Depuis les événements du 13 Novembre à Paris, les forces spéciales engagées dans la lutte anti-terroriste ont été mises à l’honneur. Derrière ce nom se cache des soldats cagoulés de noir qui vont «accomplir des actions ciblées» sous les ordres directs du Président de la République, dans une opacité digne des meilleures « démocraties ».
Dire qu’il y a un temps, pas si lointain, où le défunt Charles Pasqua était honni par la gauche parce qu’il voulait «terroriser les terroristes» et que Vladimir Poutine prouvait son fascisme en voulant «buter les terroristes jusque dans les chiottes». On ne peut, a priori, que se réjouir de voir un gouvernement prendre des mesures préventives contre des forces hostiles voulant s’en prendre à nos concitoyens. Et on peut même rêver que de telles mesures seront étendues à tous ceux qui nous menacent : les spéculateurs, les traders, les banquiers, les agents du FMI, etc… Mais il s’agit d’une satisfaction « a priori » seulement et qui suppose que l’on n’aille pas plus loin que la présentation médiatique qui nous est faite. Allons plus loin et posons-nous la question suivante : qu’est-ce qu’un terroriste ?
Pour répondre à cette question nous partirons d’une anecdote avec des propos que l’on prête à Joseph Goebbels, ministre de la propagande du III° Reich. Devenu maître du cinéma allemand qui n’était pour lui qu’une annexe de la propagande, il offrit au cours d’une entrevue un poste important au réalisateur Fritz Lang. Celui-ci s’étonna de cette offre en faisant remarquer au ministre que c’était impossible car il était d’origine juive. Goebbels répondit alors: «maintenant c’est nous qui décidons qui est Juif et qui ne l’est pas».
La lutte contre le « pré-terrorisme » intérieur
Il en va de même du « terroriste », ce sont les gouvernements qui décident qui le sera ou pas. Les premiers groupes terroristes pourchassés aux Etats-Unis grâce aux lois mises en place au lendemain du 11 septembre 2001, furent les activistes de l’écologie radicale qui avaient la fâcheuse habitude d’incendier des concessions vendant des hummers et autres énormes 4×4, d’attaquer des laboratoires pratiquant des expériences sur des animaux et de saboter des engins de chantier. On les désigna comme «terroristes intérieurs», tout cela bien sûr au nom de la guerre sainte contre le terrorisme.
D’autres époques ont connu différentes formes de terrorisme, la nouveauté de notre temps apparaît dans le fait que désormais la lutte anti-terroriste se prétend scientifique en anticipant les actions, elle inclut donc la lutte contre le «pré-terrorisme». Cela n’est que l’application au terrorisme de procédés que l’on trouve partout au sein du processus industriel: zéro défaut, principe de précaution, prévention des risques, etc…. Des experts (sociologues, psychologues et autres) travaillent dans des officines gouvernementales à définir cet ennemi invisible pour effectuer des frappes préventives avant qu’il ne passe à l’acte, en créant ainsi le concept de «personnes en voie de radicalisation». Celles-ci se reconnaitraient au fait qu’elles s’isolent des autres, qu’elles lisent, qu’elles refusent de s’intégrer professionnellement, autant dire que si vous êtes timides, solitaires et que vous êtes au chômage, vous êtes peut-être un(e) radical(e) qui s’ignore. Ces critères sont certainement évolutifs selon l’adversaire désigné et peut-être que demain vous serez un «terroriste en devenir» si vous n’avez pas de télévision, pas de téléphone portable ou pas de page Facebook car on peut supposer que si on ne montre rien c’est qu’on a sans doute quelque chose à cacher. Mais ne vous inquiétez pas, si vous n’osez pas parler de vos doutes autour de vous, il existe déjà un numéro vert permettant à un de vos proches de vous dénoncer.
Le terrorisme est un mot qui contient en lui-même une telle charge émotionnelle qu’il peut se passer de toute définition. Il permet de désigner un adversaire sans avoir besoin de fournir d’explications car il est tout de suite associé, dans l’inconscient collectif créé par les médias, à des images de corps ensanglantés, de cris, de larmes. Son élimination paraît donc normale et logique au même titre qu’on ne se pose aucune question quand on veut combattre une maladie ou une infection. Aujourd’hui c’est le terroriste musulman qui est ciblé, mais ne doutons pas que demain lui sera associé le militant nationaliste, celui de l’ultragauche, l’écologiste radical: du djihadiste qui revient de Syrie au zadiste de Notre-Dame-des-Landes, on voit déjà se dessiner le célèbre et funeste arc noir-brun-rouge-vert. Car celui qui s’oppose à la construction d’un barrage ou d’un aéroport ne met-il pas en péril la si fragile reprise économique, ne cherche-t-il pas empêcher la création de milliers d’emplois que ces grands ouvrages vont permettre ?
Mais au fond qu’est-ce qu’un terroriste ?
Pour éclairer notre propos nous allons parler d’un terroriste, un vrai, d’un homme seul (un loup solitaire selon la terminologie en vigueur) ayant commis un attentat contre le représentant légal de son pays et ayant fait de nombreuses victimes innocentes. Son nom était Johann Georg Elser et sa cible Adolf Hitler. Né en 1903, il n’était pas un brillant intellectuel de la Révolution Conservatrice mais un modeste ouvrier membre du KPD (Parti communiste allemand), ni un agent du Komintern mais un membre d’une association de protection de la nature. Il avait compris qu’Hitler menait son pays à la guerre et à la ruine sans que personne ne réagisse. Il décida donc de l’éliminer en fabriquant une bombe qu’il déposa en novembre 1939 à la Bürgerbraükeller, la brasserie munichoise où Hitler venait chaque année célébrer l’anniversaire du putsch manqué de 1923. Mais celui-ci écourta son discours. La bombe explosa à l’heure dite mais Hitler était déjà parti. L’attentat fit 9 morts et 63 blessés. Rapidement arrêté et torturé, Elser déclara avoir agi seul, ce qui déconcerta la police qui voyait dans cette action la main des services secrets britanniques. Il restera en prison jusqu’à sa mort au camp de Dachau le 9 avril 1945. Les nazis le gardaient en vie pour sans doute faire son procès une fois la guerre terminée mais ses gardiens l’exécutèrent. On peut s’étonner que cet homme qui a voulu, de manière isolée, s’opposer à la guerre soit à ce point méconnu alors que sont célèbres les officiers qui, en juillet 1944, commirent eux aussi un attentat contre Hitler. Des officiers galonnés font sans doute meilleure figure pour la postérité qu’un simple ouvrier communiste. Elser, comme l’immense majorité du peuple allemand (les travaux de l’historien Ian Kershaw l’ont prouvé), ne voulait pas la guerre mais il a été un des seuls à tout faire pour l’empêcher. Etait-il un terroriste ou un héros ?
Notre objectif, en posant cette question, n’est pas de glorifier le terrorisme. Derrière l’acte terroriste il y a rarement des hommes comme Elser mais des manipulations, des enjeux occultes et il sert toujours à renforcer les structures qu’il est censé combattre. Ainsi Hitler, au lendemain de cet attentat n’a pu que se croire toujours plus désigné par la Providence pour réaliser sa mission et la police a pu renforcer ses dispositifs de contrôle et de répression contre sa propre population.
Les terroristes anarchistes de la fin du XIX° siècle voulaient terroriser le Bourgeois et forcer le peuple à sortir de sa léthargie. Dans les années 1970, les terroristes d’extrême-gauche s’inspiraient des luttes sud-américaines et du théoricien révolutionnaire brésilien Carlos Marighella qui dans son Petit manuel du guérilléro urbain dit que «le principe de base de la stratégie révolutionnaire dans les conditions d’une crise politique permanente est de développer une telle quantité d’actions révolutionnaires que l’ennemi se voit obligé de transformer la situation politique du pays en situation militaire. De cette façon l’insatisfaction s’étendra à toutes les couches de la population.» D’anciens terroristes de la Fraction Armée Rouge allemande ont réfléchi en prison sur le sens de leurs actions et certains dissidents (dissidents car ils se sont séparés du groupe sans renier leur engagement ni trahir leurs camarades) comme Mahler ou Backer ont reconnu que le terrorisme ne fait qu’accélérer la « fascisation » de l’Etat et fait sciemment le jeu de la réaction, c’est-à-dire ce contre quoi il est censé lutter. Ils ont fait le constat qu’il est la preuve d’une impuissance à changer l’Etat et la société car leurs actions les ont isolés de leurs camarades modérés qui se sont détournés d’eux et ainsi l’identification de la population à l’Etat et à son appareil de pouvoir s’est renforcée. Ils ont compris dans quelle impasse ces actions terroristes les avaient menés mais justement le choix de la violence et la fidélité au groupe empêchait tout retour en arrière et les forçait à persévérer jusqu’à la mort ou l’arrestation par la police. Ils en ont conclu qu’avec la violence, on se coupe des masses et de leurs luttes au lieu de les précéder et qu’il faut dès lors envisager des formes de luttes plus en prises avec les mouvements sociaux.
Les dignes enfants de ce monde
A notre époque, la figure d’un terroriste comme Elser apparaît bien datée. Ce dernier avait ancré son action dans une conviction forte. Les terroristes des années 1970 et 1980, qu’ils soient de gauche (Italiens, Allemands) ou nationalistes (Basques, Irlandais, Palestiniens) étaient, pour la plupart, des militants convaincus qui avaient choisi la violence en connaissance de cause. C’était pour eux un moyen cruel mais nécessaire pour détruire l’Etat et l’ordre capitaliste qu’il représentait. Mais tout cela paraît très loin de notre monde et du terrorisme tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Le terroriste moderne, islamiste ou raciste, ne se bat pas pour une cause mais il veut tuer le maximum de monde et souvent lui le premier pour «faire du chiffre» dans une surenchère sanglante entre groupes rivaux qui se battent pour des parts de marché et «faire le buzz» dans les médias. Ses techniques et ses «idéaux» sont mondialisées, tout comme la finance, et peuvent facilement s’exporter. Il se construit devant son écran, via Internet, une vague idéologie pour justifier sa violence et son envie de mourir. Il ne cherche pas une raison de vivre mais une raison de tuer. Il ne s’attaque pas aux puissants bien protégés par leurs services d’ordre mais aux pauvres gens, au peuple, à des gens le plus souvent désarmés, à ceux qui sont aux mauvais endroits aux mauvais moments, dans le seul but semble-t-il de les punir d’être là, d’exister. Sartre ne disait-il pas que «l’enfer c’est les autres» et André Breton n’affirmait-il pas que «le geste surréaliste par excellence serait de descendre dans la rue avec une arme et de tirer au hasard sur les passants»? La vérité du terrorisme moderne est plus clairement définie là que dans les sourates du Coran.
Le terroriste moderne veut punir l’humanité entière de l’impuissance et du mal-être dont il est prisonnier, ce mal-être et cette impuissance qui ne sont que les fruits du nihilisme engendré par le système capitaliste. En fait pour lui il n’y a plus de cause, plus d’idéal, sinon celui de tuer et de mourir. Il est le digne enfant de ce monde et on peut même aller jusqu’à voir l’attentat de Charlie Hebdo comme une sorte de «meurtre du père»: à rire de tout, à tout mépriser, à tout tourner en dérision, on donne naissance à des enfants qui n’ont plus envie de rire ni même envie de vivre, pour qui la mort n’est rien, que ce soit la sienne ou celle des autres et paraît même la seule chose désirable dans un monde vide et incohérent où tout se vaut.
Stéphane C.
Article paru dans Rébellion en 2015
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