DANIEL DUCHARME — «Florian Zeller a 25 ans». Étrangement, c’est par l’énoncé de son âge que débutent les notices biographiques des quatre romans publiés par cet auteur jusqu’à maintenant. Pourquoi l’éditeur ne les fait-il pas débuter par: «Né en 1979, Florian Zeller…». Un coup de marketing, sans doute, car on cherche visiblement à présenter l’auteur comme un jeune prodige, une sorte de virtuose des lettres. Ou alors comme l’écrivain de la modernité. Comme si le fait d’être jeune suffisait à lui-seul à apporter un éclairage nouveau sur le monde.
La fascination du pire raconte le séjour en Égypte de deux écrivains, l’un Français (le narrateur), l’autre Suisse (Martin) qui, sous l’égide d’un ministère quelconque dédié à la culture et à la coopération, représentent la France et la francophonie dans cette région de monde, notamment en participant à des rencontres littéraires au Caire. Mais, dès les premières pages du roman, on se rend vite compte que cette mission devient le vaste prétexte pour discourir sur la triple préoccupation de l’heure: l’islam, le sexe et l’occident. D’ailleurs, aussitôt que les deux écrivains prennent place dans l’avion, le conflit éclate quand l’un des passagers refuse que sa femme – une femme voilée, bien entendu – s’assoie à côté du narrateur, ce qui déplaît à Martin qui ne tolère guère ce genre d’accommodements raisonnables. Rendus au Caire, ce dernier ne cherche qu’une chose: se payer une prostituée. Mais voilà qu’il apprend avec stupéfaction qu’on ne baise plus en Égypte, que les seules prostituées qui restent sont Marocaines – et non Égyptiennes comme on serait en droit de le supposer – et qu’elles sont réservées aux Saoudiens de passage. Cette situation engendre une frustration croissante chez le Suisse qui, tout au long de son séjour au Caire, fera tout pour obtenir une « fille ». Humilié, même molesté à la sortie d’un bar, ce dernier rentre en Europe plus frustré que jamais. Pour sa part, le narrateur adopte une attitude contraire, allant même jusqu’à refuser les avances d’un agent culturel de l’ambassade (d’origine marocaine, d’ailleurs) par fidélité pour sa compagne restée à Paris. Ce dernier constate néanmoins que l’Égypte a changé: la montée de l’islamisme est palpable, ce qu’illustre la pratique – beaucoup plus répandue que par le passé – du port du voile pour les femmes.
De retour à Paris, les choses se corsent. Martin écrit un roman qui raconte sa récente expérience au Caire et qui, en quelque sorte, met en cause l’islam. Cela lui vaut des menaces de mort. Accusé de racisme, il se défend en rappelant brièvement qu’une religion est avant tout un système d’explication du monde et que, à cet égard, condamner l’une d’entre elles est un acte philosophique qui n’a par définition rien à voir avec ceux qui y adhèrent (p. 202). Peine perdue, il succombe à un attentat.
En parsemant son récit de déclarations péremptoires sur des sujets d’actualité comme l’islam et l’occident, Florian Zeller cherche visiblement à choquer, à provoquer. Dans un entretien qu’il accorde au Magazine littéraire de décembre 2007 (p. 92), l’écrivain Richard Millet déclare: «Nombre de jeunes écrivains utilisent le roman comme instrument de promotion sociale. Qu’un écrivain ait envie d’être connu et lu, c’est une chose tout à fait légitime. Mais nous avons basculé dans l’ordre de la performance – il n’est plus question de faire une œuvre ou même de se faire remarquer mais de rentrer dans un processus de starification. Le livre est devenu un produit!» Ce jugement pourrait s’appliquer à Florian Zeller, bien qu’il apparaît trop sévère à mon avis, car La fascination du pire est un roman fort agréable à lire, un roman qui nous plonge dans un malaise tout à fait contemporain, même s’il manque de nuance à l’occasion. D’ailleurs, comme l’auteur l’écrit lui-même, «les nuances, bien souvent, sont une façon de ne pas penser» (p. 176). Reste à savoir si le contraire est aussi vrai… Sauf qu’ici il s’agit moins de nuances que de vision partielle, de mise en scène d’évidences et de situations caricaturales. Pour parer à toute attaque, Zeller joue le jeu du roman dans le roman, qualifiant lui-même le roman de Martin d’une «succession d’a priori sur le sujet, représentant bien, à mon sens, l’état d’esprit que pouvait avoir depuis quelques mois un Occidental moyen suivant l’actualité internationale » (p. 197). C’est à se demander où l’on va… avec ce qu’il est convenu d’appeler un auto-dédouanement. Enfin, la réflexion de Zeller sur le «roman européen» laisse songeur. À croire que le jeune auteur n’a jamais entendu parler de Naguib Mahfouz, de Gamal Ghitany et de Sonallah Ibrahim, pour ne nommer que ceux-là parmi plusieurs autres écrivains égyptiens.
Professeur de littérature à l’Institut d’études politiques de Paris, Florian Zeller est considéré comme un jeune écrivain prometteur. À vingt-deux ans, il publie son premier roman – Neiges artificielles (2002) – qui lui vaut un prix de la Fondation Hachette. Il publie ensuite Les Amants du n’importe quoi (2003), Julien Parme (2006) et quelques pièces de théâtre. La Fascination du pire s’est vu décerner le prix Interallié en 2004.
Florian Zeller. La fascination du pire. Paris, Flammarion, 2004.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec