont pas uniquement motivées par des considérations médicales et qui peuvent être soit une surproduction soit une sous-production de ces activités. La corruption dans la prestation de services se manifeste dans le monde entier au sein des secteurs public et privé, gonflant les coûts des services et mettant les patients en danger. Un exemple en est l’excès de césariennes dans les pays d’Amérique latine et d’autres pays47, 48. Selon Naím21, « le conflit d’intérêts est à la base de tous les actes de corruption ». Un exemple au Pérou est le conflit entre les professionnels de la santé, comme le refus des médecins d’autoriser des sages-femmes professionnelles formées à effectuer des procédures particulières — par exemple, la colposcopie ou la cryothérapie — en alléguant que cela empiéterait sur leur spécialité. Le Pérou présente un important déficit en ressources de santé, notamment en ce qui concerne les médecins49, et l’un des défis à relever, compte tenu des taux élevés de cancers du col de l’utérus qui s’accompagnent d’une forte mortalité, est de déterminer la manière d’atteindre et de traiter les femmes. La réalité, c’est que le cœur du problème réside dans la crainte de perdre des clients et de l’argent, de sorte que le transfert et le partage des tâches ne sont pas acceptables pour ces médecins, ce qui entraîne une sous-offre de services50.
La cinquième forme de corruption est le favoritisme, ce qui signifie que les soins sont donnés de préférence aux personnes qui sont recommandées ou qui bénéficient de relations dans le système de santé, ce qui affecte les soins que reçoivent les autres patients. La sixième forme de corruption est la manipulation des données, que Transparency International appelle la facturation de biens et de services qui n’ont jamais été envoyés ou rendus parce que la compensation est accordée en fonction du nombre de personnes traitées15, 51. La manipulation des données est une question qui a récemment été soulevée au Mexique52. Nous avons également vu des données être manipulées au Pérou dans le cas du dépistage de la syphilis congénital. Les prestataires ont révélé qu’ils surestimaient à plusieurs reprises les données pour des programmes particuliers par crainte de recevoir moins de matériels, pour s’assurer qu’ils bénéficiaient d’avantages à la productivité et pour ne pas être identifiés comme paresseux. Lorsque cela se produit, les données ne sont pas fiables et la santé publique est affectée.
De mon point de vue personnel, les actes individuels de corruption au niveau des interactions quotidiennes des patients avec les services et les prestataires de santé peuvent sembler de faible ampleur, mais ils représentent des millions d’interactions négatives et ont un effet énorme et préjudiciable sur nos efforts pour améliorer la santé. Ils sont également plus difficiles à combattre que la corruption à un niveau plus élevé. En outre, ces actes se normalisent dans la société et sont considérés comme faisant partie intégrante de son fonctionnement. Il est courant de voir l’une des formes suivantes de corruption de façon quotidienne :
- un retard ou un refus des services de santé,
- du matériel et des médicaments qui sont aspirés du secteur public pour alimenter le secteur privé,
- un personnel qui fait payer aux patients un prix plus élevé que les prix officiels et qui empoche la différence,
- une collusion entre le personnel hospitalier et les pharmacies externes ou les fournisseurs externes de tests médicaux,
- un absentéisme élevé des médecins ayant un second emploi dans le secteur privé,
- des médecins qui orientent leurs patients vers leur cabinet privé, et
- la détérioration délibérée d’équipements dans le secteur public pour obliger les gens à payer pour des services privés — qui, soit dit en passant, sont généralement situés à côté des établissements de santé publics et appartiennent et sont assurés par les mêmes prestataires publics qui fournissent des services dans les domaines public et privé.
Au Pérou, on m’a montré un jour un trombone à l’intérieur d’une machine à rayons X. Le trombone avait été utilisé pour endommager l’équipement d’un centre de santé public, obligeant les patients à payer pour une radiographie dans la clinique privée située devant le centre de santé. Des dommages délibérés se produisent également avec les équipements de laboratoire, le détournement de médicaments du secteur public étant l’un des problèmes les plus graves. Le gouvernement achète des médicaments pour les donner gratuitement aux personnes bénéficiant de l’assurance nationale, mais ces traitements médicaux sont refusés aux patients des centres de santé publics parce que les médicaments semblent disparaître. Le ministère de la santé a lancé une enquête et a découvert une opération illégale qui consistait à retirer les médicaments du stockage et des pharmacies des hôpitaux publics pour les placer dans des pharmacies privées. Des individus appelés « jaladores » (extracteurs) ont été placés de façon adéquate à l’extérieur des pharmacies des hôpitaux et ont proposé aux patients de les emmener là où ils pourraient acheter des médicaments à un prix soi-disant raisonnable. L’opération était beaucoup plus complexe que ce que je peux décrire ici et impliquait des acteurs importants. Malheureusement, l’enquête n’a pas pu être menée à bien pendant mon mandat de ministre de la santé — une période de 14 mois — et la situation continue encore aujourd’hui, causant au pays des millions de soles de pertes [le sol étant la monnaie péruvienne – NdT].
Lorsque j’étais ministre de la santé, la corruption était l’un de mes plus grands défis. J’ai dû gérer et surmonter la découverte d’une fraude dans le programme d’assurance maladie intégrale commise par une personne qui était le conseiller du président. Cet événement nous a permis de faire face à la fragilité du système et — avec toute la corruption que j’ai observée dans le secteur de la santé — m’a poussé à explorer ce que l’on sait faire pour lutter contre la corruption et ce qui pourrait être fait pour l’empêcher.
Le contrôle de la corruption
La corruption a été négligée ou ignorée au prétexte qu’elle n’est pas toujours clairement définie et a été considérée comme un moyen de faire fonctionner des systèmes dysfonctionnels. Il existe un consensus sur le fait que pour être efficaces contre la corruption, les actions doivent être fondées sur la théorie, guidées par des preuves et adaptées au contexte37. Il existe deux grands groupes de théories en ce qui concerne le contrôle de la corruption généralisée : celles qui prônent la nécessité de créer des institutions fortes et celles qui se concentrent sur la façon dont les gens pensent. Les théories institutionnelles sont mieux décrites par le travail de Transparency International53, qui a introduit le concept d’évaluation du Système national d’intégrité, basé sur une approche holistique pour prévenir la corruption, en examinant l’ensemble des institutions concernées et leurs relations. La théorie de Transparency International est que si les institutions étaient solides, les gens ne seraient même pas tentés de participer à la corruption. Le deuxième groupe de théories, celles qui concernent la manière dont les gens pensent, se concentre sur la manière dont les gens traitent la violation des règles ou la décision d’un individu de s’engager dans la corruption54 :
Bp>Cpsy + pp (Ccrim + Csoc) + Cfav. Dans cette équation, Bp représente le bénéfice perçu pour un acte de corruption, Cpsy le coût psychologique, pp la probabilité perçue, Ccrim le coût pénal, Csoc le coût social pour l’individu et Cfav le coût pour avoir commis un acte de corruption.
Selon cette équation, un acte de corruption a plus de chances de se produire si le bénéfice perçu — Bp — est supérieur à la somme
- des coûts psychologiques — ou à ce que la personne ressentira, ce qui a trait à ses valeurs personnelles,
- de la probabilité perçue des coûts criminels et des coûts sociaux pour l’individu — ce qui a trait aux normes sociales, et
- des coûts pour avoir commis un acte de corruption — à quel point il serait facile ou difficile de le commettre.
Cette théorie souligne l’importance des normes sociales. Les experts s’accordent à dire que les deux théories convergent parce que les normes sociales sont assurées par les institutions. Le défi consiste à savoir comment créer des institutions fortes et comment modifier les normes sociales pour lutter contre la corruption.
Au cours des dix dernières années, les efforts internationaux et nationaux de lutte contre la corruption généralisée ont attiré l’attention55, 56. La bonne gouvernance est un facteur crucial pour le bon fonctionnement du système de santé et pour de meilleurs résultats en matière de santé57, 58. Toutefois, il faut chercher des solutions contre la corruption dans le secteur de la santé, même en l’absence de systèmes de santé solides, de volonté politique ou de réformes systémiques. Bien que cela puisse être difficile, il est impératif de s’attaquer à la corruption dans le secteur de la santé mondiale.
Certains experts suggèrent qu’il existe trois facteurs clés qui augmentent les possibilités de s’engager dans des pratiques de corruption au sein du secteur de la santé : premièrement, être en position de pouvoir — la position relative d’un travailleur de la santé par rapport à un patient — dans un système dont la surveillance est inadéquate offre une possibilité d’abus ; deuxièmement, les pressions financières, des pairs ou personnelles ; et, troisièmement, une culture qui accepte la corruption37. Le renforcement de la responsabilité, l’amélioration des données, l’amélioration de la supervision, l’amélioration des salaires, la mise en place d’incitations pour récompenser les bonnes performances et de sanctions pour les mauvaises performances, l’augmentation de la transparence — divulgation active de la manière dont les décisions sont prises et des mesures de performance —, et la mise en place d’une plateforme permettant aux citoyens de s’exprimer et à la police de faire appliquer la loi — détection et application — sont toutes des mesures qui ont été suggérées10, 15.
En tant qu’académicienne et scientifique, j’ai décidé de chercher des preuves de ce qui fonctionne pour lutter contre la corruption dans le secteur de la santé et j’ai commencé par explorer le terme « corruption » dans PubMed. J’ai été choqué par la rareté des publications. Je l’ai comparé aux termes « implants mammaires » et « VIH ». Pour 2018, je n’ai trouvé que 122 articles liés à la corruption, contre 478 pour les implants mammaires et 14 718 pour le VIH.
La plupart des articles que j’ai trouvés concernaient une description de la corruption et une analyse du problème, exploraient des cas et des situations, et fournissaient des recommandations spécifiques basées sur des théories. Toutefois, j’ai pu trouvé une analyse méthodique de 2012 et une autre issue de la bibliothèque Cochrane de 2016, qui ont toutes deux montré l’absence de preuves de ce qui fonctionne pour réduire la corruption dans le secteur de la santé59, 60.
Rechercher dans le monde réel des mesures anti-corruption à prendre dans le domaine de la santé mondiale
La lutte contre la corruption est possible, même si elle peut être difficile au début. Comprendre ce qui fonctionne et comment surmonter les difficultés de mise en œuvre sont des points de départ importants. Il existe de nombreuses suggestions de stratégies pour lutter contre la corruption, notamment : l’amélioration de la gestion financière, la gestion des conflits d’intérêts, l’amélioration des politiques et des processus d’enquête et la pénalisation des actes de corruption, la participation de la communauté — pouvoir du peuple —, l’utilisation de plateformes technologiques pour la surveillance active, la production participative d’informations, l’utilisation de données volumineuses et l’usage de l’exploration de ces données, et de la reconnaissance de modèles pour identifier les profils de fraude ou d’abus. Toutefois, les preuves de l’efficacité de ces suggestions sont encore rares61, 62, 63, 64, 65. Il convient d’étudier si l’amélioration des systèmes d’information sur la santé pourrait contribuer à la lutte contre la corruption. Les pays qui ont déjà travaillé dans ce domaine peuvent nous aider à mieux utiliser les données. Au Pérou, en 2017, le ministère de la santé a commencé à utiliser les dossiers de santé électroniques pour permettre l’utilisation des données afin d’aider à maintenir la responsabilisation. Il n’existe cependant aucun plan sur la manière d’utiliser les données pour prévenir ou détecter les situations de corruption.
L’introduction de technologies d’authentification ou de vérification des produits pour prévenir le détournement de médicaments ou de faux médicaments devrait également être testée et leur rentabilité mesurée4. Comment les normes sociales devraient-elles être abordées ? Comment améliorer nos programmes de formation professionnelle ? Comment le système de soins de santé peut-il rompre l’asymétrie de l’information et les abus ? Est-il vrai qu’avec de meilleurs salaires, nous mettrons fin à la corruption ? Qu’est-ce qu’un bon salaire ? La rémunération correcte du personnel est-elle une condition préalable à la réduction des avantages offerts et propres à compléter les salaires ? En outre, comment peut-on mesurer plus précisément la corruption dans le secteur de la santé ? Ce sont là autant de questions auxquelles nous devons répondre par des recherches bien conçues, axées sur la prévention de la corruption dans le secteur de la santé. Plusieurs auteurs ont déjà mis en évidence des questions de recherche ouvertes qui doivent être abordées : nous devons commencer à y travailler15, 66.
Nous pouvons commencer par concevoir et tester des interventions anti-corruption pour le domaine de la santé, pour la santé mondiale. Nous pourrions commencer par la base, en faisant de petits pas. Nous avons besoin de méthodes de recherche rigoureuses pour prouver ou infirmer qu’une stratégie fonctionne. Pour s’attaquer à la corruption et y mettre fin, il faudra la participation de chercheurs issus de plusieurs disciplines et de multiples approches, et l’engagement des bailleurs de fonds à soutenir une recherche sérieuse. La corruption dans le domaine de la santé mondiale ne doit pas rester un secret de polichinelle, elle doit être confrontée et mise en lumière.
Une part importante des subventions est axée sur la découverte et le développement de nouveaux outils de santé. Le financement de la recherche sur les interventions contre la corruption est encore très rare dans le monde. Tous les pays, quel que soit leur niveau de développement économique, devraient s’engager de la même manière à contribuer à ce que, dans notre monde — et je veux renforcer notre monde, et non pas le soi-disant Sud global et le Nord global, qui est une division absurde — la corruption dans le domaine de la santé soit éliminée de la même manière que nous réalisons les engagements pris pour éradiquer des maladies. J’ai bon espoir que dans les années à venir — si les interventions contre la corruption dans le domaine de la santé sont bientôt testées — nous disposerons de modèles anti-corruption efficaces qui pourraient réellement accélérer les améliorations dans le domaine de la santé mondiale.
Source de l’article initialement publié en anglais le 27 novembre 2019 : The Lancet
Traduction : Sott.net
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