Par Moon of Alabama – Le 8 octobre 2024
Il est désormais admis publiquement que l’Ukraine est en train de perdre la guerre contre la Russie.
Les gouvernements occidentaux acceptent lentement que leurs forces par procuration ukrainiennes n’ont aucune chance de renverser la situation. Personne, dans leurs propres populations ou armées, n’est prêt à s’engager au combat. Pendant ce temps, le soutien à la guerre en Ukraine plombe les budgets.
La situation nécessite de faire pression pour mettre fin à cette guerre – au moins temporairement.
Le gouvernement Zelenski est officiellement opposé à toute discussion sur un cessez-le-feu ou une paix sans qu’il s’agisse d’une victoire ukrainienne complète. Mais derrière des portes closes, de telles discussions se tiennent.
C’est du moins ce que les rédacteurs en chef du Financial Times disent au public:
Les objectifs de guerre changent pour l’Ukraine (archivé)
À Washington et dans certaines capitales occidentales — et dans les couloirs de Kiev — l’humeur change : de la détermination que la guerre ne peut se terminer qu’avec l’armée russe chassée d’Ukraine, à la réticente reconnaissance qu’un règlement négocié qui laissera la majeure partie du pays intact peut être le meilleur espoir. Pourtant, Kiev ne reçoit pas le soutien dont elle a besoin, même pour atteindre cet objectif réduit.
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Parallèlement à l’escalade de la guerre au Moyen-Orient, même certaines capitales occidentales qui insistaient auparavant sur la nécessité de vaincre militairement Vladimir Poutine en Russie recalibrent leurs objectifs. Certains responsables de Kiev craignent également en privé de manquer de personnel, de puissance de feu et de soutien occidental pour récupérer tout le territoire saisi par la Russie. On parle à huis clos d’un accord dans lequel Moscou conserve de facto le contrôle d’environ un cinquième de l’Ukraine, la partie qu’elle occupe – bien que la souveraineté de la Russie sur ces territoires ne soit pas reconnue — tandis que le reste du pays est autorisé à rejoindre l’Otan ou à bénéficier de garanties de sécurité équivalentes. Sous ce parapluie, il pourrait se reconstruire et s’intégrer à l’UE, comme l’Allemagne de l’Ouest pendant la guerre froide.
Le plan est donc de concéder des terres à la Russie tout en offrant une couverture de protection par l’OTAN à une Ukraine croupion.
Il y a au moins quatre groupes impliqués ici qui ne seront pas d’accord avec une telle solution.
Tous les pays de l’OTAN doivent accepter d’accueillir de nouveaux membres. Si les parties occidentales de l’Ukraine sont autorisées à rejoindre l’OTAN, qui va garder l’Ukraine sous contrôle ? Que se passerait-il si cela provoquait une autre guerre contre la Russie ? Tous les pays actuels de l’OTAN admettront-ils qu’accepter l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN augmentera leur propre sécurité ?
Certains pays, comme les pays baltes russophobes, soutiendront probablement cette mesure. Mais je pense qu’aucun des membres les plus sains d’esprit de l’OTAN soit prêt à risquer une guerre contre la Russie sur un sujet, l’Ukraine, qui ne présente qu’un intérêt marginal pour eux.
Une adhésion de l’Ukraine à l’UE connaîtra des obstacles similaires. Les deux tiers du budget de l’UE sont des subventions agricoles destinées à permettre un marché commun sans détruire les communautés agricoles de tel ou tel pays. La plus grande partie de ces subventions va actuellement à la Pologne. La terre ukrainienne est extrêmement fertile. Elle peut produire des récoltes à des coûts bien inférieurs à ceux de ses voisins de l’UE. L’UE n’a pas et n’aura pas le budget pour compenser cela. Toute entrée de l’Ukraine dans l’UE entraînerait ainsi des pertes pour les agriculteurs de la majorité des États membres actuels de l’UE, sinon tous.
L’avantage de prix des produits agricoles ukrainiens est la raison pour laquelle les agriculteurs polonais viennent de recommencer à bloquer les passages frontaliers avec l’Ukraine (traduction automatique):
Les agriculteurs polonais avaient bloqué la circulation à plusieurs points de contrôle, l’hiver et le printemps derniers. Ils exigaient que le gouvernement polonais suspende le transit des produits agricoles ukrainiens, dont l’importation était auparavant interdite.
Les agriculteurs polonais ont une influence inhabituellement grande sur les politiques du pays. La Pologne sera ainsi probablement le pays le plus opposé à une adhésion de l’Ukraine à l’UE. D’autres seront d’accord avec cela.
Bien entendu, l’Ukraine elle-même devrait également accepter un cessez-le-feu ou un accord de paix qui entraînerait la perte d’environ 25% de ses terres. Alors que l’Ukrainien moyen pourrait bien être en faveur d’un tel accord de paix, une minorité distincte de la droite radicale s’y oppose catégoriquement. Comme l’indiquait un précédent article de FT (archivé):
“Si vous entamez des négociations, cela pourrait être un déclencheur d’instabilité sociale”, explique un responsable ukrainien. “Zelensky le sait très bien.”
“Il y aura toujours un segment radical de la société ukrainienne qui appellera toute négociation une capitulation. L’extrême droite en Ukraine se développe. La droite est un danger pour la démocratie”, déclare Merezhko, député du parti Serviteur du peuple de Zelensky.
Le segment radical de la société ukrainienne, alias les nazis, est lourdement armé et expérimenté au combat. Ils ont de la sympathie dans les rangs supérieurs de l’armée ukrainienne. L’ancien chef d’état-major, le général Zaluzny, est connu pour ses bonnes relations avec elle, tout comme le général Budanov, l’actuel chef du service de renseignement militaire.
Un gouvernement civil ukrainien qui voudrait s’engager dans de sérieuses négociations de paix devra d’abord neutraliser ces forces radicales. Sans cela, il aura peu de chances de survivre à leur assaut.
La quatrième partie qui devrait accepter un tel cessez-le-feu, et l’adhésion à l’OTAN pour une Ukraine croupion, est bien sûr la Russie.
La Russie était, est et sera contre toute adhésion à l’OTAN, de n’importe quelle partie de l’Ukraine :
En janvier 2008, William Burns, l’ambassadeur des États-Unis en Russie à l’époque, a envoyé un câble classifié à Washington dans lequel il résumait les préoccupations de la Russie concernant l’expansion de l’OTAN. Le message, “Nyet signifie Nyet”, traduisait en une phrase la conviction de Burns que l’expansion de l’OTAN en Ukraine était “la plus brillante de toutes les lignes rouges” russes.
La Russie a en grande partie lancé son opération militaire spéciale en 2022 pour empêcher une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. C’était évident, et cela l’est toujours, que tout empiétement de l’OTAN en Ukraine sera utilisé pour affaiblir la Russie. Elle est en train de gagner la guerre en Ukraine. Convenir maintenant d’une certaine forme d’adhésion à l’OTAN pour l’Ukraine, même croupion, contredirait le but de cette guerre.
Le cessez-le-feu ou le plan de paix prévu par l’éditorial du FT dépend de l’accord de tous les États membres de l’OTAN et de l’UE ainsi que de l’approbation des gouvernements ukrainien et russe. Aucun de ces quatre groupes n’est susceptible de l’approuver.
Les éditeurs du FT le savent bien :
Ce scénario repose cependant sur des hypothèses ambitieuses. La première est que les États-Unis et leurs alliés doivent être prêts à offrir l’adhésion à l’Otan ou les garanties nécessaires, alors qu’ils ont jusqu’à présent hésité à accorder à Kiev une voie contraignante vers l’alliance.
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Une deuxième hypothèse est que le président russe peut être amené à négocier et à accepter un tel scénario. Mais empêcher l’Ukraine d’adhérer à l’Otan était l’un de ses objectifs de guerre les plus visibles.
Mais, au lieu de rejeter le plan parce qu’il est évidemment irréalisable, les éditeurs exigent d’appliquer plus de violence pour parvenir à son acceptation:
Que l’objectif soit une victoire pure et simple, ou simplement amener la Russie à la table des négociations, les alliés occidentaux doivent renforcer la main de l’Ukraine. Le Kremlin ne peut être poussé à des pourparlers sur un accord qui pourrait être satisfaisant pour Kiev et l’Occident que s’il estime que les coûts des combats sont trop élevés. Et toute résolution de la guerre permettant à tout ou partie de l’Ukraine de survivre et de prospérer nécessitera des garanties pour sa sécurité.
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Nous ne pouvons pas encore savoir comment la guerre se terminera. Mais il est dans le pouvoir — et l’intérêt — de l’Occident d’aider l’Ukraine à reprendre le dessus sur son ennemi.
Cet éditorial est une démonstration de la naïveté enfantine qui prédomine dans la pensée gouvernementale occidentale. L’Ukraine est en train de perdre. Proposons un accord de paix qui n’a aucune chance d’être mis en œuvre. Puis demandons d’intensifier et de prolonger la guerre pour, peut-être, rendre ce plan de paix irréalisable moins irréalisable.
Mais l’Ukraine et l’Occident ont perdu la guerre. Négocier un accord de cessez-le-feu de paix avec soi-même, comme le font les rédacteurs du FT, ne le rend pas plausible. Toutes les voies vers un accord “satisfaisant pour Kiev et l’Occident” sont, depuis longtemps, fermées – par l’Occident. Il n’y aura tout simplement pas d’accord comme ça, jamais.
Nier cette réalité ne fera qu’entraîner des pertes plus importantes pour l’Ukraine et pour l’Occident.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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