Dans sa dernière chronique, Michel Rioux faisait référence à cet événement de notre histoire politique connu sous le nom « les culottes à Vautrin » qui avait provoqué la chute du gouvernement de Louis-Alexandre Taschereau.
Nous apportons un supplément d’informations à cet événement qui montre que, parfois, il arrive, en politique, qu’un événement, somme toute relativement mineur, réussisse ce que des scandales beaucoup plus importants n’arrivent pas à faire : soulever l’indignation populaire et déculotter un gouvernement.
C’est peut-être ce qui va se produire avec la subvention de 5 à 7 millions de dollars versée pour la tenue de deux parties de hockey présaison des Kings de Los Angeles au centre Videotron à Québec.
Une leçon d’histoire
Depuis 1897, les libéraux dirigeaient le gouvernement du Québec. Louis-Alexandre Taschereau en était le premier ministre depuis 1920. En 1936, des journalistes et les membres de l’opposition ne se cachent plus pour accuser les libéraux de corruption. Maurice Duplessis, député de Trois-Rivières et leader parlementaire de l’Union nationale, s’est juré d’avoir la tête du premier ministre Taschereau et de faire tomber le gouvernement. L’occasion se présente, grâce à l’analyse du contenu du livre des comptes publics.
En 1936, il y a plus d’une dizaine d’années que le comité chargé de l’analyse des comptes publics n’a pas ou presque pas siégé. Duplessis passe des heures et des jours à éplucher les comptes publics et à relever matières à scandales!
Le premier témoin appelé à comparaître est le sous-ministre de la Colonisation, Louis-Arthur Richard. Duplessis lui fait avouer que des chèques destinés à des colons n’ont jamais été remis à ces derniers et que le député de la circonscription les a gardés pour lui.
Des ministres seront aussi la cible de Duplessis. Ce sera relativement facile de relever des cas de corruption parce qu’à cette époque, plusieurs élus siégeaient à la fois à l’Assemblée législative et à des conseils d’administration de compagnies ayant des contrats avec le gouvernement.
Par exemple, le très puissant ministre Jacob Nicol était à la fois à la tête des finances et actionnaire majoritaire du journal Le Soleil de Québec. Le ministre Joseph-Léonide Perron, mort subitement en 1930, avait siégé au conseil de la Canada Cement tout en étant ministre.
Quant à Charles Lanctôt, en plus de ses titres officiels, il agissait à titre d’avocat pour de grandes compagnies d’électricité et de pâtes et papiers (Shawinigan Water and Power, Beauharnois Light, Heat and Power, Canadian International Paper, St. Regis Paper et Price Brothers Ltd).
Louis-Alexandre Taschereau, le premier ministre, siégeait au conseil d’administration de la Sun Life et de la Banque de Montréal durant ses fonctions. Le cas le plus scandaleux est sans l’ombre d’un doute celui d’Antoine Taschereau. Le frère du premier ministre est le comptable de l’Assemblée législative. Il est responsable du salaire de tous ses membres. Les sommes nécessaires pour acquitter ce qui est dû ou ce qui sera dû lui sont remises à son ordre, sommes qu’il dépose dans son compte à la Banque Canadienne Nationale, succursale de Donnacona, où son garçon Jean-Thomas est gérant. Antoine Taschereau encaissait pour lui les intérêts.
On apprendra que 42 personnes plus ou moins apparentées à Louis-Alexandre Taschereau avaient reçu ou recevaient de l’argent du gouvernement.
Irénée Vautrin
Mais le cas qui frappera l’imagination populaire est celui d’Irénée Vautrin, qui a été ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries dans le gouvernement Taschereau du 25 juillet 1934 au 20 décembre 1935. Il sera le plus maltraité par Duplessis.
L’enquête permettra d’apprendre que le ministère de la Colonisation verse un cent par repas aux colons et que le ministre a dépensé 1 592 $ pour moderniser son bureau. Que le gouvernement achète au Nouveau-Brunswick les pommes de terre qu’il destine aux colons. Que Vautrin utilise le véhicule du ministère pour aller jouer au golf. Qu’il s’est fait payer par son département toutes sortes de frais de chauffeur, de repas, de déplacements et de logement qui n’avaient aucun rapport avec ses fonctions !
Mais ce qui soulèvera l’indignation populaire est qu’il s’est acheté pour quelques dollars, aux frais des contribuables, une paire de culottes – des « breeches » comme les bûcherons, a-t-il expliqué – qu’il portait lorsqu’il rendait visite aux colons de l’Abitibi, culottes qu’il avait par la suite remises au… gouvernement!
Selon les historiens, cet incident a grandement contribué à la défaite du gouvernement et à la fin d’un régime libéral qui perdurait depuis 40 ans.
Fin de règne
Aujourd’hui, nos ministres attendent après leur mandat de député pour siéger au conseil d’administration d’entreprises dont les activités relevaient de leur ministère. Un phénomène qui sera favorisé par la grande braderie de pans entiers du secteur public en cours au profit du secteur privé (santé, Hydro-Québec, etc.). Mais il y a déjà beaucoup à se mettre sous la dent.
Est-ce que le chandail des Kings sera la culotte à Vautrin du gouvernement Legault? Peut-être pas étant donné que les élections n’auront lieu que dans deux ans. Mais peut-être que oui. Chose certaine, la fin du règne du gouvernement Legault est maintenant à l’ordre du jour.
(Références : Quand une paire de culottes fait tomber un gouvernement par Jacques Lacoursière et Pierre B. Berthelot, Duplessis est encore en vie, Septentrion, 2021)
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