Alors qu’Ottawa et les provinces ont fait front commun jusqu’ici pour affronter la crise de la COVID-19, des signes de tensions sont apparus entre le gouvernement Trudeau et Québec depuis lundi sur deux fronts : l’aide fédérale accordée aux étudiants postsecondaires et la gestion de l’hécatombe dans les CHSLD.
En coulisses, à Québec, on broie du noir depuis que le premier ministre Justin Trudeau a dévoilé sa prestation d’urgence pour étudiants postsecondaires de 1250 $ par mois, de mai à août. Car cette aide mensuelle vient couper l’herbe sous le pied du gouvernement du Québec, de l’Union des producteurs agricoles (UPA) et des entreprises agroalimentaires qui multiplient les efforts pour pourvoir de nombreux postes vacants, essentiels pour assurer la sécurité alimentaire au Québec, regrette-t-on.
C’est que la semaine dernière, le gouvernement Legault avait annoncé un incitatif financier de 100 $ par semaine afin de procurer une main-d’œuvre locale aux producteurs agricoles, qui n’arriveront pas à pourvoir tous les postes en faisant appel à des travailleurs étrangers temporaires du Mexique ou du Guatemala. Cette mesure visait à convaincre des travailleurs qui ont perdu leur emploi et qui reçoivent la prestation canadienne d’urgence de 2000 $ par mois de se rendre dans les champs. Québec avait notamment dans sa ligne de mire les employés au chômage des restaurants et les étudiants.
Et les mains se levaient par centaines : dès lundi, on avait reçu plus de 3000 demandes d’emploi de jeunes et d’étudiants. Les entreprises agricoles commençaient à voir le bout du tunnel. Mais l’annonce de Justin Trudeau est venue changer la donne. En conférence de presse, jeudi, le premier ministre François Legault a émis une critique plutôt succincte : « Bon, là, il y a un nouveau programme pour les étudiants. C’est sûr que ça peut avoir un certain impact. »
Mais dans les officines du gouvernement, on critique allègrement la mesure. « Dans le milieu agricole et agroalimentaire, ç’a vraiment été une douche froide pour tout le monde », a affirmé à La Presse une source bien au fait du dossier à Québec.
« À cause de l’annonce du fédéral, il n’y en a plus un qui va vouloir venir travailler. Cela vient tuer ce que l’on fait et ce sur quoi on travaille depuis 10 jours. »
— Une source gouvernementale à Québec
« On ne voit pas comment les étudiants vont choisir de travailler dans les champs ou dans les autres commerces qui seront ouverts alors qu’il y a tous ces véhicules financiers qui les incitent à rester chez eux. »
À Québec, on rappelle qu’il y a déjà une pénurie de « plusieurs milliers de travailleurs étrangers temporaires » qu’il faut remplacer cet été. « Les fruits et légumes, ils ne se font pas cueillir par magie. Il y a des producteurs qui parlent déjà de ne pas courir le risque de semer cet été parce qu’il y a trop d’incertitude autour de la main-d’œuvre. L’annonce du fédéral, c’est vraiment un coup dans les jambes de tout ce que l’on tente de faire depuis le début de la crise dans le secteur alimentaire », a-t-on souligné.
« Le gouvernement du Québec lance un appel à la fierté, à la solidarité, et on veut que nos gens travaillent. Mais de l’autre côté, on a un gouvernement fédéral qui adopte une autre approche et qui dit essentiellement : “Restez chez vous jusqu’à nouvel ordre, ne travaillez pas, l’argent pousse dans les arbres !” », a-t-on illustré.
Le président de l’UPA, Marcel Groleau, « partage l’opinion de M. Legault », a signalé à La Presse le porte-parole de l’organisation, Patrice Juneau. « Nous n’avons pas analysé en détail l’aide fédérale aux étudiants. Ce que M. Groleau peut dire à ce moment-ci, c’est que de façon générale, plus on bonifie l’aide aux citoyens pour combler l’absence d’emplois, moins il sera intéressant d’aller travailler », a-t-il ajouté dans un échange de textos.
Mais à Ottawa, Justin Trudeau a défendu bec et ongles la mesure phare de son nouveau plan d’aide pour les étudiants, qui prévoit des versements pendant quatre mois, de mai en août.
« Je ne vais pas m’excuser d’avoir appuyé nos étudiants pendant ce moment difficile. »
— Justin Trudeau
« S’assurer qu’ils aient l’argent pour couvrir leur loyer, payer leur épicerie, être sûr de pouvoir retourner aux études à l’automne, c’est la bonne chose à faire », a appuyé le premier ministre du Canada, jeudi, à Rideau Cottage
Invité à dire si cette générosité pourrait entraîner une pénurie de main-d’œuvre dans certains commerces qui embauchent normalement des étudiants, souvent à des salaires peu élevés, Justin Trudeau a réitéré sa foi en la jeunesse. « Je connais les jeunes Canadiens, et je connais les jeunes à travers le pays qui vont vouloir faire partie de la solution, qui vont vouloir pouvoir aider, contribuer à la relance économique à leur façon », a-t-il argué.
« NOS MILITAIRES NE DEVRAIENT PAS PRENDRE SOIN DES AÎNÉS »
Au fédéral, des sources gouvernementales qui ont parlé à La Presse se montrent un peu perplexes par rapport à la manière dont le gouvernement caquiste a géré l’enjeu du déploiement des Forces armées canadiennes.
Selon nos informations, la plus récente requête de déploiement, celle de 1000 soldats, a été faite dans un très bref courriel – ce qui est inhabituel pour une requête de cet ordre – tout juste avant que François Legault ne l’annonce en direct la télévision, mercredi. Et la semaine passée, lorsqu’il a demandé du personnel militaire médical, jamais le gouvernement Legault n’avait évoqué le besoin d’avoir « des bras » – du personnel militaire pour des rôles de soutien, dit-on à Ottawa.
N’empêche, le lendemain, Justin Trudeau a promis d’accéder à cette autre demande, mais il l’a fait à contrecœur, à en croire la façon dont il l’a annoncé. « Le Québec et l’Ontario nous ont demandé l’aide de l’armée – des demandes qu’on va accepter. Nos militaires iront prêter main-forte comme ils le font toujours », a-t-il déclaré jeudi avant d’émettre des doutes quant au recours à l’armée pour de telles missions.
« Il ne s’agit pas d’une solution à long terme. »
— Justin Trudeau
« Au Canada, nos militaires ne devraient pas prendre soin de nos aînés. Au cours des prochaines semaines et des prochains mois, on va devoir examiner comment on en est arrivé là », a-t-il fait valoir.
Selon ce qu’a confié à La Presse une source gouvernementale haut placée, il ne s’agissait pas d’un reproche à l’endroit du Québec ou de l’Ontario, mais une réflexion plus large sur l’état du système de santé au pays.
UNE STRATÉGIE MÉDICALE DE RECHERCHE
Le gouvernement fédéral met en place une stratégie médicale et de recherche d’une valeur de 1,1 milliard de dollars pour lutter contre la COVID-19. « Le premier volet de cette stratégie porte sur les vaccins et les traitements. On investit près de 115 millions de dollars dans la recherche sur les vaccins dans les hôpitaux et les universités à travers le pays », a indiqué Justin Trudeau. Le deuxième volet, assorti d’une enveloppe de 662 millions de dollars, servira aux essais cliniques de vaccins et traitements potentiels. Enfin, Ottawa investira dans les tests pour modéliser la maladie. Le mandat a été confié à un groupe de travail composé du Dr David Naylor, de la Dre Catherine Hankins, du Dr Tim Evans, avec l’appui de la Dre Theresa Tam et de Mona Nemer, la scientifique en chef du Canada. Ils coordonneront des tests sanguins qui vont aider à retracer le virus et à mieux comprendre comment l’on peut s’immuniser contre la COVID-19.
UN DÉPUTÉ BLOQUISTE VEUT MOINS DE RÉUNIONS
Alors que les travaux parlementaires sont suspendus depuis le 13 mars, un député du Bloc québécois demande au comité permanent de la santé de la Chambre des communes de réduire la cadence en limitant le nombre de ses rencontres hebdomadaires qui portent pourtant sur la réponse canadienne à l’éclosion du coronavirus. Le député bloquiste Luc Thériault a présenté une motion en ce sens à la dernière réunion du comité. Sa requête, qui a été mal reçue par les autres partis politiques, sera évaluée lors de la prochaine réunion. La Presse a obtenu une copie de sa motion jeudi après-midi. Depuis la suspension des travaux parlementaires, le 13 mars, le comité de la santé et le comité des finances sont essentiellement les deux seuls comités qui tiennent des audiences virtuelles.
— Joël-Denis Bellavance, La Presse
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec