Une bande de « chercheurs » sinophobes accuse deux prestigieux musées français de complaisance envers la Chine par Albert ETTINGER

Une bande de « chercheurs » sinophobes accuse deux prestigieux musées français de complaisance envers la Chine par Albert ETTINGER

Dans une tribune du journal Le Monde (1), 27 « chercheurs » sinophobes ont diffamé deux des grands musées nationaux français, le musée du Quai Branly-Jacques Chirac et le musée Guimet. Ils les accusent de courber l’échine « devant Pékin » en « effaçant le mot ‘Tibet’ de leurs collections ».

Les 27 apprentis maccarthystes se sont dits étonnés « de la suppression, dans le catalogue des objets tibétains, du nom « Tibet » au profit de l’appellation chinoise « région autonome du Xizang ». » Et d’expliquer que, à leurs yeux, cette « modification n’est que l’application d’une loi en vigueur depuis 2023 en République populaire de Chine et montre bien la volonté que le Tibet […] doit être rayé des cartes et des consciences, au présent comme au passé ». Car selon eux, « la terminologie employée » au sein des deux musées reflèterait « les desiderata de Pékin en matière de réécriture de l’histoire et d’effacement programmé des peuples non han », cela « jusqu’à en perdre aujourd’hui leur propre ethnonyme et celui de leur territoire ancestral. »

On est en plein délire. Mais chacun se ridiculise comme il peut. Nos « chercheurs » sinophobes y réussissent à merveille en étalant aux yeux du monde non seulement leur obsession et leur haine pathologique de la Chine populaire, mais en même temps en révélant un manque flagrant de logique, de connaissances et d’acuité intellectuelle. Essayons donc de leur éclairer un peu la lanterne.

Tibet, Xizang ou Bod ?

Les 27 sinophobes exigent que les musées refusent d’utiliser le nom chinois officiel de cette région de la Chine. Leur principal argument : les Tibétains perdraient « leur propre ethnonyme et celui de leur territoire ancestral » du moment qu’on remplace la dénomination « Tibet » par l’« appellation chinoise « région autonome du Xizang » ».

L’argument est absurde et stupide à souhait. Voici pourquoi :

1) Si l’appellation chinoise Xizang est bien un exonyme (c’est-à-dire un nom donné à une ethnie par ceux qui n’en font pas partie) Tibet l’est aussi, et à plus forte raison. En effet, comme l’indique la Wikipédia française (qui n’est pas considérée comme une source spécialement prochinoise) : « En tibétain, le Tibet se nomme Bod (tibétain : བོད་, Wylie : bod, THL : bö, dialecte de Lhassa API : pʰøʔ˨˧˨, pays). »

En ce qui concerne l’« exonyme chinois actuel pour la région », il s’agit d’un dérivé métonymique du terme tibétain Tsang (gTsang) correspondant à la région du Tibet central autour de Shigatse ». (2)

L’exonyme chinois est donc dérivé directement d’un terme tibétain. En revanche, le « terme Tibet ou Thibet date du XVIIIe siècle », et il s’agit d’« un emprunt du terme sémitique Ṭībat ou Tūbātt, dérivé du turcique Töbäd (littéralement Hauteurs). » Tibet est donc un terme qui n’est pas utilisé par les habitants de la région, mais par Occident, et surtout par les colonialistes britanniques qui, en 1903-1904, ont envahi militairement cette partie de la Chine.

De toute évidence, la prédilection des « chercheurs » français pour l’exonyme Tibet ne découle ni de considérations scientifiques, linguistiques ou historiques, ni même de leur sympathie affichée pour des positions ethnocentristes et nationalistes tibétaines (dans ce cas, ils auraient dû plaider pour l’utilisation du terme Bod), mais simplement de leurs convictions politico-idéologiques réactionnaires et de leur penchant pour l’hégémonie occidentale.

Fixer ses propres noms toponymiques est un droit souverain de chaque État

2) La France reconnaît la République populaire de Chine. Les deux pays entretiennent des relations diplomatiques normales. La communauté internationale, l’ONU et toutes les organisations y affiliées reconnaissent le fait que la région du Xizang/Tibet fait partie intégrante de la République populaire de Chine. Pour quelle raison et de quel droit refuserait-on donc d’appeler la région du Xizang/Tibet par son nom officiel en chinois, langue nationale ?

Partout au monde, c’est l’État qui décide des noms officiels des villes, divisions administratives, provinces etc. situées sur son territoire, et il choisit plutôt le nom utilisé dans la langue nationale que le nom donné au lieu par la population/l’ethnie locale. Dans le Midi de la France, par exemple, la ville de Niça est appelée officiellement Nice, Marselha Marseille, Tolosa Toulouse, Bordèu Bordeaux, Lemòtges Limoges, Touloun Toulon, Brignolou Brignoles, Draceno Draguignan, etc. (3)

En Lorraine ou en Alsace, on utilise officiellement l’exonyme français : on dit Amnéville au lieu de Stahlheim, Angevillers au lieu de Arsweiler, Audun le Tiche au lieu de Deutschoth, Faulquemont au lieu de Falkenberg, Grandfontaine au lieu de Michelbrunn, Sarreguemines au lieu de Saargemünd, Soppe le Haut au lieu de Obersulzbach, etc. (4)

D’ailleurs, à propos du changement de nom d’une ou de plusieurs régions aux frais des noms traditionnels désignant le « territoire ancestral » de la population concernée, est-ce qu’il est venu à l’idée de nos brillants « chercheurs » d’élever leurs voix contre la décision des autorités françaises d’amalgamer « les régions culturelles et historiques d’Alsace, de Lorraine et de Champagne » (5) pour en faire la « région Grand Est » ?

3) Les auteurs de la « tribune » antichinoise sont en général de fervents défenseurs de la « République de Chine » établie à Taïwan. Ils feignent par conséquent d’ignorer (à moins qu’ils ne soient vraiment ignorants à ce point !) que même le régime fantoche établi et maintenu par les États-Unis sur cette île chinoise a toujours considéré le Xizang/Tibet comme faisant partie intégrante de la Chine.

Beaucoup de bruit pour rien !

Finalement, la « tribune » antichinoise des 27 sinophobes, publiée par Le Monde et repris aussitôt par RFI (6) s’est révélée n’être qu’un coup d’esbroufe qui leur a offert une énième occasion de répéter les mensonges habituels d’une prétendue « occupation » et « colonisation » chinoise et d’intimider le monde de la culture. Car le reproche adressé aux deux musées n’a aucune base factuelle, si l’on en croit la mise au point du Musée Guimet et du Quai Branly publiée par Le Quotidien de l’art, mise au point dans laquelle les deux institutions soulignent que le terme Tibet n’a nullement été ôté de leurs cartels ou de leurs catalogues. À Guimet, les calomniateurs ont reproché que « ‘monde himalayen’ ait remplacé le toponyme Tibet dans les salles qui lui sont consacrées ». Le musée a répondu que « l’appellation ‘monde himalayen’ correspond à une aire culturelle comprenant le Tibet et le Népal. Ce terme englobant ne fait en aucune façon disparaître les termes ‘Tibet’ ou ‘tibétain’ qui figurent, notamment, sur les cartels en salles ou sur le site internet du musée ».

Le Quai Branly pour sa part a assuré « qu’il « utilise l’appellation Tibet dans ses cartels des collections permanentes et n’a jamais cessé d’utiliser cette appellation dans son travail sur les collections ». « Le thesaurus de classification des collections conservées par le musée fait apparaître les deux termes (Tibet et Chine) », ajoute l’institution. […] Avant de conclure : « L’intégrité professionnelle et l’autonomie institutionnelle (du musée) ne sont en rien menacées par des intérêts financiers ou politiques ». (7)

Cette affaire montre cependant qu’elles sont bel et bien menacées par les pressions, le chantage et les calomnies de la part d’atlantistes réactionnaires qui s’attroupent au sein des institutions françaises.

Application planétaire du droit… étasunien

L’allégation que les deux musées « auraient cédé aux pressions de la Chine » et courbé « l’échine devant Pékin » en appliquant « une loi en vigueur dans la République populaire de Chine » suggère que la Chine est cette grande puissance mondiale qui veut imposer sa volonté et ses lois nationales au reste du monde. Rien n’est moins vrai. De toute évidence, les auteurs de la tribune confondent la Chine et les Etats-Unis.

En évoquant, par exemple, « les menaces visant notamment l’économie » de la France et d’autres pays, l’Institut des hautes études de défense nationale souligne que « l’extraterritorialité du droit prend une ampleur croissante depuis la fin des années 1990 », que les « États-Unis sont historiquement la nation la plus proactive en la matière » et que « l’application planétaire du droit américain […] inquiète entreprises, spécialistes et législateurs » en France et en Europe. » Et d’expliquer : « Aujourd’hui, les lois extraterritoriales étasuniennes permettent de sanctionner toute entreprise étrangère pour des délits effectués n’importe où dans le monde, dès lors qu’une seule parmi plusieurs conditions est avérée : des transactions en dollars ; des échanges de courriels ou l’hébergement de données sur des serveurs basés aux États-Unis ; la présence d’une filiale dans ce pays ; y être coté sur un marché financier… Le champ est donc très large. (8)

Œuvres volées : le sujet que les 27 sinophobes ont pris soin d’éviter

Tout en s’échauffant au sujet de l’étiquetage des objets du « monde himalayen » exposés aux musées parisiens, les auteurs de la tribune diffamatoire publiée par Le Monde ont eu le culot de parler d’une prétendue « colonisation » chinoise. Cela nous incite, avant de conclure, à aborder le vaste sujet du colonialisme et de l’implication des musées français dans les crimes coloniaux.

Car le vrai sujet dès qu’on évoque le colonialisme est celui du pillage systématique du patrimoine des peuples colonisés. Nos gardiens sinophobes du politiquement correct l’ont soigneusement évité. Que cela nous révèle-t-il en ce qui concerne leur éthique, leur état d’esprit et leurs positions politico-idéologiques ?

Certes, le problème des objets d’art volés pendant l’époque coloniale ne concerne pas seulement la Chine. « Les experts estiment que le Musée du Quai Branly à Paris abrite à lui seul plus de 90 000 objets provenant de l’Afrique subsaharienne, et le British Museum au moins autant. Plus de 90 % de l’héritage culturel de l’Afrique se trouverait dans des collections hors du continent, » rappelait le quotidien allemand Frankfurter Rundschau à bon escient il y a quelques années. (9)

Cependant, alors « que les débats sur l’art colonial spolié en Afrique et en Océanie et sur sa restitution battent leur plein, le sujet de la Chine reste étrangement peu abordé », s’est étonné l’Allemand Cord Eberspächer, Professeur d’histoire comparée de la Chine et de l’Europe à la Hunan Normal University de Changsha. « Pourtant, au cours du XIXe et du début du XXe siècle, la Chine a été exposée à une violence coloniale massive et a perdu, par le vol et le pillage, d’innombrables trésors artistiques qui se trouvent aujourd’hui dans des musées et des collections européens, américains et japonais. » (10)

En Chine, le saccage du palais d’Été par les armées françaises et britanniques, en 1860, lors de la seconde guerre de l’opium, demeure un symbole douloureux des agressions commises par les puissances coloniales. D’innombrables trésors pillés dans ce palais impérial ont été emportés à l’étranger et notamment en France. Victor Hugo écrivit en 1861 : « J’espère qu’un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée ».

Lors de la Guerre des boxers, au début du XXe siècle, la Chine fut encore victime d’une véritable « orgie de pillage par des soldats, des civils et des missionnaires », constate le quotidien allemand Taz. Ces « pillages se sont étendus sur une année entière et n’ont pas seulement eu lieu à Pékin, mais dans tout le nord de la Chine. » Le quotidien allemand cite la conservatrice du département Asie de l’Est et du Sud au Musée am Rothenbaum de Hambourg, Susanne Knödel, qui rapporte qu’après « la répression du mouvement des Boxers, on peut supposer que 80% des biens culturels de Pékin n’étaient plus à leur place » (11)

Une autre forme de butin, cette fois emporté par un sinologue français : Au début du XXe siècle, le site de Dunhuang dans la province chinoise de Gansu attisait la convoitise d’archéologues et d’explorateurs occidentaux. Profitant de la pauvreté et de l’ignorance de la population locale, Paul Pelliot (1878-1945), membre de l’Ecole française d’Extrême-Orient, acquit pour une somme dérisoire une dizaine de milliers de manuscrits, peintures et estampes. Ces trésors sont toujours conservés au Musée Guimet et à la Bibliothèque nationale. (12)

La restitution des objets volés à la Chine, y compris de ceux provenant de ses régions tibétaines, reste d’actualité. Dans ce dossier, rien de positif ne viendra des milieux orientalistes et sinophobes attachés au vieux monde façonné par le colonialisme et l’impérialisme occidental.

Notes :

1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/08/31/des-musees-francais-courbent-l-echine-devant-les-exigences-chinoises-de-reecriture-de-l-histoire-et-d-effacement-des-peuples_6300046_3232.html

2) https://fr.wikipedia.org/wiki/Tibet

3) Voir : http://occitanet.free.fr/fr/geodom.htm et https://revestou.fr/pages/282-noms-et-surnoms-noms-et-surnoms-des-varois-en-provencal-fr.php

4) http://www.roelly.org/~genealogie/entraide/villagessz.php

5) https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Est

6) Voir : https://www.rfi.fr/fr/podcasts/%C3%A0-la-une-en-asie/20240913-tibet-des-mus%C3%A9es-fran%C3%A7ais-c%C3%A8dent-ils-devant-p%C3%A9kin

7) Magali Lesauvage « Guimet et le Quai Branly répondent aux accusations d’ingérence chinoise », Le quotidien de l’art, 05 septembre 2024. (https://www.lequotidiendelart.com/articles/26113-guimet-et-le-quai-branly-r%C3%A9pondent-aux-accusations-d-ing%C3%A9rence-chinoise.html)

8) https://ihedn.fr/2023/09/04/extraterritorialite-du-droit-quand-le-lawfare-sert-la-guerre-economique/

9) Johannes Dieterich, „Gefangen in Europa“, Frankfurter Rundschau, 09/11/2020. (https://www.fr.de/kultur/kunst/koloniale-raubkunst-gefangen-in-europa-90095026.html)

10) „Provenienzforschung zu Sammlungsgut aus kolonialen Kontexten (China), Die Plünderung des kaiserlichen Palastes, Chinesische Dinge in deutschen Museen und Sammlungen und ihre Herkunft“. (https://www.researchgate.net/publication/370691018_Die_Plunderung_des_kaiserlichen_Palastes_Chinesische_Dinge_in_deutschen_Museen_und_Sammlungen_und_ihre_Herkunft)

11) https://taz.de/Raubkunst-aus-China-in-Museen/!5848824/

12) Voir : https://www.lemonde.fr/culture/article/2024/04/27/uvres-chinoises-pillees-la-question-complexe-des-restitutions_6230185_3246.html

PS (LGS) : une quinzaine d’objets d’art chinois se trouvent au musée de Fontainebleau, dont ceux qui illustrent cet article.

Adblock test (Why?)

Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir

À propos de l'auteur Le Grand Soir

« Journal Militant d'Information Alternative » « Informer n'est pas une liberté pour la presse mais un devoir »C'est quoi, Le Grand Soir ? Bonne question. Un journal qui ne croit plus aux "médias de masse"... Un journal radicalement opposé au "Clash des civilisations", c'est certain. Anti-impérialiste, c'est sûr. Anticapitaliste, ça va de soi. Un journal qui ne court pas après l'actualité immédiate (ça fatigue de courir et pour quel résultat à la fin ?) Un journal qui croit au sens des mots "solidarité" et "internationalisme". Un journal qui accorde la priorité et le bénéfice du doute à ceux qui sont en "situation de résistance". Un journal qui se méfie du gauchisme (cet art de tirer contre son camp). Donc un journal qui se méfie des critiques faciles à distance. Un journal radical, mais pas extrémiste. Un journal qui essaie de donner à lire et à réfléchir (à vous de juger). Un journal animé par des militants qui ne se prennent pas trop au sérieux mais qui prennent leur combat très au sérieux.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You