Les développements politiques en France appellent les forces anticapitalistes dans le monde à réfléchir, une fois de plus, sur la question de la transformation sociale par les urnes. Ce texte s’adresse à un public non français, ne connaissant ni les institutions ni la scène politique de la France Nombre de passages peuvent donc paraître redondants. Le lecteur peut prendre le risque de les ignorer. Une première version en langue grecque (indiquée sur la couverture) a vu le jour il y a un mois.
Les récents développements politiques en France appellent les forces de gauche en Europe (et dans le monde) à une prise de position pertinente, qui s’appuierait à la fois sur les faits et sur la théorie des luttes des classes.
En 2015, des développements tout aussi importants en Grèce n’ont pas conduit la gauche mondiale à des analyses et des conclusions utiles.
En France, le résultat électoral de la « Gauche » s’est modérément accru, alors qu’en son sein les secteurs les plus radicaux ont augmenté leur poids spécifique. Représentés par la France Insoumise (LFI) et ses alliés (NPA, écologistes radicaux, Parti ouvrier indépendant, collectifs pour les droits civiques et antifascistes, etc.), ces secteurs ont enregistré lors des dernières élections une nette augmentation d’un million de voix provenant de la jeunesse et des classes populaires qui se tenaient à l’écart des urnes ces dernières années.
Le Nouveau Front Populaire (NFP) est, depuis les dernières élections législatives, la seule force politique disposant d’une légitimité démocratique pour gouverner le pays. La majorité relative d’un tiers des suffrages exprimés, combinée à une participation citoyenne sans précédent aux urnes et au rassemblement autour d’un programme clair de 150 propositions sont des conditions aujourd’hui suffisantes pour inaugurer un gouvernement de gauche.
Dans le même temps, la dynamique électorale croissante de l’extrême droite en fait aujourd’hui une force politique importante en France, en mesure de jouer au moins un rôle de régulateur, malgré un résultat final relativement modeste et ses faibles performances en termes de nombre de sièges.
Les forces politiques proches du président Macron s’effondrent et des tendances centrifuges se développent au sein de ce bloc.
Les conclusions ci-dessus font la synthèse des séquences des élections européennes et des deux tours des élections législatives françaises, sans m’attarder sur chacune de ces phases, car mon sujet est le paysage post-électoral, ce qui le détermine et ce qu’il révèle.
La nature fondamentalement antidémocratique du système de la Cinquième République et le déclin mondial des institutions démocratiques sous le capitalisme moderne doivent être pris en compte dans l’évaluation de ce qui se passe aujourd’hui en France.
Aussi la crise sociale, géopolitique et énergétique-logistique (voire alimentaire) qui frappe le pays est le ressort à la fois de la radicalisation de certains secteurs de la société et du durcissement antidémocratique du pouvoir, représenté actuellement par un président toxique pour les institutions du pays.
Pendant la phase historique actuelle, la bourgeoisie est prête à mettre de côté les principes du libéralisme politique pour assurer sa domination, en France comme ailleurs. L’Extrême Droite est le véhicule d’un tel projet dans la mesure où la politique de l’extrême Centre néolibéral serait mise en échec. La domination électorale de l’Extrême-Droite lors des dernières élections législatives française a été évitée grâce à la la présence unitaire dans les urnes de quatre partis de Gauche, et d’une centaine d’organisations, dans le cadre du Nouveau Front Populaire – NFP.
Les résultats des élections législatives françaises font de la Gauche (Nouveau Front Populaire) la première force à l’Assemblée Nationale. La gouvernance immédiate du pays par la Gauche avec Lucie Castets comme Première Ministre, proposée par le Nouveau Front Populaire, aurait été la solution la plus démocratique pour le pays.
Pourtant, Emmanuel Macron, obéissant aux ordres de ses amis capitalistes, a tout mis en œuvre pour écarter une telle éventualité, en utilisant de la pire des manières la Constitution française. Le risque d’une dérive vers la dictature reste réel, un scénario que la France a déjà éprouvé à plusieurs reprises dans son histoire.
Aujourd’hui, les forces de la Démocratie et du Progrès en France doivent mener des combats quotidiens dans les institutions et dans la société. Le vote de censure contre tout gouvernement qui ne s’appuierait pas sur le Nouveau Front Populaire, la mise en œuvre d’un processus de destitution du président Macron pour manquement à ses devoirs de garant de la Constitution et de la Démocratie, les rassemblements populaires dans les rues des villes de France pour exiger le départ des gouvernants actuels et l’arrêt de leurs programmes politiques, les grèves sectorielles convergeant vers la grève générale sont censés être les premières étapes d’une nouvelle séquence des luttes politiques.
Au cours de ces luttes, des structures d’organisation populaire doivent être mises en place partout pour la planifier, la porter, la faire évoluer.
Retournons aux fondamentaux
Le fil conducteur qui devrait relier la compréhension des événements de France en 2024 à ceux de Grèce en 2015 est l’interrogation sur le rôle à jouer par la Gauche pour la transformation sociale, notamment à travers les élections dans le système politique bourgeois.
Ce qui s’est dit en Grèce à propos de la politique récente en France, dans l’espace du « Centre-Gauche » grec (SYRIZA, PASOK et consorts) est complètement hors sujet, la canicule estivale grecque n’en étant pas une excuse suffisante.
« L’unité de la gauche française » érigée en modèle, au-delà de l’anhistoricité du narratif, et de l’inefficacité en cours de démonstration de ladite unité, sert en Grèce de véhicule idéologique de l’électoralisme, de l’unique voie électorale envisageable pour la transformation sociale en dépit de la mémoire douloureuse de 2015, effacée en l’occurrence mais présente lorsqu’il s’agit de justifier la résignation.
Ce qu’on ne rappelle jamais assez, c’est le concept fondamental marxiste du caractère de classe de toute institution politique, à savoir le fait qu’elles existent pour servir les intérêts de court et long terme d’une classe sociale déterminée, en l’occurrence de la bourgeoisie occidentale moderne.
La structure et l’articulation des institutions de toute démocratie bourgeoise visent à empêcher l’accès au pouvoir de la classe ouvrière et de ses alliés, malgré le fait qu’ils constituent la grande majorité de la population d’un pays. En ce sens, le système politique porté par la bourgeoisie sera toujours une dictature de classe, en dépit de son habillage démocratique. La bourgeoisie dominante fait tout son possible pour dissimuler le caractère dictatorial et antidémocratique de son État. Sauf que ça devient compliqué de maintenir les apparences dans les moments de crise et d’érosion du consentement populaire.
La triple crise
Lors d’une intervention en décembre 2022 j’avais évoqué la triple crise sociale, énergétique-alimentaire et géopolitique qui frappe la France en tant que pays du centre du capitalisme développé, les ratages des bureaucraties syndicales, les failles creusées dans le système politique par la présence électorale unitaire de la Gauche française ainsi que les mécanismes mobilisés par le système politico-social pour les combler.
Au cours des 2 années écoulées, les volets de la crise ont continué à agir et se sont aggravés. Les résistances populaires sont restées vives, la lutte pour les retraites à la pointe du mouvement, la contestation s’est élargie, alors que les divergences au sein de la « Nouvelle Union populaire écologique et sociale » (NUPES), aboutissant à sa dissolution.
Sous la néfaste gouvernance de Macron, le nombre de pauvres et de sans-abri a doublé en France tandis que la richesse des 500 personnes les plus riches a triplé. La dette publique française a dépassé le cap fatidique des 3 000 milliards et du 110 % du PIB. Le déficit public excède déjà les 5% et la France a été rappelée à s’expliquer auprès de l’Union européenne dans le cadre de la procédure pour déficit excessif (PDE), censée démarrer en automne.
La position géopolitique de la France se dégrade rapidement, au point qu’elle se retrouve aujourd’hui suiveuse de second ordre des États-Unis.
Les projets néocoloniaux de la France dans la région du Sahel et dans le reste de l’Afrique se sont effondrés comme château de cartes en raison des aspirations anticoloniales (principalement anti-occidentales) des sociétés locales et de la présence désormais forte de la Russie et de la Chine.
La position européenne de la France est également profondément ébranlée à mesure que l’autre partenaire, l’Allemagne, s’éloigne des positions françaises et s’affaiblit. La place européenne de la France n’est pas améliorée par les bravades verbeuses de Macron au sujet de la guerre en Ukraine, mais au contraire s’est davantage détériorée, au bénéfice des pays de l’Europe de l’est et du nord. La France, comme les autres « partenaires européens », reste suspendue au résultat des élections américaines, ne sachant pas exactement quoi espérer ou craindre.
L’explosion de la guerre en Palestine et sa dérive génocidaire, au-delà de la tragédie qu’elle représente, produit des ondes de choc qui traversent la société et la scène politique françaises. La France comprend la plus grande communauté juive, et peut-être la plus grande communauté musulmane de l’UE, chacune avec des poids économique, social et idéologique différents, et le secteur le plus agressif du capital français (AXA, BNParibas, Alstom, Renault, Décathlon, Louis Vuitton, Danone) soutient activement le plan d’apartheid sioniste. Les appels des dirigeants français à « ne pas importer le conflit du Moyen-Orient » sont rhétoriques, puisque « l’importation du conflit » se fait par le capitalisme néolibéral mondialisé.
La criminalisation du mouvement de solidarité au peuple palestinien et l’instrumentalisation mensongère du concept d’« antisémitisme » pour dénigrer les opposants politiques sont un aspect inquiétant, une manifestation du rétrécissement général des droits civiques en France comme dans d’autres pays européens.
Au delà de tout ça, l’extension de la guerre au Liban menace les dernières traces de l’influence historique de la France dans ce pays et la sécurité des 700 casques bleus français.
Le désordre géopolitique s’invite également à l’intérieur des frontières de la France, plus précisément du territoire d’outre-mer de Kanaky /Nouvelle-Calédonie. Sont appelés territoires d’outre-mer (TOM) les territoires francophones hors du continent européen jouissant d’autonomie dans tous les domaines à l’exception de la diplomatie, de la défense et de la politique monétaire et qui sont représentés à l’ONU par la France. La Kanaky est située dans l’océan Pacifique et sa population est divisée en autochtones (Kanaks) et descendants des colons. Les tensions entre les deux populations s’étaient apaisées depuis 1989, après les accords de Nouméa, mais elles ont de nouveau apparu cette année sous des formes très brutales, après une série fautes politiques de la gouvernance Macron. Aujourd’hui, le pays se trouve dans un état généralisé de rébellion, voire de guerre civile, que certains représentants du gouvernement français attribuent à l’action subversive de… l’Azerbaïdjan !
Le seul « bénéfice » que la France obtient du chaos géopolitique mondial est son ascension à la deuxième place du commerce mondial des armes son principal concurrent, la Russie, ayant réorienté massivement sa production d’exportation… vers son propre usage !
Le volet énergétique, logistique et alimentaire de la triple crise est inextricablement lié au géopolitique, dans la mesure où le gouvernement français non seulement n’a réussi à atténuer les effets de la guerre russo-ukrainienne, mais il est confronté à des situations qui les aggravent, dont il est partiellement responsable. Ainsi, l’approvisionnement en hydrocarbures risque de pâtir des retombées de la stratégie néocoloniale de Total Energies en Afrique, représentée par le projet écocidaire « East African Crude Oil Pipeline – EACOP » qui, à juste titre, a suscité un tollé de protestations. L’abandon récent de la cause du POLISARIO en faveur de l’axe Maroc-États-Unis-Israël risque d’éloigner la France de l’Algérie, partenaire et fournisseur traditionnel d’hydrocarbures.
En ce qui concerne à l’autre combustible essentiel français, l’uranium, son acquisition au Niger est actuellement suspendue en raison de l’hostilité entre les gouvernements des deux pays. La source alternative du Kazakhstan ne semble pas encore accessible, les 57 centrales nucléaires françaises en activité dépendent donc aujourd’hui des réserves, qui dureront encore quelques années. A noter que les chiffres des importations d’uranium de la France sont confidentiels et sont seulement déduits indirectement.
Enfin, la fabrication d’accumulateurs électriques (batteries) repose sur l’importation de lithium et d’autres terres rares en provenance de « pays tiers » avec lesquels les relations ne sont pas considérées comme sûres à long terme et le gouvernement français s’oriente donc vers l’exploitation locale du lithium (Allier, Auvergne) suscitant des réactions négatives justifiées de la part des communautés locales.
Les évolutions du secteur énergétique évoquées ci-dessus affectent directement la chaîne d’approvisionnement, et par conséquent aussi l’inflation, car le premier pays agricole d’Europe dépend désormais directement des importations pour nourrir sa population.
Un « Plan B » pour la défense du capitalisme
Dans un contexte donc de crise, le maintien en réserve par la bourgeoisie d’un modèle autoritaire de gouvernance (plan B bourgeois) est une condition nécessaire à la survie du système. Ce modèle est incarné dans les républiques traditionnellement libérales par l’Extrême Droite, nationaliste, xénophobe et populiste, en France par le « Rassemblement National », Le Pen et Cie.
Héritier du « Front National » de Jean-Marie Le Pen, fondé par les anciens Waffen-SS Pierre Bousquet et Léon Gauthier, il a réussi, après des décennies d’opportunisme politique et d’intrigues familiales, à s’imposer comme une formation politique acceptable de la Cinquième République, en course même vers l’accès au pouvoir.
Les ressorts de la montée de l’Extrême-Droite en France sont ceux qui l’ont renforcée dans d’autres pays : appauvrissement des classes moyennes traditionnellement conservatrices, échec du personnel politique de centre droit et de centre gauche à résoudre les problèmes de gestion du capitalisme, instrumentalisation de la peur et du sentiment d’insécurité par les médias, réduction des droits civiques, déclin de l’éducation, incapacité de la gauche traditionnelle de proposer au peuple un projet de société porteur d’espoir.
Ce qui différencie l’Extrême-Droite des autres partis parlementaires bourgeois, c’est la facilité avec laquelle elle peut mettre de côté, si elle le juge nécessaire, les principes démocratiques traditionnels : droits individuels et politiques, égalitarisme, alternance du pouvoir. Il s’agit là d’une voie dans laquelle s’engagent aussi occasionnellement d’autres partis politiques. Mais l’Extrême-Droite dispose de surcroît d’un argumentaire tout prêt pour justifier cette dérive.
Aujourd’hui la collusion du personnel politique avec le grand capital devient de plus en plus directe et les bénéfices mutuels en sont concrets et mesurables. Il n’est pas surprenant que, dans l’hippodrome parlementaire, des capitalistes très systémiques parient sur les chevaux « anti-systéme » de l’Extrême Droite. « La collusion est éponyme » selon la formule, consacrée à la Grèce, de Yanis Varoufakis, secrétaire général du mouvement MERA/DIEM. Le sponsor du « cheval Macron » s’appelle Bernard Arnault (LVMH, Louis Vuitton) tandis que le sponsor du tandem Lepen-Bardella s’appelle Vincent Bolloré (Universal, Vivendi, etc).
La dérive autoritaire est un phénomène récurrent dans l’histoire de la France moderne. Si ses systèmes de gouvernance portent des noms précédés de nombres ordinaux (de un à cinq, etc.), c’est justement pour cette raison. La discontinuité démocratique, orchestrée par la classe dominante, génère en contrepartie les tentatives d’émancipation entreprises au cours de l’Histoire par les classes dominées.
La version actuelle de la République Française (cinquième au classement) est la plus longevive puisqu’elle dure déjà depuis 66 ans !
La Constitution en cours institue un président doté des pouvoirs d’un monarque. Imprégnée des idéaux conservateurs de l’ordre et de la soumission, elle a été rédigée et adoptée en procédure accélérée au moment de la guerre coloniale en Algérie et du coup d’État fasciste manqué des généraux de l’armée française. Elle a été initialement mise en œuvre lors d’une période d’amélioration du niveau de vie et, malgré tout, ces dispositions les plus antidémocratiques n’ont jamais été appliquées par les présidents précédents, même lors du soulèvement de mai 1968.
Soit dit en passant : la Constitution de la Cinquième République Française a inspiré des dirigeants autoritaires du monde entier, dont le président turc Erdogan et la junte militaire grecque. Citons en exemple le tout-puissant Conseil Constitutionnel français, constitué par co-optation, institué à très peu de différences par les articles 98 et 106 de la pseudo-constitution de 1973 de la junte militaire grecque. Une étude comparée des deux textes révèlerait facilement d’autres similitudes.
Les remarques exposées ci-dessus éclairent le danger d’une éclipse de la Démocratie en France. Ce risque est porté par la crise sociale et géopolitique, favorisé par le cadre institutionnel en vigueur. Il pourrait être déclenché par un Président de la République toxique et par un gouvernement proche de l’Extrême Droite, du Centre Droit ou tout simplement …de la Droite.
Équations et inadéquations des pouvoirs
Le projet « révolutionnaire » de la présidence Macron était dès le début le démantèlement des conquêtes du mouvement ouvrier et populaire pour accroître la rente de la bourgeoisie française. En parallèle il visait à assurer la sortie des capitaux français vers le marché mondial sous caution, bien entendu, des EU, de l’UE et des institutions qui en dépendent. Une majorité des « anciens » personnels politiques, du Centre-Gauche au du Centre-Droit, ont convergé autour du projet macroniste. L’idéologie (plutôt l’éthique) de Macron et de son entourage est celle des commerciaux, c’est-à-dire que le bien est identifiable au profit, ceux ne parvenant pas à en récolter suffisamment dans la société du marché sont considérés responsables de leur mauvais sort. Une éthique exprimée crûment et sans détours par les dirigeants de la France ces dernières années, suscitant l’indignation non seulement des classes populaires mais aussi de nombreux bourgeois imprégnés de l’esprit du catholicisme, toujours majoritaire dans la France laïque.
Depuis 2017, on observe en France le phénomène paradoxal d’un président élu par une société qui ne partage pas ses opinions et qui, de fait, le déteste plus que tout autre de ses prédécesseurs. L’explication réside en partie dans le système d’élection présidentielle au suffrage direct et à la majorité absolue à deux tours.
Depuis 2017, nous avons en France une série de mouvements populaires de protestation et de revendication, dont certains (par exemple les Gilets Jaunes) ont dépassé en intensité, en participation et en durée tout ce qui était apparu dans le pays depuis mai 1968. Dans une démocratie parlementaire bourgeoise « raisonnée », de tels mouvements conduiraient à des gestes correctifs de la politique du pouvoir exécutif, par le biais des pressions sur l’égibilité des députés du bloc parlementaire majoritaire. Mais dans le système de la Cinquième République, le pouvoir exécutif, concentré principalement entre les mains d’un seul homme, le Président, peut coïncider occasionnellement avec le pouvoir législatif (article 49-3) mais aussi avec le pouvoir judiciaire par le biais du Conseil constitutionnel et de la nomination et contrôle des procureurs des tribunaux dépendant verticalement du Ministère de la Justice.
Alors puisque la caution populaire n’est pas nécessaire au fonctionnement du régime, il reste à ses dirigeants la tâche de « rétablir l’ordre » occasionnellement troublé, en faisant appel aux « forces de sécurité ». Des milliers de prisonniers politiques suite aux manifestations des Gilets Jaunes, des centaines de blessés, de mutilés et des morts, des milliers de vies brisées : voici le bilan des sept dernières années. Au point que la France est devenue la cible de rapports très critiques du Conseil des droits de l’homme de l’ONU et de nombreuses condamnations de la Cour européenne des droits de l’Homme – CEDH.
Nous avons l’habitude d’entendre qu’en Démocratie les droits du citoyen ne se limitent pas au vote lors des échéances électorales. Mais comment caractériser un régime où même le verdict populaire périodique est ignoré, annulé ou inversé ?
À partir de 2022, la baisse de la popularité, déjà anémique, de la politique de Macron est continuellement enregistrée dans les sondages, tandis que le projet d’une « Union de la Gauche » procède avec des avancées et des reculs. Ne soyons pas naïfs. Une partie des sociaux-démocrates de droite et d’autres « Centres-gauches » rejoignent le projet, en l’absence d’une meilleure alternative pour elles et eux, par crainte de leur extinction politique et de la perte des privilèges parlementaires et autres, qui se rattachent à la carrière.
Le ressort moteur de la construction d’une « nouvelle » formation politique de gauche réside dans la politisation, tant espérée que réelle, des couches populaires et de la jeunesse. Il s’agit là d’une dynamique à double sens et d’une réelle « invasion » dans les urnes de celles et ceux qui s’y tenaient à l’écart. La bourgeoisie au pouvoir a tout intérêt à mettre un terme à ce mouvement en excluant du processus électoral, une fois de plus, les secteurs opprimés de la société et de promouvoir le discours que « même en votant, on ne peut rien changer ».
Le programme de 150 propositions du « Nouveau Front Populaire » (NFP) est un programme modéré favorable à la société et à ses secteurs en difficulté, qui comprend des points tels l’imposition des grandes fortunes, des super profits et des dividendes, une augmentation de 15% du SMIC, le retour immédiat de la retraite à 62 ans, des recrutements suffisants dans la Santé et l’Éducation, la gratuité des fournitures scolaires, la reconnaissance de l’État de Palestine, une politique étrangère en faveur de la paix dans le monde, l’abolition de la discrimination contre les immigrés, un moratoire sur les grands projets inutiles mettant en danger les écosystèmes, des investissements publics pour économiser l’énergie et l’eau.
Avec environ 190 sièges à l’Assemblée nationale française, le Nouveau Front populaire est la première force, suivi du bloc hétérogène des partis proches de Macron (environ 160 sièges) puis, en troisième position vient le Rassemblement National (Extrême Droite, environ 140 sièges). Il est important de noter que le rapport numérique à l’Assemblée Nationale ne correspond pas au rapport au sein de l’électorat, car le système électoral actuel en France est majoritaire à deux tours avec des circonscriptions uninominales. Il est également important d’écrire que de nombreux députés du bloc politique macroniste ont été élus au second tour avec des voix du Nouveau Front populaire pour empêcher l’élection de députés d’Extrême Droite. Le scénario inverse est également vrai, mais à une échelle bien moindre.
À partir des données arithmétiques ci-dessus, on conclut qu’un gouvernement de Gauche ne tiendrait pas face à une censure soutenue simultanément par le Centre-droit et l’Extrême-droite. Mais les autres scénarios ne garantissent non plus la stabilité. Une éventuelle alliance entre Centre-droit et Extrême Droite dépouillerait le premier de son républicanisme allégué et la seconde de toute crédibilité sur son programme social énoncé. L’érosion consécutive de l’électorat des deux composantes de la droite ouvrirait probablement la voie vers une victoire élargie de la gauche aux prochaines élections.
Toutefois c’est bien le scénario tenté par le président Macron, à notre charge de lui faire échec.
Il convient de noter que la Constitution française interdit la dissolution de l’Assemblée Nationale une deuxième fois en un an et que le risque d’ingouvernabilité est réel.
Dans tous les cas, le programme réformiste modéré du Nouveau Front Populaire ne peut être toléré par la bourgeoisie française, qui depuis des décennies s’est progressivement accoutumée à des profits toujours croissants (sans augmentation proportionnelle de la productivité) et à la manipulation systématique des politiciens, toutes nuances confondues.
Cet état de faits, et les exigences qui en découlent, a été exprimé sans détours par le représentant du MEDEF lors d’une réunion avec Macron le 28 août dernier.
Pendant ce temps, le gouvernement démissionnaire ne s’est pas contenté de gérer les « affaires courantes », mais il a également légiféré par décrets, a réduit davantage les budgets de l’Education et de la Santé, a entamé la préparation du budget 2025 de l’État et fait des déclarations sur les orientations des politiques à venir !
Face à ce cortège d’anomalies flagrantes, le Conseil d’État et le Conseil Constitutionnel sont restés des spectateurs invisibles et sans voix !
En sa qualité de préposé du MEDEF, Macron avec l’aide d’une équipe invisible de conseillers juridiques étire jusqu’à dislocation les dispositions de la Constitution, déjà autoritaire de la Cinquième République Française en refusant de nommer comme Première Ministre la candidate du Nouveau Front Populaire, Lucie Castets, et d’accorder le gouvernement à la « minorité absolue » représentée par une bonne vieille Droite, essoufflée et réactionnaire et un politicien sorti du placard, Michel Barnier pour le nommer.
Toute défaillance de l’État de droit préfigurant souvent pire anomalie à venir, la clique de Macron, dans un tour de passe-passe, a imposé la participation à l’Assemblée Nationale, avec droit de vote, des ministres du gouvernement en exercice sous prétexte… qu’ils étaient démissionnaires !
Au même moment, un membre du bloc parlementaire macroniste proposait pour solution à l’impasse parlementaire actuelle la destitution des députés élus de La France Insoumise (!!!).
Il n’est donc point étonnant qu’un ministre du gouvernement Barnier déclare publiquement la désuétude de l’État de droit (!!!) et un autre son dévouement sans faille à la surveillance des univers corps et biens (!!!).
Le refus de nommer un premier ministre issu du groupe parlementaire majoritaire a pour précédent la crise constitutionnelle de 1877 lorsque le président et général monarchiste Mac Mahon, protagoniste du massacre des communards, refusa le poste de premier ministre au groupe républicain majoritaire.
La proposition de destituer les députés de la France Insoumise a pour précédent la destitution de 61 députés et sénateurs communistes, en 1940, par le Parlement qui accorda par la suite les superpouvoirs au dictateur fasciste Pétain.
Bien que « comparaison [ne soit] pas raison » la référence à ces deux moments historiques emblématiques est faite pour étayer le constat d’existence actuelle d’une crise systémique majeure susceptible de s’aggraver davantage.
Après avoir évoqué les superpouvoirs du Chef de l’État, c’est le moment de mentionner l’article 16 de l’actuelle Constitution française qui stipule que : « Lorsque les institutions de la République, […] l’exécution de ses engagements internationaux, […] sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées […] trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi […] se prononce dans les mêmes conditions au terme de soixante jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels […] » et prévoit ensuite le renouvellement bimensuel et indéfini de ce régime par […] le Conseil Constitutionnel !
L’éventuel recours à l’article 16 aurait été envisagé par l’équipe macroniste, au moins cela n’a pas été refuté.
Défense de la Démocratie, préparation de la transformation sociale
La démocratie bourgeoise étant un mélange de consentement et de répression, la victoire de la classe ouvrière et de ses alliés passe par la déconstruction du consentement et la résistance à la répression, usant de moyens institutionnels et de moyens directs. L’accès au gouvernement de forces démocratiques favorables aux revendications populaires est une étape de ce processus.
Dans le cas de la France d’aujourd’hui, le consensus envers les politiques des gouvernements est en constante baisse et la répression en constante hausse. La clique de Macron et ses alliés souhaitent transformer les élections en un rituel dénué de sens alimentant ainsi l’idéologie d’extrême droite qu’ils prétendent opposer.
Il est peu probable que la stratégie de « l’arc républicain » revoit le jour en France lors des prochaines élections, encore moins qu’elle soit suivie par la base électorale.
En revanche on pourrait s’attendre que les prochains affrontements électoraux aient lieu entre la gauche et l’extrême droite.
Bien entendu, le personnel politique entourant Emmanuel Macron voudrait jouer d’autres cartes avant d’être contraint à se retirer définitivement du centre du pouvoir. Cela impliquerait une restructuration politique incluant des forces allant de la droite au parti socialiste. Cependant cette option s’est déjà heurtée aux refus des principaux intéressés. Pour y parvenir Macron et ses amis seront obligés de faire les poubelles des partis politiques dans une ultime tentative de séduction des frustrés à droite et à gauche, lors de l’étape du remplacement de l’actuel gouvernement précaire de Michel Barnier.
Lucie Castets, candidate du Nouveau Front Populaire pour le poste à Matignon, a appelé, à la dernière Université d’été du Parti Socialiste, à la large implantation sociale du Front Populaire, à travers des luttes quotidiennes menés par des collectifs citoyens dans tous les lieux de travail et de vie.
Tandis que les syndicats annoncent ou préparent des grèves pour répondre aux urgences sociales et salariales accumulées, des rassemblements se sont déjà déroulés, et d’autres programmés, dans les rues des villes de France contre le coup de force antidémocratique et l’imposition du gouvernance de « minorité absolue ».
La France Insoumise et une dizaine d’autres députés de Gauche ont déposé une motion de destitution du président Macron en application de l’article 68 de la Constitution : « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour à la majorité des 2/3 des membres de l’ensemble de l’Assemblée Nationale et du Sénat […] la procédure est engagée à la majorité des 2/3 des membres de l’un des deux assemblées ».
Macron a bafoué la règle démocratique du gouvernement par la majorité. Il a également bafoué la règle de la séparation des pouvoirs. Il a laissé la France sans gouvernement légitime pendant trois mois alors qu’une actualité internationale torride et des échéances nationales incontournables avaient cours. Pour un président, censé être garant de la Constitution et du fonctionnement des institutions, il s’agit là d’un manquement flagrant à ses devoirs. Il n’est donc plus en mesure de poursuivre son mandat de président et, si les majorités parlementaires requises rejoignaient ces arguments il serait destitué, remplacé par le Président du Sénat jusqu’aux élections présidentielles anticipées.
Il convient de noter cependant que, même comparée à la procédure constitutionnelle correspondante des États-Unis sur laquelle elle prend modèle, la procédure française de destitution est beaucoup plus longue et difficile à mettre en œuvre que la procédure de destitution « l’impeachment » étasunienne. Ce dernier nécessite une majorité simple des personnes présentes à la Chambre des représentants pour être engagé, puis une majorité des 2/3 des personnes présentes au Sénat pour aboutir. En France, la procédure de destitution nécessite pour aboutir deux mois, dans le meilleur des cas tandis que la procédure qui donne accès au président aux superpouvoirs nécessite 2-3 jours seulement.
Que la motion de destitution portée par la France Insoumise n’aboutisse pas, sabordée de l’intérieur (sans surprise) par le parti socialiste, sa valeur symbolique est haute. Déjà le non ralliement du Rassemblement National à cette motion le démasque en tant que faux opposant, allié objectif du macronisme, notamment sur un sujet qui doit obtenir un certain éclairage médiatique. Cette motion de destitution permet d’introduire de nouveau dans le débat public la question des institutions de la Cinquième République usées et incapables de garantir la souveraineté populaire et la stabilité de la vie publique. Au sein du Nouveau Front populaire, les hésitations et ambivalences manifestées, préfigurent une détermination bancale à venir, le cas échéant, lors de moments plus décisifs de l’histoire politique de France, ce qui pourrait coûter très cher. L’exemple de l’année 2015 en Grèce est en ce sens très édifiant et il est fondamental que nous y soyons tous prêts pour éviter de tels récifs.
Pour clore ce texte, je voudrais rendre hommage à un combattant historique de la classe ouvrière, connu en Grèce et en France par les plus anciens.
« La solution en situation de crise révolutionnaire nationale, dans les pays développés, passera nécessairement par une forme de transition politique pendant laquelle le gouvernement du pays s’exercera par les partis de la Gauche traditionnelle. Ce gouvernement de transition devrait cependant s’appuyer sur un vaste réseau de collectifs et comités populaires démocratiques du front unitaire implantés dans la base de la société ».
Michel Pablo (Michalis N. Raptis), Autobiographie.
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir