Par Jean-Luc Baslé – 12 juillet 2024
La guerre en Ukraine n’a pas détourné Washington de son objectif asiatique. Cette guerre européenne est l’un des éléments d’une stratégie globale qui vise à détruire la Russie, et à soumettre la Chine. Elle s’inscrit dans le plan défini par Paul Wolfowitz, sous-secrétaire à la Défense, en février 1992 intitulé : Defense Planning Guidance. Il stipule que, suite à l’effondrement de l’Union soviétique, les Etats-Unis ne souffriront plus de concurrents susceptibles de s’opposer à leur objectif d’hégémonie mondiale.
Outre leur soutien financier, politique, et militaire à l’Ukraine, les Etats-Unis et leurs alliés octroient à Kiev un soutien logistique qui vise à faire front à une attaque russe dirigée contre les pays baltes, la Pologne, et peut-être au-delà. Ce plan prévoit la création d’un Schengen militaire permettant d’acheminer rapidement à partir de ports situés en Hollande, en Italie, en Grèce et en Norvège, armes et munitions plus 300 000 combattants pour contrer cette attaque. Ce plan, sous la direction de l’Allemagne, vise à permettre aux Etats-Unis de se concentrer sur leur stratégie de « Pivot to Asia » (volteface sur l’Asie), initiée par Barack Obama en 2011, momentanément abandonnée, et reprise par Donald Trump.
Cette volte-face s’accompagne d’accords avec les Philippines, d’une part, et le Japon, d’autre part, afin de contrôler les accès à la mer de Chine, et in fine le commerce chinois avec le reste du monde. Ces accords sont le Quad qui comprend l’Australie, l’Inde, le Japon et les Etats-Unis, et l’AUKUS qui inclue l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Il est prévu que la Corée du sud rejoigne le Quad, mais il n’est pas certain que l’Inde y reste.
Face à ces menaces, Russie et Chine réagissent. La Russie qui n’a ni l’intention, ni les moyens et encore moins le désir d’attaquer l’Europe, consolide ses relations avec ses amis, comme en témoignent les voyages de Vladimir Poutine au Kazakhstan, en Corée du nord et au Vietnam, sans parler de la récente visite du premier ministre indien, Narendra Modi à Moscou. De son côté, la Chine s’appuie sur l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), pour contrer la menace américaine, et cherche à transformer la mer de Chine en mare nostrum, comme le font les Etats-Unis avec le Golfe du Mexique. L’OCS compte dix membres et 14 partenaires de dialogue dont l’Arabie saoudite. Son dernier sommet s’est tenu à Astana (Kazakhstan) les 3 et 4 juillet. Il a réuni la Chine, la Russie, l’Inde, la Turquie, l’Iran, le Pakistan, le Qatar, l’UAE, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, la Mongolie, la Biélorussie, et la Mongolie, soit 40% de la population mondiale et près de 30% du produit intérieur brut mondial.1 Notons aussi que l’Armée du peuple chinois conduit actuellement des exercices militaires en Biélorussie sur le thème de la lutte contre le terrorisme.2
Ce n’est pas la Russie mais Washington qui veut la guerre, comme le révèle la décision de Joe Biden d’installer 15 bases militaires en Finlande ou l’affirmation d’Antony Blinken, secrétaire d’état, que l’Ukraine sera un jour membre de l’Otan.3 Des bases militaires américaines en Finlande constituent une menace existentielle pour la Russie qui partage une frontière de 1 340 kilomètres avec ce pays.4 Que dirait Joe si Vlad installait des bases militaires au Mexique ? Antony Blinken ne peut ignorer que l’inclusion de l’Ukraine dans l’Otan est une ligne rouge infranchissable pour les Russes. Bill Burns, aujourd’hui directeur de la CIA, était ambassadeur à Moscou quand cette question fut évoquée pour la première fois à Washington. Il envoya d’urgence au Département d’état – le ministère des affaires étrangères – un télégramme intitulé : « Nyet means nyet » (Nyet signifie nyet), ne laissant aucun doute sur la position russe.5 Comment expliquer cette désinvolture de Blinken face à la Russie ?
Les médias accusent volontiers Vladimir Poutine de vouloir envahir l’Europe. Mais si cela était, pourquoi aurait-il proposé en décembre 2021un projet de traité d’architecture de sécurité en Europe ? Projet auquel les Occidentaux se sont bien gardés de donner suite. Ces accusations sont réitérées dans le communiqué du 75ème sommet de l’Otan à Washington sans être étayées.6 Contrairement à la présentation qui en a été faite dans les médias, l’Opération militaire spéciale russe n’est pas une agression, mais une réponse aux attaques répétées de l’Ukraine envers le Donbass – réponse que les articles 2 et 51 de la Charte des Nations unies autorisent.
Ce n’est pas la Chine mais Washington qui veut la guerre comme le confirme la décision de Joe Biden d’envoyer armes et munitions à Taïwan en contradiction avec la politique officielle des Etats-Unis de « One China policy » (une seule Chine). Par ailleurs, dans le communiqué de l’Otan, la Chine est mise en demeure de cesser son soutien – non démontré, mais clairement affirmé – à la Russie dans le conflit ukrainien. La Chine « joue désormais un rôle déterminant dans la guerre menée par la Russie au travers de son partenariat dit “sans limites” et du large soutien qu’elle apporte à la base industrielle de défense russe, ce qui accroît la menace que représente pour ses voisins et la sécurité atlantique ».7
Cette situation, potentiellement explosive, a conduit des personnalités anglo-américaines à publier une lettre8 demandant que des négociations soient entamées dans les plus brefs délais pour conclure un accord de paix en Ukraine. De fait, les Etats-Unis doivent impérativement abandonner leurs visées hégémoniques – visées dont ils n’ont d’ailleurs plus les moyens…9 – pour qu’une paix juste et durable soit un jour instaurée.
Rappelons en conclusion que des scientifiques calculent depuis 1947 le temps qui nous sépare d’une troisième guerre mondiale. Appelé Horloge de l’Apocalypse (Doomsday Clock), elle est aujourd’hui à 100 secondes de minuit. Elle n’a jamais été aussi proche, et compte tenu des évènements récents tant en Ukraine qu’au Moyen Orient, il est permis de penser qu’elle est en réalité beaucoup plus proche de l’heure fatidique mais que les scientifiques n’ont pas osé ou n’ont pas été autorisé à la rapprocher davantage. Note : elle était à 17 minutes de minuit au début des années 1990.
Jean-Luc Baslé
Notes
Source: Lire l'article complet de Le Saker Francophone