Les modes passent et repassent. Certaines sont intéressantes et malheureusement éphémères et d’autres s’étirent en longueur. Au long des années, une métamorphose regrettable s’est opérée dans les médias d’affaires publiques et d’information, la Société Radio-Canada en tête. À la SRC, dans les décennies avant l’issue équivoque du référendum de 1995, brillait le quatrième pouvoir, des journalistes de calibre, armés d’un vocabulaire impeccable dans les émissions d’affaires publiques. Ils étaient libres et souverains autant que peuvent l’être des intellectuels attachés à la rigueur des faits. Leur mission était non pas seulement d’informer, mais d’inculquer un esprit critique, de vulgariser la complexité du monde, de questionner sans complaisance la géopolitique canadienne et québécoise et les rapports de force qui la soutenant, ce qui ne pouvait que mettre en lumière les torts causés par le régime fédéral sur la nation canadienne-française et sur le développement politique de son État, le Québec.
Dans leur sens large, les idées libérales promues par cette approche journalistique sous le règne du premier ministre Trudeau ne respectaient pas selon lui sa mission de promouvoir aveuglément l’unité canadienne. L’intelligence de la population et son devoir de respect par le quatrième pouvoir radio-canadien était donc de nature à offenser le détracteur jadis de l’obscurantisme comme il le décrivait lui-même du régime Duplessis.
Trudeau, lors d’un discours imagina de leur jeter l’oppobre en les qualifiant de « repère de séparatistes » et de les obliger à s’autocensurer en menaçant la SRC de « mettre la clé dans la porte ». Cette menace indigne tomba comme il se doit dans l’oreille d’un sourd du moins pour un temps avant qu’elle ne soit recyclée sous une autre forme cette fois par l’homme de théâtre, Trudeau le fils. À la SRC, sans doute par hasard maintenant, on retrouve les affaires politiques mélangées avec le divertissement. Les grands journalistes d’antan ont fait place aux maîtres de cérémonies et aux humoristes. Dans ces émissions, le « franglais » fait fureur et les esclaffements en rafale ébranlent ce qui reste de sérieux. Sauf lorsqu’il s’agit de casser du sucre sur son dos, le sort de la nation québécoise et les enjeux existentiels du francais pour la nation qui s’excuse d’exister le plus au monde y sont rarement à l’ordre du jour la cause étant entendue. Malgré tout, au désespoir des fédéraux de la SRC, le Québec a encore en son sein un immense noyau dur qui refuse de baisser les bras et régimbe encore contre vents et marées à se laisser embourber. Pour séduire ces récalcitrants, l’organe fédéral tente sa chance dans la réingénierie identitaire par le matraquage du lexique du parfait colonisé. Les expressions surannées ressortent des boules à mites. La bienséante et ridicule « province » revient en boucle afin de tempérer le nom du Québec lequel dans le reste du Canada passe pour un concept identitaire outrancier et pourquoi pas quand la chance est avec nous, l’expression « la belle province » pour ajouter au ridicule une touche de distinction.
Les mots ne sont pas innocents, ils traduisent une mentalité, une idéologie, un état d’esprit. Laisser passer un mot, c’est le tolérer. Et de la tolérance à la complicité, il n’y a qu’un pas à conclure que Radio-Canada instrumentalise soigneusement les mots et les expressions dans le but d’occulter la conscience nationale des Québécois pour cause de dissonance dans le concert du credo muticulturaliste et communautariste. Cette tendance a atteint d’autres médias où l’apparence de désaffection envers le Québec est érigée comme une démonstration de probité journalistique de bon aloi. Dans l’édition du journal Le Devoir du 10 août dernier se trouvait un article traitant de l’architecture des établissements scolaires du Québec. Le journaliste auteur de cet article n’a pas jugé utile de situer son sujet autrement qu’en référant à « la province ». Pas une seule fois, il n’a cru bon de nommer le Québec par son nom. Un journaliste du Québec connaissant nécessairement la définition des mots, sans doute trempé d’une vaste culture générale et d’humanités, avide sans doute de vertu à étaler n’a rien pu trouver de mieux pour affubler le Québec qu’un titre de misère.
Cet exemple symptomatique dans les médias d’une indolence envers la nation québécoise laisse songeur parce qu’elle balaie la fantastique aventure de courage de la Nouvelle-France jusqu’aux combats du Québec moderne qui l’ont puissamment défini, menés par lui seul pour arracher ses droits constamment remis en question par les fédéraux. Il faut n’avoir jamais eu vent des batailles pour la démocratie et des combats pour la reconnaissance du français comme langue d’assemblée en 1794. Ne rien comprendre de Saint-Denis à Saint-Charles, de Saint-Eustache à Saint-Léonard, du samedi de la matraque au McGill français, du rapatriement de l’impôt direct, de la doctrine Gérin-Lajoie, de la nationalisation de l’électricité, de la loi 101. Il faut dormir profondément pendant la défense des lois linguistiques et de laicité du Québec contre les interminables avocasseries appuyées et financées par le gouvernement fédéral.
Les mots ont en effet une histoire et un sens malgré l’usage abusif et leur instrumentalisation cynique dont le but est de les travestir ou de les banaliser. Ils n’en demeurent pas moins porteurs d’une réalité qu’il vaut mieux entendre pour la comprendre à sa juste valeur. On l’a constaté avec la cabale des agglutinés du pouvoir moyenagiste fédéral pour tenter de maintenir le serment d’allégeance au roi Charles III à l’Assemblée Nationale prétextant à la fois qu’il ne veut rien dire, qu’il est inoffensif, mais qu’il est extrêmement important de le maintenir et que, de toute façon nous n’avons pas le choix. La suite a prouvé que ces dévots de la servilité avaient tort et à la grande joie de la population du Québec, le serment royal fut aboli.
Retour aux sources du mot « province », du latin « pro victis ». Le concept de la terre des vaincus en vogue chez les fédéraux pour parler du Québec est depuis toujours incrusté comme une verrue sur les perdants de l’histoire. Une manière d’insulte institutionnalisée, « province » est le vice d’appellation parmi tant d’autres commis lors du traité de Paris en 1763 par le conquérant anglais avide se faisant de planter le décor de son arrogance. Il signifie une figure gouvernementale imposée donc nécessairement bancale et en définitive la quintessence d’un oxymore en prétendant définir l’existence théorique de ce qu’il s’emploie depuis toujours à nier dans les faits, en l’occurence celle de la nation québécoise et de son territoire. Les exemples pour illustrer ce propos abondent depuis les plaines d’Abraham. L’histoire du Québec, du Canada français, des Métis et des Acadiens en est jalonnée de trahisons, de coups de Jarnac, de spoliations, de jambettes plus qu’il n’en faut pour s’en barrer les pieds. Citons le rejet des 92 résolutions et les affrontements avec les patriotes, le rapatriement unilatéral de la constitution sans l’accord du Québec et l’intrusion systémique dans les champs de compétence exclusifs du Québec. Pour illustrer le propos sur le territoire, on peut évoquer la décision du conseil privé de Londres qui a soustrait unilatéralement le territoire du Labrador du Québec malgré l’opposition de ce dernier.
Cette carte de visite dont aucune nation ne rêve avait été reléguée aux oubliettes lors de la Révolution tranquille, il y a de cela six décennies, du temps déjà lointain où les élites de la politique québécoise avaient ce qu’on appelle le « sens de l’État » et une conception moderne de l’avenir du Québec. Jean Lesage, René Lévesque, Daniel Johnson (père) et d’autres préféraient, par ambition pour la nation qu’ils représentaient et, avec raison, utiliser le terme « État du Québec ». Pour cause, il est à noter que, depuis ce temps, dans les textes législatifs et administratifs, sauf pour le titre officiel du Québec, les diverses déclinaisons du mot « province » ont été remplacées en grande partie par des termes appropriés et respectueux, comme « National » ou simplement le nom « Québec ».
« Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs de l’humanité » selon Camus. Une fois convaincu de sa victoire, le premier geste du conquérant est de définir le vaincu selon ses termes, mais sa victoire ne saurait être totale et définitive tant que le vaincu ne l’aura pas entérinée et intériorisée.
La fausseté entretenue qui consiste à prétendre que le Québec n’aurait pas la maîtrise de son destin est la définition sans doute la plus révélatrice de l’imposture provinciale servie par Trudeau lui-même le 11 avril dernier. Sa candeur décrivait le Québec comme « sa belle province » en coupant court à l’intervention autrement réfléchie et judicieuse du Premier Ministre français Gabriel Attal endossant la politique de non ingérence et de non indifférence de la France envers le Québec. Tartuffe devrait savoir que le sujet qu’il ne possède pas, porte un nom avec une majuscule, que c’est par la seule force d’inertie que le Québec consent à se soumettre à une constitution bancale qui sert davantage a lui chercher des problèmes qu’à en résoudre et qu’il appartient au Québec seul d’en décider autrement.
Tout compte fait, la machine fédérale n’a rien de plus à offrir au Québec qu’une gouvernance dysfonctionnelle, coûteuse et hostile à ses aspirations, des empiètements, de l’intimidation, des symboles unilingues et des insultes. Arrivée depuis longtemps au terme de l’éventail des arguments pouvant minimalement s’adresser à l’intelligence, la propagande fédérale vogue de l’intoxication médiatique à tout prix jusqu’aux scandales des commandites en passant par tous les chantages financiers, les fédéraux en ont fait leur arme depuis 1995 pour contrer la volonté des Québécois.
Un problème n’est jamais si bien résolu qu’en amont. D’ici au jour où la lucidité fera nous débarrasser de l’antagoniste fédéral, il est loin d’être inutile pour le seul État français d’Amérique de commencer par se nommer comme du monde. Parce qu’on est jamais si bien servi ni nommé que par nous-mêmes, en particulier à la lumière du titre actuel, l’État québécois, par un amendement constitutionnel unilatéral comme il se doit, ferait bien plus tôt que tard d’arrimer son titre officiel à sa réalité moderne et à sa dignité en se renommant « État du Québec ». Un titre de fierté pour mettre à la porte les symboles de la petitesse importée. Un catalyseur de la prise en main de nos enjeux, de notre langue, de notre destin délesté d’un pouvoir arrogant. Un titre sans animosité envers quiconque parce que porteur d’une relation conçue en bonne intelligence, non plus à la remorque d’un marché de dupes, mais celui que nous aurons nous-même défini selon nos propres termes.
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