Assassinat de Kennedy : « La CIA et le FBI ont caché qu’ils auraient pu sauver JFK »

Assassinat de Kennedy : « La CIA et le FBI ont caché qu’ils auraient pu sauver JFK »

INTERVIEW Le journaliste américain Philip Shenon, auteur d’« Anatomie d’un assassinat, l’Histoire secrète de la mort de JFK », revient sur les zones d’ombre qui entourent toujours le drame 60 ans après, notamment sur ce que savait la CIA sur Lee Harvey Oswald

Propos recueillis par Philippe Berry

Publié le 22/11/23 à 07h27 — Mis à jour le 22/11/23 à 12h41

Le président américain John F. Kennedy et son épouse Jackie, assis derrière le gouverneur du Texas John Connally, une minute avant le drame de Dallas, le 22 novembre 1963. — Jim Altgens/AP/SIPA

  • Ce mercredi marque le 60e anniversaire de l’assassinat du président américain John F. Kennedy.
  • Malgré les conclusions officielles et la déclassification de documents assurant que Lee Harvey Oswald a agi seul, les théories sur l’existence d’un complot persistent.
  • Selon le journaliste américain Philip Shenon, le voyage d’Oswald à Mexico, quelques semaines avant l’assassinat, est l’une des clés du mystère. Entretien.

C’est un jour qui a changé l’Amérique, et même le monde. Le 22 novembre 1963, le président américain John F. Kennedy salue la foule de Dallas depuis sa Lincoln décapotable. A 12h30, sous un grand soleil, un bruit qui ressemble à un pétard retentit. JFK se tient le cou. Le gouverneur du Texas, John Connally, semble également blessé. Quelques secondes plus tard, une autre balle transperce le crâne du président américain. Jackie Kennedy rampe sur le coffre de la Lincoln, un agent du Secret Service la protège avec son corps. A 13h33, la Maison-Blanche annonce que le 35e président des Etats-Unis est décédé trente minutes plus tôt. Le monde est sous le choc : le jeune président américain a été assassiné.

Attention, la vidéo ci-dessous montre le moment où JFK est tué

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Dans la foulée, Lee Harvey Oswald, un ancien marine de 24 ans qui avait tenté de faire défection en URSS quatre ans plus tôt, est arrêté. Lors de son interrogatoire, il clame son innocence et assure être un « pigeon ». Inculpé pour le meurtre de Kennedy, Oswald est tué deux jours plus tard lors de son transfert en prison par le patron d’une boîte de nuit, Jack Ruby, qui affirme avoir voulu « venger » JFK. L’année suivante, la commission Warren, chargée par le président Lyndon Johnson d’enquêter sur les circonstances de l’assassinat de John F. Kennedy, rend son verdict : « Il n’y a aucune preuve qu’Oswald ait fait partie d’une conspiration intérieure ou étrangère ».

Affaire classée ? Loin de là. Soixante ans après, la mort de John F. Kennedy alimente plus que jamais les théories du complot : selon un sondage de Gallup, deux Américains sur trois sont persuadés que JFK a été victime d’une conspiration, et la déclassification de documents secrets ces dernières années n’a pas dissipé les zones d’ombre. Pour le journaliste américain Philip Shenon, qui a passé vingt ans au New York Times et écrit le livre Anatomie d’un assassinat, l’Histoire secrète de la mort de JFK (Presses de la cité, 2013), dont une nouvelle édition est parue cette année, on ne connaîtra sans doute « jamais » toute la vérité.

Paul Landis, un agent du Secret Service, affirme dans un nouveau livre* qu’il a trouvé une balle à l’arrière de la limousine et l’a laissée sur un lit d’hôpital. Sa version change-t-elle la donne sur la potentielle présence d’un second tireur ?

Quand cette balle est retrouvée sur un lit de l’hôpital Parkland, à Dallas [l’établissement où a été transféré JFK après les coups de feu] il y a beaucoup de confusion et de questions : est-ce qu’elle est sortie du corps du gouverneur Connally ou de Kennedy ? Comment est-elle arrivée là ? Landis est un homme honorable, présent ce jour-là. Mais il a livré plusieurs versions au fil des années, et je ne suis pas certain que tous les faits qu’il avance soient clairs. Dans son livre, il affirme aujourd’hui qu’il a trouvé la balle sur la banquette arrière de la limousine, l’a mise dans sa poche puis l’a laissée sur un lit de l’hôpital.

Cette balle retrouvée à l'hôpital Parkland a bien été tirée, selon les analyses ballistiques, par le fusil de Lee Harvey Oswald.
Cette balle retrouvée à l’hôpital Parkland a bien été tirée, selon les analyses ballistiques, par le fusil de Lee Harvey Oswald. – AP/SIPA

Son témoignage est traité par certains comme une révélation qui remet en cause ce que l’on sait sur l’assassinat et sur un tireur unique, mais je ne pense pas que ça soit le cas. C’est une balle dont on connaissait l’existence depuis le début [qui a été tirée par le fusil d’Oswald, selon les analyses balistiques]. La version de Landis explique peut-être simplement comment elle a atterri à l’hôpital.

Pourquoi le voyage de Lee Harvey Oswald à Mexico, deux mois avant de tuer Kennedy, est crucial ?

Oswald est un marxiste autoproclamé, qui a publiquement exprimé son soutien à la révolution castriste. Après sa défection ratée pour l’URSS quelques années plus tôt, il dit [à sa femme soviétique] Marina qu’il va se rendre aux ambassades cubaine et soviétique à Mexico (voir encadré) pour obtenir un visa lui permettant de faire défection à Cuba. On sort de la Baie des cochons [l’invasion ratée de l’île par des exilés cubains soutenus par Washington] et de la crise des missiles. La CIA a ces ambassades sous surveillance avec des caméras, leurs téléphones sont sur écoute.

Selon une lettre** (déclassifiée) du FBI de 1964, à l’ambassade cubaine, Lee Harvey Oswald aurait dit à voix haute « Je vais tuer Kennedy ». A Mexico toujours, Oswald aurait eu des contacts avec des espions cubains et soviétiques, et peut-être une courte liaison avec une femme mexicaine travaillant pour les Cubains.

La demande d'un visa pour Cuba de Lee Harvey Oswald déposée à l'ambassade de Mexico, le 27 septembre 1963, a été rejetée.
La demande d’un visa pour Cuba de Lee Harvey Oswald déposée à l’ambassade de Mexico, le 27 septembre 1963, a été rejetée. – Sipa/AP

Pourtant, après l’assassinat, la CIA affirme que ses éléments les plus récents sur Oswald datent de mai 1962, un an avant. Pourquoi ?

Après l’assassinat, la CIA multiplie les déclarations contradictoires sur ce qu’elle savait et quand. L’agence a un énorme problème : elle surveillait de manière agressive celui qui allait devenir l’assassin de Kennedy jusqu’aux dernières semaines avant son acte. La CIA et le FBI savaient qu’Oswald était dangereux. Ils craignaient qu’il soit un agent étranger. Après l’assassinat, la CIA avait tellement peur d’être tenue responsable qu’elle a couvert ce qu’elle savait. La CIA et le FBI ont caché le fait qu’ils auraient pu sauver la vie de Kennedy. Ils ont vendu la version qu’Oswald était un loup solitaire qui n’aurait jamais pu être stoppé. Alors qu’en vérité, si la CIA et le FBI avaient agi en se basant sur leurs informations, l’attentat aurait pu être déjoué.

L’agence a ensuite tout fait pour minimiser l’importance de Mexico auprès de la commission Warren. Si la commission avait disposé de tous les éléments, elle aurait sans aucun doute envoyé des enquêteurs au Mexique. Aujourd’hui, c’est trop tard, la plupart des témoins sont morts.

Le jour où le président américain a été tué, les Etats-Unis œuvraient à faire assassiner Castro

Les théories du complot démarrent-elles tout de suite après l’assassinat ?

Oui. Dès le début, beaucoup d’Américains ont du mal à accepter l’idée qu’un marginal de 24 ans ait pu éliminer seul l’homme le plus puissant du monde avec un fusil commandé par la Poste. Les théories sur un complot d’hommes de l’ombre à Washington, Moscou ou La Havane se multiplient rapidement, aux Etats-Unis, mais aussi en France [avec des doutes exprimés par de Gaulle].

Lee Harvey Oswald au commissariat de Dallas le 23 novembre 1963.
Lee Harvey Oswald au commissariat de Dallas le 23 novembre 1963. – AP/SIPA

Il y a une certaine logique derrière toutes ces théories. On dit que c’est la mafia car l’administration Kennedy avait déclaré la guerre au crime organisé. Ou des agents de la CIA qui n’auraient pas digéré le fiasco de la Baie des cochons. Mais je n’ai vu aucun élément crédible le prouvant. S’il y a un complot, il tourne autour de Mexico : si des agents étrangers ont entendu Lee Harvey Oswald menacer de tuer Kennedy, ont-ils pu l’encourager, voire l’assister ?

On sait aujourd’hui que le jour de l’assassinat de Kennedy, la CIA a fourni un stylo empoisonné à Paris à un Cubain chargé d’assassiner Castro. Le jour où le président américain a été tué, les Etats-Unis œuvraient à faire assassiner Castro. C’est presque ironique.

Qu’a représenté l’assassinat de Kennedy dans l’histoire américaine ?

L’assassinat est vu comme un tournant dans l’histoire américaine et du monde, le moment où l’Amérique a perdu son innocence, où la population a commencé à regarder vers l’avenir avec inquiétude. Il y a Kennedy, puis la guerre du Vietnam, le Watergate, Iran-Contra… Avec JFK, les Américains ont commencé à croire qu’ils ne pouvaient pas faire confiance à leur gouvernement pour leur dire la vérité.

Des centaines de milliers de documents ont été déclassifiés depuis 1992. En reste-t-il encore beaucoup qui n’ont pas été rendus publics ?

Les présidents disposent de l’autorité suprême pour déclassifier des documents. En 2017, Donald Trump a cédé face aux pressions de la CIA et du FBI pour ne pas en déclassifier environ 15.000. L’essentiel a été rendu public depuis, mais l’an dernier, Joe Biden a donné son accord pour continuer de protéger environ 2.000 documents au nom de la sécurité nationale. La plupart sont liés à la CIA et à Mexico.

Pensez-vous que toute la lumière sera un jour faite sur l’assassinat de Kennedy ?

Jamais. On vivra avec des théories du complot sur JFK pour les siècles à venir. Et la réalité, c’est que, même si des documents suffisamment explosifs pour alarmer des bureaucrates de Washington ont un jour existé, ils ont vraisemblablement été détruits il y a longtemps.

* « The Final Witness » (Le Dernier Témoin), Chicago Review Press, octobre 2023.

** Cette lettre du FBI date du 17 juin 1964. Elle rapporte, via une source non identifiée, des propos de Fidel Castro, qui aurait dit devant des conseillers, quelques jours après l’assassinat de Kennedy, que Lee Harvey Oswald était en colère après avoir demandé un visa pour Cuba et aurait menacé de tuer Kennedy.

Un voyage à Mexico qui fait débat

Selon la commission Warren et les tampons des services d’immigration, Lee Harvey Oswald se rend au Mexique du 26 septembre au 3 octobre 1963. Il dépose une demande de visa à l’ambassade cubaine de Mexico le 27 septembre, qui lui sera refusée.

Pour son livre, Philip Shenon s’est rendu à Mexico et a interviewé deux témoins qui affirment y avoir vu Lee Harvey Oswald à cette période, notamment à une fête où des personnes connectées à l’ambassade cubaine étaient présentes.

Il n’existe toutefois pas de photos d’Oswald à Mexico. Celle d’un homme devant l’ambassade d’URSS est mentionnée dans plusieurs documents, mais il ne s’agit pas de Lee Harvey Oswald. Par ailleurs, la voix enregistrée lors d’un appel téléphonique intercepté par la CIA d’un homme se présentant comme Lee Oswald, qui « parle mal russe », ne semble pas être la sienne.

Le journaliste Jefferson Morley, du blog Substack « JFK Facts », théorise que la CIA a activement construit une « légende » à Mexico via un homme mystère se faisant passer pour Lee Harvey Oswald, pour faire porter à ce dernier le chapeau de l’assassinat à venir de Kennedy. A ce stade, il ne s’agit toutefois que de spéculation.

Source : 20 Minutes

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À propos de l'auteur Profession Gendarme

L'Association Professionnelle Gendarmerie (APG) a pour objet l’expression, l’information et la défense des droits et intérêts matériels et moraux des personnels militaires de la gendarmerie et de toutes les Forces de l'ordre.Éditeur : Ronald Guillaumont

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