Julian Assange a pu quitter la prison de haute sécurité de Belmarsh où il était incarcéré depuis 2019 dans l’attente d’une éventuelle extradition vers les États-Unis. Il aurait pu y être jugé en vertu de l’Espionage Act et écoper d’une peine de 175 ans de prison. Mais un accord avec les autorités US a pu être trouvé. Le fondateur de WikiLeaks a accepté de plaider coupable de « complot pour obtenir et divulguer des informations relevant de la défense nationale ». En route pour comparaître devant un tribunal US des îles Mariannes, Assange devrait écoper d’une peine de 52 mois de prison, déjà purgée en détention préventive à Belmarsh. Après cette formalité, il pourra regagner son pays natal, l’Australie. Mobilisé depuis de nombreuses années pour la libération d’Assange, Viktor Dedaj réagit à cet ultime rebondissement. (I’A)
Investig’Action : Assange faisait l’objet d’un véritable acharnement des États-Unis. Il mourrait à petit feu dans des conditions assimilées à de la torture dans la prison de Belmarsh. Et son avenir était plus qu’incertain, avec toujours ce risque d’extradition. Comment expliquer qu’un accord pour sa libération tombe maintenant ?
Viktor Dedaj : Parmi ceux qui suivent l’affaire de près, la rumeur d’un accord possible courrait depuis un bout de temps. Pour les États-Unis, c’est une façon de ne pas perdre la face et d’obtenir une condamnation. Mais en cas d’extradition et d’un procès pour espionnage sur le territoire US, Assange risquait une peine de 175 ans de prison. Ici, il écopera d’une peine de 52 mois d’emprisonnement déjà purgés à Belmarsh. Cela démontre à quel point la justice n’avait pas beaucoup d’importance dans cette histoire, elle a surtout fait l’objet d’une instrumentalisation politique.
Si cet accord a pu être trouvé maintenant, c’est d’abord parce que l’establishment des États-Unis est divisé. Certes, les services de renseignements voulaient la peau d’Assange. Mais dans la course à la Maison-Blanche, cette libération est sans doute la seule chose positive que Biden pourra faire valoir auprès d’une partie de son électorat.
Ensuite, les États-Unis s’étaient eux-mêmes fourrés sur une voie de garage. En février dernier, devant statuer sur la possibilité pour la défense d’Assange d’introduire un ultime recours, la Haute Cour britannique avait demandé des garanties à Washington. C’était la première fois que deux juges semblaient vraiment prendre l’affaire au sérieux. Ils s’inquiétaient notamment de savoir si, en tant que citoyen australien, Assange pourrait bénéficier du premier amendement dans le cadre d’un éventuel procès sur le territoire US. La réponse à ces garanties est arrivée le dernier jour du délai imparti. Elle n’émanait pas du département de la Justice, mais de l’ambassade US. Et le fonctionnaire qui l’a probablement gribouillée a répondu que Julian pourrait invoquer le premier amendement. Cette forme de désinvolture laissait entendre que pour Washington, l’affaire était gagnée d’avance. Ça n’a sans doute pas plu aux deux juges britanniques. Les États-Unis ont donc dû faire marche arrière et trouver un accord pour sauver la face. Certes, la punition infligée à Assange n’est probablement pas à la hauteur de leurs espérances. Mais on notera tout de même qu’il a dû plaider coupable de quelque chose qu’il n’a pas fait. De plus, Assange n’est pas citoyen étasunien et n’a pas commis de crime sur le territoire des États-Unis. Sa condamnation confirme donc le caractère extraterritorial des lois US. Reste à espérer qu’elle ne rentrera pas dans le marbre de la jurisprudence.
Que va devenir Julian Assange ? Poursuivra-t-il son combat avec WikiLeaks ?
La procédure fait l’objet de conditions négociées. À ma connaissance, elles n’ont pas été rendues publiques. Et il est probable qu’elles ne le seront jamais si cela fait partie de l’accord.
J’ai suivi cette nuit un débat avec des personnes qui connaissent bien Julian Assange. Il en ressort qu’il va commencer par prendre du repos, qu’il n’arrêtera pas, mais qu’il continuera sans doute à travailler dans d’autres domaines.
Je rappelle que la technologie de WikiLeaks avait été fournie aux grands médias, mais qu’ils n’en ont rien fait. Pas étonnant. Quand Bradley devenu Chelsea Manning avait voulu livrer ses révélations sur les crimes de guerre en Irak, il s’était d’abord tourné vers le New York Times et le Washington Post. Mais ces grands journaux n’y ont pas donné suite. Il y a des lignes rouges à ne pas franchir. Pour un journaliste moyen aux États-Unis, ces trois choses sont sacrées : Dieu, le port d’arme et la sécurité nationale. WikiLeaks avait franchi les lignes rouges sur la sécurité nationale. On y a goûté, c’était très bon, mais le cuistot a pris cher et il mérite qu’on le laisse tranquille à présent. Peut-être que d’ici quelques générations, quelqu’un reprendra le flambeau. En attendant, Julian Assange pourrait s’intéresser à d’autres combats qu’il menait depuis longtemps, notamment sur Internet. Il avait par exemple un projet pour garantir l’authenticité des données archivées sur le Net.
Quelles leçons tirez-vous de cette affaire ?
Je vais faire l’anti-cérémonie des Oscars et commencer par ceux qu’on ne remercie pas : les grands médias qui n’ont rien fait pour la libération d’Assange ; et les responsables politiques à l’exception de dirigeants d’Amérique latine et de quelques courageux en Europe.
On a pu se rendre compte avec cette histoire à quel point le droit de savoir est une arme dangereuse. WikiLeaks représentait une menace existentielle pour tous les pouvoirs corrompus. On retiendra aussi que la lutte paie. J’ose croire que l’importante mobilisation des citoyens et des médias alternatifs a pesé dans la balance. Sans elle, les États-Unis auraient pu continuer à jouer au chat et à la souris avec Assange.
À titre personnel, cet engagement avait commencé avec Investig’Action. J’avais participé à un Michel Midi sur Wikileaks et dans la foulée, nous avions organisé un ciné-débat à Bruxelles sur l’affaire Assange. J’avais ensuite été contacté par Christine Assange, la mère de Julian, pour me remercier, car c’était la première fois qu’un événement de ce genre était organisé sur le territoire européen. J’ai continué à m’impliquer dans ce combat durant de nombreuses années. Et aujourd’hui, c’est auprès d’Investig’Action à nouveau que je peux commenter la libération de Julian Assange. On peut dire que la boucle est bouclée !
Interview par Grégoire Lalieu
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir