Une ‘remontada’ inacceptable pour Washington
Les données de la Banque mondiale (BM) et des Nations Unies – que ce soit via le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) ou via la Commission économique pour l’Amérique latine (CEPAL) – concernant l’évolution de la situation économico-sociale du Venezuela sont assez édifiantes et de nature à suggérer les réelles raisons qui motivent la violente campagne contre le gouvernement de ce pays.
Selon la BM, la population du pays, qui diminuait régulièrement depuis 2017 (moins 2,9 % annuel en 2019), a augmenté de 1,9 % en 2023, ce, notamment, grâce aux nombreux retours de ceux qui avaient quitté le pays depuis 2017 (320 000 personnes revenues en 2023 contre 1 300 000 parties en 2018). Le taux de chômage a chuté à 5,5 % en 2023. Le nombre d’homicides qui était de 48 sur 100 000 personnes en 2018 est descendu à 19 en 2023. « Aujourd’hui, à Caracas, on peut sortir tranquillement la nuit à pied », témoignait le journal brésilien De fato [ ] ; et surtout l’inflation, la mère de toutes les misères, l’icône dont tous les médias se gaussaient pour dire du mal du pays et qui avait atteint le chiffre surréaliste de 833 997 % en 2018 est tombée à 69,5 % en 2023 [ ].
Les données du PNUD vont dans le même sens. Dans son rapport « Performances macroéconomiques du Venezuela au premier trimestre 2024 et perspectives pour l’année 2025 », il pronostiquait pour le pays, exactement un mois avant les élections, une croissance de 4,2 % pour l’année 2024 (la moyenne pour l’Amérique latine étant de 2,1 %, c’est-à-dire la plus élevée de la région, ce pour la troisième année consécutive selon la CEPAL) [ ]. Le rapport du PNUD précisait que la production de pétrole, qui avait connu une profonde crise pendant une dizaine d’années (en 2020, la production était tombée sous la barre des 400 000 barils/jour), avait connu une hausse spectaculaire de 18,4 % en 2023 (826 000 barils/jour contre 700 000 en 2022) [ ] ; que le dollar s’est stabilisé dans le marché des changes (il était à 637 « bolivares », la monnaie nationale, par dollar en 2018, il est à 36 aujourd’hui. NDLR) et, surtout, que la recette fiscale du 1er trimestre 2024 avait connu une augmentation de 161 % en comparaison avec celle de 2023 [ ]. Face à ces chiffres, certains économistes avaient commencé à parler de « miracle vénézuélien ».
Eh bien les amis, c’est là que gît le lièvre.
C’est là à notre avis, et non pas dans la présentation ou non de tels ou tels actes électoraux et autres paperasses que se trouve la raison de la féroce campagne déclenchée par la puissance étasunienne et ses affidés contre le Venezuela d’aujourd’hui. Ils voudraient que le Venezuela de 2024 soit le même que celui de 2018 !
Ce Venezuela-là, avec un PIB qui avait diminué de 30 % entre 2014 et 2017 (plus ou moins dans les mêmes proportions que celles du krach des EU en 1929) aurait pu perdurer des siècles sans être vilipendé par ceux qui aujourd’hui l’agressent. Au contraire, elle eût été la vitrine idéale pour donner crédit aux discours de Biden, Corina Machado et von der Leyen pour qui « there is no alternative » au catéchisme néolibéral du grand capital financier.
Il était donc insupportable de laisser prospérer le tournant entrepris par le pays d’Hugo Chavez en 2018, l’année de la « NEP » vénézuélienne [ ] quand il fut décidé de répondre, comme dans les arts martiaux, à la violence des sanctions EU et de l’UE avec des mesures libéralisant les potentialités de l’économie. Il était donc impensable pour Washington de permettre que le monde voie que le pays qui en 2018 importait plus de la moitié des biens alimentaires en produit aujourd’hui 85 % ; il commence même à en exporter ! Cerise (amère) sur le gâteau : il se prépare à adhérer aux BRICS… « Mais, tonnerre de Dieu, ça ne va pas, non ! », semblent s’être dit nos grands procureurs…
Punir une expérience « fautive »
Dès qu’Hugo Chavez est arrivé au pouvoir en 1999 avec sa révolution bolivarienne, la Maison Blanche se mit en furie et ne cessa de chercher à saboter son gouvernement, essayant même de le faire tomber comme lors du putsch de 2002 avec, déjà !, la collaboration de l’Union européenne alors présidée par l’Espagnol Aznar. Et plus le caractère révolutionnaire de l’expérience chaviste s’affirmait, plus la réaction de l’Empire devenait violente. Ainsi, en 2015, le « progressiste » Obama signait un décret présidentiel contenant une liste de sanctions, déclarant le Venezuela « une menace inhabituelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des États-Unis ». [ ]
A son tour Donald Trump signe en 2017 le décret présidentiel 13808 d’une violence inouïe. En parfaite coordination avec Corine Machado et, entre autres, le géant pétrolier Exxon, ce décret interdit à la planète entière toute transaction avec l’État vénézuélien, et tout particulièrement avec PDVSA (Petroleos de Venezuela S.A.), jusque-là cœur de l’économie nationale. Un exemple, parmi les plus de 900 sanctions contenues dans ce décret, illustre l’extrême sévérité de la mesure : la totalité des actifs que la société CITGO, une filiale de PDVSA, possède sur le territoire des Etats Unis, furent confisqués. C’est-à-dire, ses trois raffineries et ses 6.000 stations d’essence, ses recettes de vente, ses dépôts et valeurs en banque, ses créances (par contre pas ses dettes qui restent « propriété » de PDVSA). L’État vénézuélien est aussi lourdement attaqué, il ne peut plus négocier de titres sur sa dette, ce y compris pour les titres émis avant le décret ; et il est, bien entendu, également interdit de les acheter.
Pour Jeffrey Sachs, l’économiste bien connu et consultant spécial auprès du secrétaire général de l’ONU, ces sanctions ont comme résultat de provoquer la famine dans la population et sont même plus violentes que celles que Cuba a endurées (ces dernières furent plus progressives ; ici il s’agit d’un étranglement immédiat) [ ].
La surprise de 2018
L’administration EU et la frange ultra radicale de l’opposition vénézuélienne, ne s’attendaient pas au « tournant Maduro » qui, cette fois, pour faire face aux sanctions, s’est décidé à traiter le fait économique non pas comme une idéologie volontariste mais comme une praxis ayant ses impératifs. En conséquence, il fallait rompre avec le dogme d’une économie de la rente fondée sur la richesse pétrolière du pays qui avait perduré pendant un siècle et qui, vu ses énormes excédents monétaires, finançait tous les besoins existants et paralysait ainsi le développement d’autres sources productives. Economie rentière qui stimulant une inflation structurelle, puisque la surabondance monétaire favorisait les hausses de prix. Le tout étant soumis aux aléas des fluctuations capricieuses du prix de ce pétrole.
C’est ainsi qu’en 2018, en réponse aux sanctions de Trump de 2017, le gouvernement de Maduro a entrepris de réactiver l’économie nationale en réorientant ses efforts vers le secteur privé, en particulier celui des petites et moyennes entreprises, jusque-là quelque peu négligé. Des négociations et accords constructifs avec les grosses firmes, le secteur bancaire et des assurances ont eu lieu également. Le secteur coopératif a connu un solide redressement, les procédures de création d’entreprises et celles des banques dans l’octroi de crédits ont été allégées. Retournant à la ruralité, le pouvoir a commencé à refaire du pays ce qu’il fut avant la découverte du pétrole, un pays éminemment agricole. Et l’envie d’entreprendre devint intense et resta soutenue depuis 2018 ; c’est ainsi que le 18 juillet, dix jours avant les élections, Maduro se vantait du fait que « […] À ce jour, 1 387 261 entrepreneurs sont certifiés dans tout le pays, dont 64 % sont des femmes », tout en annonçant l’octroi immédiat de 10 000 prêts à 10 000 nouveaux entrepreneurs par l’intermédiaire de la Banque du Venezuela [ ].
Voilà le Venezuela que le FMI, l’UE et bien entendu l’OTAN ne voulaient, surtout pas, voir refleurir.
Bien au contraire, ils voulaient que le pays s’enfonce dans des crises telles qu’on puisse le « cueillir » doucement (avec sa pléthore de richesses, son pétrole, son gaz, son or, son argent, ses diamants, son bois, ses poissons etc. etc.) Des richesses dont Corina Machado et ses mentors voudraient la privatisation totale et immédiate.
Les élections comme tremplin pour le chaos
Constatant que la longue série de sanctions ne réussissait pas à faire plier le chavisme, notre troïka magnifique (Machado-UE-Blinken) s’est dit que les élections présidentielles pourraient être l’ultime option ; le moment idéal pour une gigantesque mise en scène. En très bons disciples du politologue américain Gene Sharp, le doctrinaire des « révolutions de couleur », ils avaient bien retenu ses enseignements selon lesquels les élections, en particulier les présidentielles, constituent le moment idéal pour entreprendre un changement de régime non armé. Et ce, avec le mot « fraude » comme détonateur. Doctrine dont la première application, avec la création du mouvement Otpor, avait été lancée lors des élections présidentielles yougoslaves de l’année 2000, visant, avec la chute du gouvernement de Slobodan Milošević, à en finir avec le dernier espace européen qui résistait encore à la mondialisation néolibérale sous format otanien.
C’est Wikipédia, peu suspect de gauchisme, qui définit ainsi Otpor : « Organisation politique, créée en 1998 avec le soutien de l’organisation américaine National Endowment for Democracy (Dotation nationale pour la démocratie, NED pour le sigle en anglais ; NDLR), et généralement considérée comme l’un des acteurs majeurs de la chute du régime de Slobodan Milošević ». A noter que la NED, créée par le gouvernement de Ronald Reagan, est unanimement considérée comme la prolongation, dans le civil, des activités de la CIA. Le même Wikipédia précise la nature internationale du mouvement : « « Après la chute du régime de Milošević, Otpor est devenu le centre de formation pour l’action non violente et a formé des jeunes révolutionnaires de différents pays, en Géorgie, puis en Ukraine, mais aussi en Biélorussie, aux Maldives, en 2011 en Égypte et en 2013 au Venezuela [ ]. »
Pas très actualisé, le site de référence aurait pu ajouter des opérations de changement de régime, toujours dans le cadre des élections, en Libye, au Congo, au Soudan etc. Une idée plus précise de la nature de ces projets a été donnée par un haut cadre de la NED, le colonel étasunien Robert Helvey, formateur des membres d’Otpor, dont la définition de l’activisme de ce genre d’organisations, faite en 2011, reste non seulement d’actualité mais semble correspondre au scénario du Venezuela 2024. Selon ce colonel, « un mouvement non violent n’est pas un mouvement pacifique. C’est un mouvement qui s’inspire des techniques du combat militaire avec des moyens d’action civique [ ]. »
Les sondages, une arme d’intervention massive
Les « otporistes » vénézuéliens se sont mis au travail en commençant par faire des « sondages » (outil de pointe pour les révolutions de couleur) bien avant la date des élections et toujours, bien sûr, en donnant l’opposition gagnante avec de très larges écarts ; une manière de préparer l’opinion nationale et internationale à « l’évidence » de la victoire des « machadistes ». Pour s’en occuper, rien de mieux que l’institut d’opinion étasunien Edison Research lié, selon WikiLeaks, à la CIA et qui avait déjà été actif en Irak, en Géorgie et en Ukraine [ ]. Puis la chaîne se mit en marche via CNBC, Reuters, le New York Times, le Washington Post etc. qui anticipaient, allègrement, que tout indiquait que le candidat de l’opposition allait gagner la bataille électorale. Et ce fut la même agence Edison Research qui annonça au monde entier le résultat de son sondage effectué « à la sortie des urnes » dans ces termes : « Edison Research Exit Poll prévoit que le candidat de l’opposition Edmundo González battra Nicolás Maduro par une victoire écrasante pour devenir le prochain président du Venezuela. [ ]. » En effet, dans la suite de son communiqué, l’institut anticipe la victoire de l’opposant Gonzales avec 60 % des voix contre 30 % pour Maduro. Elon Musk, les GAFAM et les réseaux sociaux feront le reste pour confirmer la « victoire » de l’opposition.
Le savoir-faire de cette institution de sondages étasunienne a d’ailleurs aussi fait ses preuves lors d’autres élections présidentielles. Tout récemment en Géorgie par exemple où, curieusement, les intérêts et souhaits des diplomaties étasunienne et de l’UE coïncidaient scrupuleusement avec les résultats des sondages d’Edison Research et où le communiqué des sondeurs « à la sortie des urnes » était quasiment rédigé dans le même langage pour annoncer, encore et toujours, la victoire de l’opposition géorgienne : « Edison Research Exit Poll prévoit une nette victoire des partis d’opposition aux élections législatives en Géorgie », annonçant même qu’elle sera en mesure de former un nouveau gouvernement [ ].
Au Venezuela, c’est après l’annonce anticipée de cette prétendue victoire qu’est arrivé la formidable attaque informatique de la centrale de traitement des résultats électoraux, avec un ensemble hypersophistiqué d’algorithmes, ce au moment même où 80 % des voix comptabilisées donnaient une confortable avance à Maduro ; un épisode fabriqué pour que l’on puisse crier à la fraude. Cette attaque ciblait non seulement le centre électoral mais une série d’importantes institutions du pays. [ ].
Le scénario pour générer la violence et le chaos était alors prêt. Corina Machado, pouvait se mettre à l’œuvre.
En 2018, elle avait demandé l’aide, y compris matérielle, à son ami Netanyahou, pour faire tomber Maduro. En 2019, dans des déclarations à la BBC, elle réclamait une intervention étrangère avec le même objectif [ ]. Cette fois c’est via la méthode Sharp, le financement étasunien et la puissance médiatique qu’elle récidive. Mais il y a un hic : la résistance d’une large partie de la population vénézuélienne, en particulier son segment le plus défavorisé, que des cruelles sanctions et pénuries n’ont pas réussi à dompter
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir