Mais pourquoi est-ce que la famine menace alors que les denrées existent? Explications

Mais pourquoi est-ce que la famine menace alors que les denrées existent? Explications

Dans un rapport alarmant publié le 3 avril dernier, le Programme alimentaire mondial (PAM) s’inquiète du risque d’insécurité alimentaire créé par la pandémie de coronavirus. Même si aucune « pénurie » n’est en vue, la « loi du marché » menace de jeter des centaines de millions d’êtres humains dans la détresse.

Dans un rapport alarmant publié le 3 avril dernier, le Programme alimentaire mondial (PAM) s’inquiète du risque de pénurie alimentaire créé par la pandémie de coronavirus, et qui menacerait de famine des centaines de millions de personnes dans le monde, majoritairement en Afrique. Mauvaises récoltes ? Problèmes liés à la demande ? « On a des deux à la fois », explique l’agence humanitaire des Nations unies, qui constate que le problème vient en réalité des conséquences du confinement et des logiques spéculatives sur les matières premières. Le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, est au diapason :

« Nous devons assurer le maintien des chaînes d’approvisionnement, spécialement celles de l’alimentation, de la pharmacie et des équipements médicaux, surtout dans les zones les plus pauvres et les plus vulnérables du monde. En général, nous sommes confrontés à un choc d’approvisionnement comme une sécheresse, ou un choc de la demande comme une récession. Les deux, c’est vraiment inédit. »

Le 4 avril, au Ghana à Accra, une distribution d’eau et de nourriture, denrées rares et vitales à la population fragilisée par le Covid-19. Nipah Dennis / AFP)

Les difficultés de transport liées au confinement

L’ONU ne constate pourtant aucune pénurie particulière susceptible de provoquer une famine : « Les denrées existent », constate l’organisation internationale, le problème résidant davantage dans les difficultés de transport liées au confinement, ou encore les comportements « irrationnels » des marchés financiers. « L’Argentine a bloqué des camions dans certains de ses ports d’export de céréales, qui sont très importants, explique Tiphaine Walton, porte-parole du PAM. Si les marchés mondiaux des céréales de base sont bien approvisionnés, et les cours globalement bas, les denrées doivent voyager des greniers du monde vers leurs lieux de consommation », mais « les mesures de confinement mises en place pour lutter contre le Covid-19 commencent à poser des problèmes à cet égard ». En clair, de nombreuses économies fragiles dépendent de leurs exportations de pétrole ou de matières premières dont les cours se sont effondrés à cause du ralentissement de l’économie mondiale, amenuisant leurs capacités à exporter, et accentuant un stress alimentaire dramatique.

Une situation déjà critique avant l’épidémie

Au début de 2020, le PAM enregistrait déjà un nombre record de 45 millions de personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, en situation de grave insécurité alimentaire pour la seule zone de l’Afrique australe. Et « 113 millions de personnes à travers le monde étaient déjà confrontées à une situation d’insécurité alimentaire grave ou aiguë en raison de crises ou de chocs préexistants », bien avant le début de la pandémie de Covid-19, rappelle Dominique Burgeon, directeur de la division des urgences et de la réhabilitation de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation (FAO) : « La vaste majorité de ces personnes vivent en milieu rural et dépendent de la production agricole, d’emplois saisonniers dans l’agriculture, de la pêche ou encore de l’élevage. S’ils tombent malades ou se voient limités dans leurs mouvements ou activités, ils ne pourront pas se rendre sur leurs terres pour travailler, s’occuper de leurs animaux, aller pêcher ou accéder aux marchés pour vendre leurs produits, acheter de la nourriture, se procurer des semences ou encore de l’équipement. »

Apparition d’une bulle spéculative autour des denrées essentielles

Mais, comme lors de la crise financière de 2008, les famines ou disettes alimentaires anticipées par les organisations internationales n’ont rien à voir avec une quelconque pénurie réelle, mais davantage avec la loi du marché et les logiques spéculatives. Sans surprise, les annonces de confinement entraînent des flambées des prix des produits de première nécessité sur les marchés locaux, et aucune mesure de régulation n’a encore été adoptée pour empêcher la logique du profit de l’emporter sur la sécurité alimentaire.

En septembre 2010, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation, Olivier de Schutter, avertissait : « L’augmentation et l’instabilité des cours des principales denrées alimentaires ne peuvent se comprendre que par l’apparition d’une bulle spéculative. En particulier, il y a lieu de croire que le phénomène s’explique pour une part appréciable par l’entrée sur les marchés d’instruments financiers dérivés des cours des denrées alimentaires, d’investisseurs institutionnels importants et puissants tels que les fonds spéculatifs, les fonds de pension et les banques d’investissement – des acteurs financiers qui, d’ordinaire, ne s’intéressent pas aux marchés agricoles.

Des instruments financiers dérivés des produits de base

Cette entrée a été rendue possible, à partir de 2000, par la libéralisation des marchés des principaux instruments financiers dérivés des produits de base. Ces facteurs n’ont pas encore été complètement éliminés et, pour cette raison, ils demeurent capables d’alimenter une flambée des cours au-delà des niveaux qui seraient justifiés par les grandes tendances de l’offre et de la demande. Par conséquent, une réforme fondamentale de l’ensemble du secteur financier mondial doit être opérée d’urgence si l’on veut éviter une nouvelle crise des prix alimentaires. » Une réforme que la planète « financière » dévorée par le Covid-19 attend toujours.

Marc de Miramon

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