La pensée, cœur du destin de Zoé Rose

La pensée, cœur du destin de Zoé Rose

Dans Zoé Rose (VLB Éditeur, 2024), France Théoret nous convoque à un vibrant et rare plaidoyer pour la vie intellectuelle.

Dans un livre récemment paru sur la cinéaste Agnès Varda aux Éditions Gallimard, la journaliste-biographe Laure Adler écrivait ceci : « L’essentiel au cinéma, ce n’est pas de savoir filmer. C’est de savoir voir. Tout est question de point de vue. »

La même philosophie caractérise le parcours de France Théoret depuis ses premières publications. L’autrice prolifique admire les deux artistes mentionnées ci-dessus tout comme le septième art. Lors de la rédaction de son roman Hôtel des quatre chemins (Pleine Lune, 2011), elle avait été secouée par la radicalité du Ruban blanc, de Michael Haneke.

En parcourant les pages de Zoé Rose, des œuvres antérieures de Théoret reviennent en mémoire, notamment l’enjeu de l’amitié féminine présent dans Huis clos entre jeunes filles (mais sous une forme différente). Nous constatons à la fois une continuité et une évolution percutante dans ses convictions féministes.

Originaire de Sainte-Sophie, Zoé Rose, l’héroïne du récit, a un prénom qui signifie en grec ancien « vie ». Son nom de famille se veut une référence à la famille Rose, qui a occupé une place majeure lors de la crise d’Octobre.

« Choisir un prénom pour une personne demeure extrêmement difficile, laborieux. Les femmes pendant longtemps n’ont pas eu de résonnance », précise Théoret en mentionnant la chanson emblématique d’Anne Sylvestre, Non, tu n’as pas de nom.

L’ouvrage scrute les interrogations sur la société, sur le corps physique et sur les relations affectives d’une étudiante en histoire de l’art qui écrira une thèse sur le Refus global. Ce manifeste de 1948 (« ni périmé, ni offensif » aux dires de Théoret) dénonçait l’immobilisme de la société québécoise et demeure d’une brûlante actualité.
 

Une vie de questionnement

Une citation d’Hannah Arendt (rencontre intellectuelle marquante pour l’autrice en 1986, telle que racontée dans son recueil d’essais Écrits au noir) accompagne la « pratique solitaire » de Zoé sur la solidité des certitudes morales et psychiques : « Une vie qu’on ne questionne pas n’est pas digne d’être vécue! »

Zoé Rose s’inscrit dans une trilogie autour du Refus global, qui comprend également la novella «Zoé, une vie intellectuelle» dans le recueil Va et nous venge et l’essai paru au printemps dernier, Aux artistes la grande colère1 (traité dans L’aut’journal).

La protagoniste du roman recherche encore davantage que dans les précédentes fictions de France Théoret une « vie portée par une vocation intellectuelle ». Contrairement à Hôtel des quatre chemins ou Une belle éducation où la difficulté pour une femme de transgresser une « collectivité réactionnaire » demeurait explicite, nous retrouvons plutôt ici une « coupure » avec le milieu d’origine. «Zoé ne reçoit aucune aide ou d’encouragements de sa famille. Elle doit travailler pour subvenir à ses besoins.»

Le désir représente le « plus beau mot de la langue ». L’écrivaine aborde avec une franchise salutaire des préoccupations reliées au corps, autant dans l’intimité que dans les rapports interpersonnels. La culture populaire « amplifiait le message de devoir plaire. Corps pour soi, corps pour autrui, corps décent et indécent. » Pour Zoé, ne doit exister aucune dichotomie ou antagonisme entre ce dernier et l’intelligence.

France Théoret réitère des interrogations de son amie décédée Louky Bersianik (lire leurs entretiens dans L’écriture, c’est les cris) « qui affirmait qu’une féministe devenant obèse ou que le féminisme menait à l’obésité. Zoé, elle, ne fait pas le procès de cette idée. »

Soulignons une autre personnalité singulière : la designer française Sonia Rykiel. Celle-ci « a publié aux Éditions des femmes, a revendiqué le droit de mettre le tricot à l’envers pour que les coutures puissent être visibles, dans un univers (la mode) conçu par les hommes pour les femmes, à quelques exceptions près (Coco Chanel) ».

Le vêtement devient « une armure » et un « rempart » pour Zoé qui se remémore un titre de l’écrivain français Jean Cocteau, La Difficulté d’être. Pour elle, « une féministe ne va pas nue (devant le monde) » et doit se débarrasser « du regard des hommes ».

Par ailleurs, l’une des deux citations en exergue de Zoé Rose vient du philosophe du 17e siècle Baruch Spinoza : « Personne n’a jusqu’à présent déterminé ce que peut le corps. » Elle rejoint cette volonté chez France Théoret (qui se qualifie de « féministe de rue ») de toujours « remettre en mémoire » la place des femmes dans la société.
 

Lutte pour Refus global

Nous ressentons les embûches de Zoé (« une coureuse de fond ») pour défendre et enseigner Refus global (« moment capital de l’histoire du Québec, un jalon »), qui subit des attaques chez les intellectuels (perçu comme un « discours mythique et utopique »). Cette bataille, France Théoret l’a connue. « Dans plusieurs ouvrages sur le manifeste, l’attention est portée presque exclusivement sur les hommes. » Dans Zoé Rose, le professeur démontre cette tendance à rendre invisibles les accomplissements des femmes signataires.

« Les réalisations de Marcelle Ferron sont souvent encore perçues comme mineures puisqu’elle n’a pas que peint des tableaux (songeons à ses vitraux, dont celui du métro Champ-de-Mars à Montréal). » Françoise Sullivan s’est illustrée dans la danse, alors que Thérèse Renaud a publié de nombreux ouvrages (dont Une mémoire déchirée). Dans le livre majeur Les Femmes du Refus global, Patricia Smart « soutient que ce sont les femmes du groupe qui ont le plus l’esprit du manifeste ».

Dans cet espoir de concilier l’individu et la société, espoir qui imprègnent autant le Refus que l’œuvre complète de France Théoret, le portrait dans Zoé Rose de Paul-Émile Borduas retient l’attention : « Il prônait une façon différente de concevoir le collectif.

Le peintre-sculpteur-professeur s’éloignait de la figure du gourou. Il n’était ni un chef ni un guide social. »

Zoé Rose, autre pierre marquante dans le corpus de l’autrice, appelle un devoir de mémoire pour « les étapes importantes du Québec ».

En mémoire d’Odette Gagnon

Nous avons appris le décès de la comédienne et dramaturge Odette Gagnon qui fut, en 1976, de l’expérience théâtrale féministe La Nef des sorcières avec notamment France Théoret, Luce Guilbeault et Pol Pelletier. Son monologue La fille, écrit pour l’actrice Louisette Dussault, avait secoué; la femme de théâtre Danielle Fichaud m’avait confié avoir assisté ce soir-là à « la scène de nudité la plus conscientisante qu’il m’ait été donné de voir en 40 ans ».

Odette Gagnon fut la première femme à présider un conseil d’administration au Centre des auteurs dramatiques (CEAD) au début des années 1970. Elle a participé à la création des Belles-Sœurs, de Michel Tremblay en 1968, à la Nuit de la poésie de 1970, à deux créations collectives orchestrées par Jean-Claude Germain (Les Enfants de Chénier dans un autre grand spectacle d’adieu et Si Aurore m’était contée deux fois), à l’adaptation québécoise de la pièce allemande Faut pas s’laisser faire, « l’un des plus puissants textes de théâtre jeunes publics jamais écrits », aux dires de l’homme de théâtre Louis-Dominique Lavigne sur sa page Facebook.

Voici la chanson Ah si jamais qu’elle a signée pour Pauline Julien : https://www.youtube.com/watch?v=Tu_lNwciFn8.

1. https://lautjournal.info/20230512/le-refus-global-ni-perime-ni-inoffensif

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Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

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