Depuis le 29 décembre 2023, l’état d’Israël est mis en accusation, devant la Cour internationale de Justice des Nations-Unies, pour son intention de génocide contre le peuple palestinien enfermé dans la Bande de Gaza.
La Cour Internationale de Justice est l’institution judiciaire des Nations-Unies : elle succède à la Cour permanente de justice internationale de la Société des Nations et elle s’est réunie pour la première fois en avril 1946 ; elle est composée de 15 juges élu.es pour un mandat de neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité des Nations Unies.
La CIJ a 2 missions :
- juger les conflits entre les états par une procédure contentieuse ;
- rendre des avis consultatifs lorsque l’Assemblée générale de l’ONU ou le Conseil de sécurité ou des institutions spécialisées de l’ONU lui posent des questions juridiques de Droit international.
Les arrêts rendus par la Cour dans les différends entre États ont force obligatoire pour les parties en cause. L’article 94 de la Charte des Nations Unies stipule que « chaque Membre des Nations Unies s’engage à se conformer à la décision de la Cour […] dans tout litige auquel il est partie ».
Dans sa requête, l’Afrique du Sud demande que la Cour ordonne à Israël de prendre certaines mesures conservatoires pour protéger le peuple palestinien, en tant que groupe ethnique et national, contre le génocide.
L’Afrique du Sud considère que les attaques quotidiennes et meurtrières d’Israël dans la bande de Gaza depuis le 8 octobre 2023 font partie d’un plan délibéré pour détruire ou expulser toutes et tous les Palestinien.nes de Gaza et détruire toute possibilité d’un habita viable. Le gouvernement de Benjamin Netanyahou viole délibérément, selon l’Afrique du Sud, la Convention des Nations-Unies, votée à l’unanimité à Paris le 9 décembre 1948, qui interdit et réprime le crime de génocide.
L’Afrique du Sud a connu le régime d’apartheid contre la population noire majoritaire pendant 43 ans, de 1948 à 1991 : ce pays peut donc parfaitement comprendre que les gouvernements de droite et d’extrême-droite en Israël appliquent la même politique d’apartheid depuis environ 40 ans contre le peuple palestinien dans des territoires illégalement occupés par Israël.
Depuis le dépôt du recours fin décembre 2023, il y a eu deux audiences publiques où les avocat.es des deux états ont plaidé : les 11-12 janvier 2024 et les 16-17 mai 2024. La Cour a déjà rendu 3 ordonnances contre l’état d’Israël pour qu’il prenne ces mesures de protection : le 26 janvier 2024, le 28 mars 2024 et le 24 mai 2024. Cette dernière ordonnance contient une demande explicite que Israël cesse ses opérations militaires dans la Bande de Gaza. Bien sûr, Israël n’a pas obéi : il est persuadé de pouvoir tout faire impunément puisqu’il bénéficie du soutien des États-Unis d’Amérique depuis 1948…
J’ai découvert il y a une semaine les plaidoiries des avocat.es de l’Afrique du Sud qui ont eu lieu le 16 mai 2024 : les six avocat.es sont Adila Hassim, Blinne Ni Gràlaigh, John Durgard, Vaughan Lowe, Max Duplessis et Tembeka Nguckaitobi. J’ai décidé de traduire la plaidoirie de Me Vaughan Lowe car cet avocat britannique, basé à Londres et âgé de 72 ans, est très ferme dans son accusation de génocide contre Israël : il y a 20 ans, en 2004, il avait déjà défendu la Palestine lorsque Israël commençait de construire le Mur de l’Apartheid dans les territoires palestiniens occupés. La Cour internationale de Justice avait alors rendu, le 9 juillet 2004, un avis consultatif disant que la construction de ce mur par Israël violait le Droit international.
Les lectrices et lecteurs de Profession Gendarme peuvent donc écouter la plaidoirie de Me Vaughan Lowe le 16 mai 2024 dans la vidéo ci-dessous ; et en pièce jointe figure le texte original avec ma traduction en français.
Jocelyne Chassard
PLAIDOIRIE DE Me Vaughan LOWE,
King Counselor, barrister, professeur émérite à l’Université d’Oxford,
membre de l’Institut de droit international, Essex Court Chambers,
membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles.
(texte traduit de l’anglais par Jocelyne Chassard)
« [La requête de l’Afrique du Sud contre l’état d’Israël] n’est pas une affaire ordinaire, même dans le cadre de l’usage de la force ou dans le domaine du droit humanitaire.
L’Afrique du Sud est ici parce que le peuple palestinien affronte un génocide à Gaza et les précédentes ordonnances de cette Cour n’ont pas réussi à les en protéger.
La Cour a statué en janvier 2024 que le peuple palestinien a légalement droit à être protégé d’un génocide et que l’Afrique du Sud avait démontré le risque réel et imminent que ce droit soit violé d’une manière irréparable. La Cour a rendu une ordonnance [le 26 janvier 2024] car elle a considéré nécessaire de protéger le peuple palestinien d’un génocide ; et elle a rendu une autre ordonnance [le 28] mars 2024.
Pourtant, soit par le manque de clarté des demandes faites dans ces ordonnances soit parce que Israël a choisi de les ignorer, elles n’ont eu aucun effet.
Les Nations-Unies possèdent un cadre pour traiter des conflits internationaux, incluant l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité. Mais dans cette affaire ces deux instances n’ont pas très bien fonctionné, c’est pourquoi l’Afrique du Sud demande respectueusement à cette Cour de réaffirmer son autorité et son rôle dans ce dossier.
L’Afrique du Sud a déjà envisagé, et elle les abordera plus tard, les conditions techniques légalement requises pour que soient prises des mesures provisoires afin de changer la situation, mais le point essentiel est que cette Cour a le pouvoir d’agir, de s’assurer que ses précédentes ordonnances et son éventuel jugement ne soient pas inutiles et que le peuple palestinien sera protégé. Il est nécessaire que la Cour exerce son pouvoir maintenant.
L’état d’Israël dirige ses attaques contre le peuple palestinien dans toute la Bande de Gaza et la Cisjordanie. La plainte de l’Afrique du Sud concernait initialement la ville de Rafah à cause du risque imminent de mort et de souffrance à grande échelle du fait des attaques d’Israël. Depuis que ce recours a été déposé, il est devenu de plus en plus clair que les agissements d’Israël à Rafah font partie du plan final, dans lequel Gaza sera complètement détruite et toute habitation humaine impossible. Ceci est la dernière étape de la destruction de Gaza et du peuple palestinien qui y vit.
C’est la ville de Rafah qui a conduit l’Afrique du Sud devant cette Cour, mais ce sont tous les Palestiniens, en tant que groupe ethnique et national, qui ont maintenant besoin que la cour ordonne cette protection contre le génocide.
Nous avons entendu des protestations outragées contre la possibilité même d’accuser Israël d’agir de cette sorte. Nous avons reçu l’assurance que Israël faisait tout son possible pour éviter la mort de civils, en usant de ce droit qu’il brandit à se défendre. Nous avons entendu ceux qui vantaient l’armée d’Israël comme l’armée la plus morale de l’Histoire et nous avons avons entendu ceux qui niaient l’existence d’une famine à Gaza. Depuis des mois, notamment en Occident, beaucoup semblent refuser d’accepter que ces accusations soient vraies : comment des gens qui sont comme nous et nous ressemblent pourraient-ils s’engager dans un génocide ?
Mais il faut pourtant affronter la réalité des preuves.
Mes collègues vous confronteront à cette réalité, la preuve de bombardements incessants, d’attaques contre des civils regroupés par Israël dans des zones prétendument sécurisées, d’attaques contre des convois humanitaires, les preuves des charniers et de l’horreur que révèlent les cadavres. Aucun argument crédible ne peut nier la réalité de cette catastrophe.
La Cour a déjà conclu au risque réel et imminent que soit violé le droit du peuple palestinien à être protégé d’un génocide ; la Cour connaît les déclarations du Secrétaire général des Nations-Unies, celles du président des États-Unis, celles de chefs d’état et de ministres des Affaires étrangères de multiples pays et celles des dirigeants d’agences humanitaires internationales. Ces déclarations, ainsi que des témoignages personnels et des reportages de presse qui peuvent sortir de Gaza, nous dévoilent le récit cohérent d’une horreur inimaginable, qui continue alors même que nous parlons.
La plus grande partie de Gaza a été rasée. Les survivants à qui, de temps en temps, on accorde de retourner chez eux, retrouvent des décombres : pas de foyer, pas d’eau courante, pas d’électricité, pas d’égouts, plus aucune infrastructure en état. Et les rares biens qu’ils ont réussi à sauver, ils les transportent dans des charrettes ou des voitures tandis qu’on les pousse d’une prétendue zone de sécurité vers une autre.
Si la Cour n’agit pas maintenant, la possibilité de reconstruire à Gaza une société palestinienne viable, sera détruite. Au moins pour celles et ceux qui auront survécu à l’horreur actuelle dans Gaza.
Il n’est certes pas facile de vérifier les détails puisque Israël persiste à refuser l’entrée de Gaza à des inspecteurs indépendants et aux journalistes ; et depuis que l’attaque d’Israël a commencé plus de 100 journalistes ont été tué.es à Gaza.
Mais Israël ne peut pas d’un côté bloquer l’accès de Gaza à des agences de contrôle indépendantes et d’un autre côté prétendre que la Cour ne peut instruire la plainte contre lui par manque de preuves. C’est en appréciant les plus fiables des preuves qui lui ont été apportées que la Cour doit instruire ce dossier.
Israël invoquera et brandira encore son droit à se défendre, mais il ne peut pas répondre à ces trois points évidents :
- premièrement, le droit de se défendre ne donne pas à un état la licence d’user de violence de manière illimitée ; jamais le droit de se défendre ne s’est étendu au droit d’infliger à tout un peuple, collectivement et de façon indiscriminée, une violence massive ainsi qu’une famine ;
- deuxièmement, rien, ni le droit de se défendre ni autre chose, ne doit jamais justifier un génocide : l’interdiction du génocide est absolue, c’est une norme impérative du droit international ;
- troisièmement, la Cour a statué en 2004 que le droit de se défendre n’existait pas pour un état occupant à l’intérieur des territoires qu’il occupe.
Le point essentiel aujourd’hui est que l’objectif déclaré d’Israël d’effacer Gaza de la carte est en passe de se réaliser ; les preuves supplémentaires de crimes et atrocités effroyables sont littéralement en train d’être détruites à coup de bulldozer, ce qui a pour conséquence d’effacer l’ardoise de ceux qui commettent ces crimes et de faire de la Justice une mascarade.
La Cour n’est pas impuissante, et l’Afrique du Sud lui demande respectueusement d’agir, non seulement pour réaffirmer sa propre autorité mais aussi l’autorité du Droit international. L’Afrique soutient qu’il est essentiel de mettre fin aux activités militaires d’Israël à Gaza pour permettre l’entrée et la distribution de nourriture et de produits humanitaires, et ainsi sauver des vies. Cette position est partagée par un nombre écrasant d’états et d’organisations internationales : un arrêt des opérations militaires dans Gaza est nécessaire et il est cohérent avec les ordonnances que la Cour a déjà édictées.
Si Israël persiste à nier qu’il empêche les ordonnances de la Cour d’être effectives par toutes ses opérations militaires, incessants bombardements, raids d’infanterie, blocage des routes et des points d’accès, il revient à la Cour de le déclarer explicitement à Israël, ainsi qu’aux autres états qui prêtent aide et assistance à Israël dans sa campagne pour éradiquer la Palestine.
Ces points vont être développés par les conseils de l’Afrique du Sud :
- D’abord, John Dugard présentera les conditions juridictionnelles pour que la Cour exerce son pouvoir d’ordonner des mesures provisoires et montrera que ces conditions sont réunies.
- Ensuite, Max Duplessis exposera les récents événements qui ont contraint l’Afrique du Sud à revenir devant cette cour et notamment ce qui s’est passé à Rafah.
- Puis Adila Hassim expliquera pourquoi les Palestiniens de Gaza sont confrontés à un danger gravissime et imminent.
- Tembeka Ngcukaitobi poursuivra en démontrant que les actions d’Israël suivent un plan et ont un objectif explicite, lesquels indiquent clairement l’intention d’éradiquer la Palestine.
- Et enfin Blinne Ní Ghrálaigh présentera les solutions recherchées par l’Afrique du Sud et Monsieur l’Ambassadeur Madonsela donnera lecture des requêtes de l’Afrique du Sud. »
2024-16 mai CIJ Plaidoirie Vaughan Lowe.pdf
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