Gaza, l’Ukraine et le droit international

Gaza, l’Ukraine et le droit international

L’auteur est avocat constitutionnaliste

Quoi que l’on puisse dire ou penser des conflits militaires à Gaza et en Ukraine, il est clair que nous traversons le moment le plus important pour l’évolution du droit international depuis le début du nouveau millénaire. Plusieurs aspects fondamentaux du système juridique international sont en cause simultanément. On peut affirmer que le droit international vit sa pire remise en question depuis la Seconde Guerre mondiale, mais il faut souligner qu’après cette guerre, il a réussi à s’imposer comme jamais dans l’histoire de l’humanité. La crise actuelle peut conduire à un pareil raffermissement.

Le grand philosophe allemand Emmanuel Kant, dont le pays honore le 300e anniversaire cette année, avait imaginé une paix universelle entre les nations. Ce rêve des Lumières ne devait commencer à être pris timidement au sérieux qu’au début du 20e siècle après la boucherie de ce qu’on appelait alors la Grande Guerre, la pire que le monde avait connue jusque-là avant d’être redésignée la Première Guerre mondiale.

Le traité de Versailles de 1919 annonçait la création de la Société des Nations (SDN), la première organisation internationale de l’histoire humaine destinée à assurer la paix, et un tribunal connu aujourd’hui sous le nom de Cour internationale de Justice (CIJ) pour arbitrer les litiges entre les États souverains.

Le Canada, en raison de ses états de service sur les champs de bataille au profit de l’empire britannique, put adhérer à la SDN dès sa fondation aux côtés de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du Sud, en dépit du fait que ces États ne deviendraient officiellement souverains qu’en 1931.

La chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM, spécialisée dans l’étude des relations internationales, honore la mémoire de l’un des premiers diplomates canadiens originaires du Québec; il représenta le Canada à la Société des Nations et exigea l’indépendance entière du Canada du Royaume-Uni, y compris en politique étrangère.

Entre 1925 et 1926, il fut président de l’Assemblée générale de la SDN. Il fut également l’un des rédacteurs du protocole de Genève, le premier texte juridique international à interdire l’usage des gaz toxiques et bactériologiques.

Ceux-ci avaient été abondamment utilisés par les deux camps en France entre 1914 et 1918 et avaient temporairement aveuglé le caporal Hitler, mais tous les belligérants se sont conformés à cette interdiction pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils ont aussi souvent, mais certainement pas toujours, respecté les normes des Conventions de Genève sur le droit international humanitaire concernant le traitement réservé aux prisonniers et civils.

L’idéalisme de l’après-guerre a même conduit les gouvernements français et américain à négocier une entente, le pacte Briand-Kellogg du nom de leurs ministres respectifs, signée en 1928 par 63 pays qui, selon ses termes, « condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux et y renoncent en tant qu’instrument de politique nationale dans leurs relations mutuelles ».

Selon Wikipédia, « c’est le climat détendu des relations internationales qui permet la signature de ce pacte, par 15 puissances dont la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne et le Japon, pour la renonciation générale à la guerre. Si le pacte est accueilli dans l’enthousiasme aux États-Unis, il suscite une réserve indéniable en Europe. Le texte avait en principe une portée limitée, dans la mesure où aucune sanction n’était prévue en cas d’infraction, seule une réprobation internationale étant envisagée ».

Le pacte Briand-Kellogg ne rendait pas la guerre illégale. Elle ne l’est pas davantage aujourd’hui. Plusieurs juristes réclament que le crime d’agression internationale soit inventé à la suite de l’attaque russe contre l’Ukraine, tout comme les crimes de génocide et de crimes contre l’humanité furent forgés dans la jurisprudence internationale après l’Holocauste.

Le Japon est le seul pays au monde à avoir renoncé à la guerre dans sa constitution. Celle-ci lui a été imposée par les États-Unis en 1946, un an après les bombes atomiques de Nagasaki et Hiroshima. Elle ne l’empêche toutefois pas de s’armer pour se préparer à une guerre défensive contre la Chine avec l’accord de Washington.

La SDN a été totalement discréditée au cours de la décennie 1930 par une série de guerres régionales qui annonçaient un nouveau conflit majeur. En 1941, alors que celui-ci était loin d’être terminé, le premier ministre britannique Churchill et le président américain Roosevelt adoptaient conjointement la Charte de l’Atlantique, qui jetait les bases de ce qui allait devenir en 1945 la Charte fondatrice de l’Organisation des Nations Unies (ONU), une version renforcée de la SDN.

Ils ont proposé une série de principes moraux devant guider les puissances démocratiques et garantir le rétablissement durable de la paix : le refus de tout agrandissement territorial, le droit des peuples à choisir leur forme de gouvernement, le libre accès de chacun aux matières premières, la liberté des mers, et une fois encore la renonciation à la force!

Cet idéalisme officiel de l’Occident fut démenti par la réalité à la conférence de Yalta de février 1945, où Staline exprima son refus de l’autodétermination des peuples et ses projets d’agrandissements territoriaux par la contrainte. Nous vivons avec la nécessité du même réalisme en Ukraine aujourd’hui.

La décennie 1940 connut d’autres événements majeurs. L’extermination de millions de Juifs européens conduisit à la proclamation unilatérale de l’État d’Israël par la lutte armée en 1948 et à la catastrophe de la dépossession palestinienne, déjà prescrite par le dieu génocidaire des Hébreux dans leur livre sacré et sanglant, qui est aussi celui des chrétiens.

Cette même année vit l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, suivant le modèle de la Déclaration française de 1789. La Déclaration universelle est la grand-mère des chartes des droits du Québec et du Canada, et l’arrière-grand-mère de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007. À plusieurs égards, nous vivons toujours dans les retombées des années d’après-guerre du milieu du 20e siècle.

En 2002, un autre pas fut franchi après de nouvelles horreurs au Rwanda et en ex-Yougoslavie. La création de la Cour pénale internationale (CPI), le premier tribunal permanent du genre, allait permettre de poursuivre des individus pour des crimes internationaux. Ce tribunal et d’autres semblables ont connu un certain succès.

Récemment, des mandats d’arrêt ont été émis contre Poutine, Netanyahou et les dirigeants du Hamas. La CIJ a ordonné à Israël de cesser ses attaques à Gaza. Ces interventions ont été infructueuses jusqu’ici.

Les États de droit sont minoritaires dans le monde actuel. Il a fallu des millénaires pour les créer. Il faudra sans doute plusieurs siècles encore pour arriver à une société mondiale qui accepte de se soumettre partout à la primauté du droit international. Il reste que la lente progression vers la réalisation de la vision de Kant est réelle. Le Québec indépendant devra faire sa part comme le Canada.

Tragiquement, cette évolution tortueuse de l’humanité se fait en interrelation directe avec des souffrances innommables et le sacrifice de millions d’êtres humains, y compris des peuples martyres tels que les Juifs du 20e siècle et les Palestiniens du 21e. Parfois, il arrive même que les uns, mal guéris de leurs traumatismes, deviennent les bourreaux des autres.
 

Gaza, l’Ukraine et le droit international

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