Les Témoins de Jéhovah soutiendraient-ils secrètement l’armée ukrainienne ?

Les Témoins de Jéhovah soutiendraient-ils secrètement l’armée ukrainienne ?

En 2017, la Russie, dans un acte de souveraineté affirmé, avait déclaré la Société Watchtower, l’entité religieuse qui régit les âmes des Témoins de Jéhovah, comme étant une organisation extrémiste et interdit ses activités sur son territoire. Les sombres nuages de la persécution se sont abattus sur cette confession venue des lointaines contrées des États-Unis dès l’année suivante, en 2018. Depuis lors, les tribunaux ont prononcé maints jugements sévères, condamnant des dizaines de fidèles à des peines d’emprisonnement, certains languissant derrière les barreaux jusqu’à six années entières.

En janvier 2024, des agents du Service fédéral de sécurité (FSB) russe ont mené une incursion impromptue dans un bureau des Témoins de Jéhovah, situé dans la ville de Marioupol. Là, dans les recoins de ce lieu de culte, les agents découvrirent et confisquèrent plus de vingt mille publications, ainsi que des documents officiels relatant des allégations troublantes quant à l’implication de ce mouvement religieux dans le soutien financier de factions armées en Ukraine [1].

Cette supposée ingérence de la Watchtower dans le conflit ukrainien a de quoi ébranler les esprits, car les Témoins de Jéhovah, connus pour leur pacifisme évangélique, se drapent dans la neutralité politique la plus absolue. Leur site Internet affirme même :

« Les Témoins de Jéhovah sont politiquement neutres […]. Nous ne faisons pas partie de groupes de pression, nous ne votons pas pour des partis ou des candidats politiques, nous ne cherchons pas à occuper des postes au gouvernement, et nous ne participons pas aux actions menées en vue de changer de gouvernement. » [2]

Face à cette situation, faut-il s’interroger sur une éventuelle manœuvre orchestrée par les services secrets russes, visant à accabler davantage les adeptes de cette foi et à légitimer ainsi une nouvelle vague de persécutions à leur encontre ? Ou bien les allégations des agents du FSB reposent-elles sur des faits concrets, révélant ainsi que les soi-disant pacifisme et neutralité des Témoins de Jéhovah ne seraient qu’une façade trompeuse ?

En l’absence de la possibilité de consulter ces fameux « documents officiels » accusateurs, le jugement se trouve suspendu.

Cependant, revenons brièvement sur l’historique de ce mouvement religieux en matière de neutralité et de pacifisme. Ce récit ne manquera pas de surprendre bien des lecteurs.

La Société Watchtower elle-même a admis avoir, par le passé, encouragé ses membres – à l’époque appelés « Étudiants de la Bible » – à soutenir l’effort de guerre des États-Unis durant la Première Guerre mondiale :

« Des frères ont acheté des bons pour soutenir financièrement l’effort de guerre, et quelques-uns sont même allés dans les tranchées, armés de fusils et de baïonnettes. » [3]

Dans les méandres de cette époque tumultueuse, le clergé jéhoviste actuel s’efforce néanmoins de rationaliser ce comportement en le rattachant à une mauvaise interprétation de la véritable essence de la neutralité chrétienne.

Cependant, la réalité se révèle plus nuancé. En 1896, la posture initiale du mouvement à l’égard de la conscription militaire était de chercher à servir au sein des troupes sanitaires ou des troupes administratives afin de ne pas combattre. Si ce service alternatif n’était pas disponible, les Étudiants de la Bible devaient éviter par tous les moyens légitimes de participer à la guerre. Cependant, si l’enrôlement était inévitable, les fidèles devaient se plier aux demandes de l’État [4]. En 1904, apparut une règle supplémentaire pour le moins curieuse : il était demandé aux adeptes envoyés au front de rater leur cible, même si cette pratique mettait leur vie en danger [5].

L’avènement de la Première Guerre mondiale a révélé l’insoutenabilité et l’impraticabilité de cette posture. Alors que certains Étudiants de la Bible « tiraient en l’air ou essayaient simplement de désarmer leur ennemi » [6] d’autres mourraient en cherchant à s’acquitter des exigences paradoxales du jéhovisme. Confrontés à ces incohérences et aux interrogations grandissantes des fidèles, une ligne de conduite plus rigide fut adoptée en 1915, proscrivant le port de l’uniforme et déconseillant le travail dans les usines d’armement. Ainsi, une position qui tolérait initialement le service militaire dans des rôles non combattants, voire même le combat sans tuer, s’est transformée en une opposition radicale à la guerre. Cette radicalisation s’est trouvée d’autant plus aisée à promouvoir que les leaders jéhovistes étaient basés aux États-Unis, une nation alors neutre et réticente à s’engager dans le conflit européen.

Pourtant, deux années plus tard, la situation bascula lorsque le président américain Woodrow Wilson déclara la guerre à l’Allemagne. Par un coup du destin, l’entrée en guerre des États-Unis coïncida avec la publication d’un livre de propagande jéhoviste, The Finished Mystery, dénonçant vigoureusement le patriotisme et la conscription militaire, une prise de position toujours risquée en temps de guerre, même dans une nation qui proclame la primauté de la liberté d’expression. Les critiques acerbes de cet ouvrage attirèrent l’attention des autorités nord-américaines, ce qui conduisit à une enquête du FBI et des perquisitions dans les bureaux new-yorkais de la Watchtower en février 1918.

À ce moment, l’attitude de la Watchtower devint subitement plus accommodante. Le 15 mars 1918, elle édita un nouveau tract visant à apaiser les tensions avec les autorités américaines et dans lequel les mérites du président Woodrow Wilson étaient exaltés :

« Nous ne sommes en aucun cas contre le gouvernement. Nous reconnaissons le gouvernement des États-Unis comme le meilleur sur Terre et M. Wilson comme le plus grand des dirigeants de la Terre. Nous ne sommes pas contre la guerre. » [7]

Un mois plus tard, dans une interview accordée au New York Times, Joseph Rutherford, le leader jéhoviste de l’époque, encourageait les Étudiants de la Bible à acheter des Liberty Bonds – obligations d’État émises par le Trésor américain pour financer la guerre en Europe [8]. Cette invitation fut renouvelée quelques semaines plus tard dans les publications du mouvement [9]. Certains parmi les adeptes refusèrent catégoriquement cette directive, engendrant une scission au sein de la communauté. Ainsi, il appert que la compromission des élites jéhovistes ne découle pas tant d’une méconnaissance des préceptes de la neutralité chrétienne que d’une volonté manifeste d’apaiser les autorités judiciaires américaines et de se présenter comme un ardent défenseur de la patrie [10].

Cette manœuvre ne rencontra toutefois pas le succès escompté. Huit cadres du mouvement, parmi lesquels monsieur Rutherford, furent condamnés à une peine sévère de vingt années d’emprisonnement. Mais telle est la nature versatile de la fortune, car une fois les tumultes de la guerre apaisés, cette sentence fut renversée, et les détenus recouvrèrent la liberté en 1919.

La seconde narration, plus surprenante encore, tisse ses fils dans le tissu tourmenté des années trente. À l’aube de cette décennie troublée, alors que les Témoins de Jéhovah d’Allemagne subissaient les affres des persécutions sous le joug d’un nouveau régime implacable, surgit de nouveau Joseph Rutherford dans une énième tentative de séduction politique. Il convient de rappeler que la Société Watchtower avait investi considérablement en terre germanique, faisant de ce pays un bastion essentiel dans la propagation du jéhovisme à travers l’Europe.

Le 25 juin 1933, une assemblée publique d’envergure fut orchestrée à Berlin, lors de laquelle un manifeste rédigé par Rutherford, intitulé Déclaration de Faits, fut lu devant l’assistance. À travers ce document, le leader de la Watchtower aspirait à persuader le chancelier allemand fraîchement élu, un certain Adolf Hitler, que les Témoins de Jéhovah ne constituaient aucunement une menace. Tout en affirmant de manière catégorique la neutralité politique absolue du mouvement, le manifeste affirmait la chose suivante :

« L’empire le plus vaste et le plus oppressif de la planète est l’empire anglo-américain. On entend par là l’Empire britannique, dont les États-Unis d’Amérique font partie. Ce sont les juifs commerçants de l’empire anglo-américain qui ont bâti et exploité le grand capital comme moyen d’exploiter et d’opprimer les peuples de nombreuses nations. Ce fait s’applique particulièrement aux villes de Londres et de New York, fief du Big Business. Ce fait est si évident en Amérique qu’il existe un proverbe concernant la ville de New York qui dit : « Les juifs la possèdent, les Irlandais catholiques la gouvernent et les Américains paient les factures. » » [11]

Au-delà des propos sulfureux et des diatribes enflammées qui produiraient des syncopes chez bien des commentateurs d’aujourd’hui, il est opportun de noter que dans sa description de l’empire anglo-américain comme étant « le plus vaste et le plus oppressif de la planète », le président jéhoviste a sapé les prétentions de neutralité politique [12]. Soulignons tout de même le courage extrême dont il fit preuve en apportant une réponse claire et précise à la question cruciale du QUI ?, celle qui entraîne une élévation de la température de dix degrés, en dénonçant ouvertement l’influence pernicieuse du puissant lobby des « Irlandais catholiques », trop souvent négligée dans les débats contemporains !

La Déclaration de Faits fut largement diffusée, atteignant près de 2,5 millions d’exemplaires, un acte audacieux qui ne manqua pas de faire réagir. Même Hitler reçut une copie de ce document, accompagnée d’une lettre de Paul Balzereit, émissaire de l’organisation en Allemagne, assurant au Führer que les Témoins de Jéhovah « n’étaient pas en opposition avec le gouvernement national du Reich allemand ». La lettre ajoutait que, au contraire, « les objectifs et les efforts entièrement religieux et apolitiques des Étudiants de la Bible » étaient « entièrement en accord avec les objectifs correspondants du gouvernement national ». La missive allait même jusqu’à présenter monsieur Rutherford comme un « germanophile », soulignant son refus de participer à la propagande de guerre antigermanique durant la Première Guerre mondiale, ce qui avait valu au mouvement des persécutions aux États-Unis à cette époque [13].

Cependant, cette version de l’histoire est une distorsion flagrante, comme nous le savons bien. Loin de s’opposer à Washington, le président de la Watchtower chercha plutôt à s’attirer ses bonnes grâces en faisant l’éloge de Woodrow Wilson et en encourageant les adeptes à soutenir l’effort de guerre américain, contre l’Allemagne justement, en achetant des Liberty Bonds.

Quant à Hitler, nous ne pouvons dire avec certitude s’il était au courant de ces faits, mais ce que nous savons, c’est que la Déclaration de Faits l’a profondément irrité, le conduisant à intensifier la persécution contre les Témoins de Jéhovah en Allemagne.

Dans les âges tumultueux de l’Histoire, les prophéties apocalyptiques ont toujours fleuri telle une mauvaise herbe dans le jardin des hommes. L’avènement de la Seconde Guerre mondiale ne manqua pas de susciter son cortège de Cassandre modernes. À ce jeu funeste, Joseph Rutherford se distingua autant comme lobbyiste de la cause jéhoviste auprès des puissants que comme prophète, osant prédire la victoire des régimes fascistes sur les démocraties (à la libération, certains ont été tondus pour moins que cela !) :

« Les démocraties et surtout l’Angleterre et l’Amérique sont sur le point d’être circonscrites par le grave péril que représentent le régime totalitaire, le Saint-Siège, les fascistes et les nazis. » [14]

« J’ai déclaré que les nazis et les fascistes étaient unis afin de détruire l’Empire britannique et cela SERA ACCOMPLI. » [15]

Dès la première lecture de ces deux énoncés, le manque de perspicacité géopolitique de monsieur Rutherford saute immédiatement aux yeux. Mais au-delà de cette évidente carence, se dresse fièrement l’absence totale de neutralité, vertu pourtant exaltée par les Témoins de Jéhovah comme la marque indélébile des véritables chrétiens. Le paradoxe est aussi savoureux que l’ironie qui s’en dégage !

Plus récemment, entre les années 1992 et 2001, la Société Watchtower fut inscrite en tant qu’ONG auprès des Nations unies, une entité que l’eschatologie jéhoviste considère comme satanique et qu’elle identifie à la « bête sauvage de couleur écarlate » dont parlait l’Apocalypse de Jean. Durant cette période, quelques écrits élogieux envers l’ONU émanèrent du mouvement religieux. Lorsque l’existence de cette affiliation fut finalement dévoilée en octobre 2001 par le journal The Guardian [16], les dignitaires jéhovistes s’empressèrent de gommer toute trace de cette alliance en se désolidarisant de l’organisation mondialiste.

À ce jour, certaines rumeurs murmurent que cette connexion subsiste toujours, mais sous des voies détournées, notamment à travers l’United Religions Initiative, une ONG internationale prônant la collaboration interreligieuse quotidienne et durable, l’éradication de la violence au nom des cultes, et l’instauration d’une culture de paix, de justice, et de respect envers la Terre et ses créatures [17].

Après ce succinct récapitulatif historique, revenons en cette année 2024 et aux accusations du FSB selon laquelle la Société Watchtower aurait participé au financement des forces armées ukrainiennes. Que faut-il en penser ? S’agit-il là d’une machination ourdie par le Kremlin ou d’une duplicité propre au jéhovisme ? Moscou tente-t-elle de resserrer son emprise sur la Watchtower, ou bien cette dernière cherche-t-elle à riposter aux attaques subies depuis 2017 ?

L’avenir détient les clefs du mystère. La presse russe rapporte qu’une série de mesures opérationnelles et d’enquêtes sont actuellement en cours pour identifier les protagonistes impliqués dans le soutien financier de l’armée ukrainienne, en particulier des factions néonazies [18].

Comme il convient de le professer en de telles circonstances, laissons l’enquête suivre son cours et attendons sagement que le temps, ce révélateur impartial de vérité, accomplisse son dessein. Il se pourrait bien qu’à l’heure où les mensonges de la propagande ukrainienne et atlantiste tombent un à un, d’autres tromperies – certes plus anecdotiques – soient dévoilées par ricochet !

La prochaine fois que des Témoins de Jéhovah frapperont à votre porte, vous aurez un sujet de conversation à aborder avec eux !

Fernand le Béréen

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Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation

À propos de l'auteur Égalité et Réconciliation

« Association trans-courants gauche du travail et droite des valeurs, contre la gauche bobo-libertaire et la droite libérale. »Égalité et Réconciliation (E&R) est une association politique « trans-courants » créée en juin 2007 par Alain Soral. Son objectif est de rassembler les citoyens qui font de la Nation le cadre déterminant de l’action politique et de la politique sociale un fondement de la Fraternité, composante essentielle de l’unité nationale.Nous nous réclamons de « la gauche du travail et de la droite des valeurs » contre le système composé de la gauche bobo-libertaire et de la droite libérale.

2 Comments

  1. Cet article napporte rien de nouveau et ne fait que répéter les elucubrations ressassées par la mivilude et autre fecris, régulièrement condamnés pour diffamation. Nous sommes en 2024 et il est affligeant de voir ces références au siecle dernier. Heureusement que les temoins de jéhovah n’existaient pas à lepoque de la préhistoire car les rédacteurs du present article les accuseraient d’avoir tué les dinosaures.

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