Première partie : L’alliance dans la chair
La judéité est-elle religieuse ou ethnique ? Les juifs sont-ils une communauté religieuse, ou bien une nationalité ? Tout dépend des circonstances. Pour obtenir la citoyenneté sous Napoléon, les juifs jurèrent n’être qu’une religion parmi d’autres. Puis, pour obtenir un État en Palestine, ils s’aperçurent qu’en définitive, ils étaient une nation.
En réalité, ni la religion ni la nation ne recouvre l’essence de la judéité. Celle-ci est définie bibliquement comme une alliance : alliance avec Dieu (le dieu d’Israël qui se prend pour Dieu), ou alliance entre juifs (comme dans le B’nai B’rith, « fils de l’alliance »), selon les sensibilités. La nuance est sans grande importance.
L’alliance mosaïque entre Israël et son dieu se résume ainsi : « Si tu obéis vraiment à la voix de Yahvé ton Dieu, en gardant et pratiquant tous ces commandements que je te prescris aujourd’hui, Yahvé ton dieu t’élèvera au-dessus de toutes les nations de la terre. » (Deutéronome 28,1) L’endogamie absolue est la clé du contrat. À titre d’illustration, dans le Livre des Nombres, chapitre 31, Moïse ordonne le massacre des Madianites (hommes, femmes, enfants, à l’exception de 32 000 jeunes vierges) parce qu’ils ont encouragé les Israélites à se marier avec les Moabites. Jusque-là, les Madianites semblent faire partie de l’alliance, car Moïse a épousé la fille d’un prêtre madianite, et c’est en faisant paître les chèvres de ce dernier qu’il a découvert Yahvé. Mais plus loin, au chapitre 25, les Madianites sont sortis de l’alliance et c’est pour avoir tué un Israélite marié à une Madianite que Phinéas, petit-fils d’Aaron, gagne le sacerdoce éternel, et les félicitations de Yahvé pour avoir « le même zèle que moi ».
Mais à côté de cette alliance mosaïque, dont l’endogamie est le nœud, il y a l’alliance abrahamique qui ne comprend qu’un seul commandement : brit milah, « l’alliance de la coupure ».
« Vous ferez circoncire la chair de votre prépuce, et ce sera le signe de l’alliance entre moi et vous. Quand ils auront huit jours, tous vos mâles seront circoncis, de génération en génération. […] Mon alliance sera marquée dans votre chair comme une alliance perpétuelle. L’incirconcis, le mâle dont on n’aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté : il a violé mon alliance. » (Genèse 17:9-14)
L’alliance abrahamique est présentée dans la Bible comme antérieure à l’alliance mosaïque, mais les historiens de la Bible pensent qu’elle est historiquement postérieure. Le personnage d’Abraham lui-même semble inconnu des prophètes pré-exiliques et son périple depuis la Mésopotamie jusqu’en Palestine sous la guidance de Yahvé (« pour te donner cette terre en possession » Genèse 15,7), semble écrit pour préfigurer la (re)conquête de la Palestine par les exilés à Babylone [1].
La circoncision était alors inconnue en Mésopotamie, mais elle était pratiquée en Égypte sur des garçons de quatorze ans, ainsi qu’en Syrie, mais pas de manière uniforme : les Philistins, peuple indo-européen issu du monde égéen, qui ont donné leur nom à la Palestine, sont désignés dans la Bible comme « les incirconcis ». Dans un épisode pittoresque où s’exprime toute la spiritualité hébraïque, David massacre deux cents Philistins pour offrir leurs prépuces à Saül dont il veut épouser la fille (1 Samuel 18). Le texte ne dit pas si Saül s’en fit un collier. Dans un autre épisode tout aussi représentatif, les Israélites acceptent de se marier avec des Amorites, si tous leurs mâles se font circoncire. « Alors nous vous donnerons nos filles et nous prendrons les vôtres pour nous, nous demeurerons avec vous et formerons un seul peuple. » En réalité, commente l’auteur du récit, les Israélites « parlaient avec ruse », et profitèrent de la convalescence des Amorites après la circoncision pour les exterminer et « ravir tous leurs biens, tous les enfants et leurs femmes » (Genèse 34,1-29).
Dans ces récits, et jusqu’au livre de Josué, la circoncision semble pratiquée sur les garçons pubères. Pourquoi, alors, avoir par la suite institué le rite à l’âge de huit jours ? Notons tout de suite une différence fondamentale : la circoncision d’un garçon possède une dimension initiatique, dans la mesure où le garçon peut symboliser, la circoncision d’un nourrisson n’est pour lui rien d’autre qu’une agression et un traumatisme.
L’origine de la particularité de la circoncision juive peut être facilement déduite de la Bible elle-même. Dans l’Exode, nous apprenons que chaque premier-né mâle, humain ou animal, était à l’origine sacrifié le huitième jour après sa naissance : « Le premier-né de tes fils, tu me le donneras. Tu feras de même pour ton gros et ton petit bétail : pendant sept jours ils restera avec sa mère, le huitième jour tu me le donneras. » (Exode 22,28-29) Puisque les animaux étaient offerts à Yahweh en holocauste depuis des temps immémoriaux, on doit comprendre que le fils aîné de chaque famille juive subissait le même sort. Cette tradition prit fin durant l’Exil, et son abolition est représentée narrativement par l’histoire d’Isaac. Mais le prophète Ézéchiel indique clairement qu’elle a fait partie, dans un passé pas si lointain, des commandements de Yahvé : « Et j’allai jusqu’à leur donner des lois qui n’étaient pas bonnes et des coutumes dont ils ne pouvaient pas vivre, et je les souillai par leurs offrandes, en leur faisant sacrifier tout premier-né, pour les frapper d’horreur, afin qu’ils sachent que je suis Yahvé. » (Ézéchiel 20,25)
Dans le livre de Jérémie, Yahvé se défend au contraire d’avoir jamais ordonné les sacrifices d’enfants : « Les fils de Juda ont fait ce qui me déplaît– oracle de Yahvé. Ils ont installé leurs Horreurs dans le Temple qui porte mon nom, pour le souiller ; ils ont construit les hauts lieux de Tophèt dans la vallée de Ben-Hinnom [sud de Jérusalem], pour brûler leurs fils et leurs filles en l’honneur de Molek – ce que je n’avais point ordonné, ce à quoi je n’avais jamais songé. » (Jérémie 7,30-31)
L’interdiction est également stipulée dans le Lévitique : « Tu ne livreras pas de tes enfants à faire passer à Molek, et tu ne profaneras pas ainsi le nom de ton Dieu. Je suis Yahvé. » (Lévitique 18,21) L’interdit est répété dans les versets 20:2-5 du même Lévitique, qui décrètent la mise à mort de quiconque « livre de ses fils à Molek », car « il aura souillé mon sanctuaire et profané mon saint nom ».
Notons d’abord que, du point de vue de l’historien, l’interdit prouve la pratique, c’est-à-dire que l’holocauste d’enfants devait être pratiqué à l’époque où furent écrits le Lévitique et le Livre de Jérémie. Plusieurs rois d’Israël et de Judée offrent d’ailleurs leurs fils en holocauste (1 Rois 16,34 ; 2 Rois 16,3 ; 2 Rois 21,6).
Ce qui est troublant, c’est que, dans le Lévitique et Jérémie, les sacrifices d’enfants sont offerts à Molek, mais sont faits au nom de Yahvé et dans son temple. Ce paradoxe apparent est résolu par des historiens de la Bible comme Thomas Römer : Molech n’était à l’origine autre que Yahvé lui-même. L’un des arguments est que le nom mlk, vocalisé en Molek dans le texte massorétique (le Tanakh du IXe siècle qui a introduit les voyelles dans l’écriture hébraïque), mais Melek dans la Septante grecque, est identique au mot hébreu pour « roi », melek ou melech (malik en arabe), appliqué plus de cinquante fois à Yahweh. L’expression Yahvé Melech se retrouve par exemple dans le Psaume 10 et est toujours utilisée dans les chants religieux juifs [2].
Ces données sont suffisantes, selon Römer, pour conclure que des sacrifices d’enfants étaient offerts à Yhwh-Mèlek avant l’Exil à Babylone. « À l’époque perse, les sacrifices humains deviennent tabous et l’on essaie de les dissocier du culte de Yhwh. Dans la même perspective, les massorètes changeront plus tard Mèlek en Molek. » Autrement dit, il y a un dédoublement du même dieu en un mauvais dieu (qui exigeait des holocaustes d’enfants) et un bon dieu (qui maintenant interdit ces mêmes holocaustes humains). C’était bien le même dieu, comme en témoigne encore Ézéchiel, mais sa version archaïque est dissociée et diabolisée.
Selon le récit biblique, c’est le roi Josias (640-609 av. J.-C.) qui abolit les sacrifices d’enfants, « afin que personne ne puisse faire passer son fils ou sa fille par le feu du sacrifice à Molek » (2 Rois 23,10). Mais selon Römer, ce n’est qu’à l’époque perse que les sacrifices humains sont devenus tabous. Ils sont alors remplacés par des offrandes d’animaux, comme nous l’apprenons de l’Exode et du Lévitique. « Tout être sorti le premier du sein maternel est à moi : tout mâle, tout premier-né de ton petit ou de ton gros bétail. Les premiers ânons mis bas, tu les rachèteras par une tête de petit bétail et si tu ne les rachètes pas, tu leur briseras la nuque. Tous les premiers-nés de tes fils, tu les rachèteras, et l’on ne se présenteras pas devant moi les mains vides. » (Exode 34:19, aussi Exode 13:11-13 et Lévitique 27:26). Cela signifie que le premier fils de tout couple n’est plus sacrifié, mais racheté (ou rédimé), c’est-à-dire remplacé par une autre offrande, comme dans le cas d’Isaac.
Comme dans un palimpseste, nous lisons dans tous ces textes deux couches distinctes : dans le yahvisme pré-exilique, les premiers-nés des hommes et des bêtes étaient sacrifiés à Yahvé huit jours après leur naissance, tandis que dans le yahvisme post-exilique, certains peuvent être « rachetés » par une offrande de substitution, et les enfants mâles le sont obligatoirement.
Cependant, le sacrifice du premier fils au huitième jour a subi une autre transformation en fusionnant avec la circoncision. En effet, que la circoncision soit opérée le huitième jour est un indice certain qu’elle remplace l’ancien rite du sacrifice au huitième jour : le sacrifice a été réduit à une simple ablation du prépuce, et étendu à tous les mâles. Dans le yahwisme pré-exilique, le premier fils devait être offert à Yahweh le huitième jour de sa vie (Exode 22:28-29), et dans le judaïsme post-exilique, tous les fils doivent être circoncis le huitième jour de leur vie.
Toute réforme religieuse présente ses innovations comme la restauration de pratiques anciennes et oubliées. C’est pourquoi les Lévites introduisirent leur nouveau rite, la circoncision des nourrissons et non plus des garçons pubères, comme un commandement ancien, antérieur à l’alliance mosaïque qui était déjà codifiée avant l’Exil.
Il est facile de comprendre pourquoi les Lévites qui légiféraient sur la communauté juive en Mésopotamie ont accordé à la circoncision la valeur d’un marqueur d’identité ethnique, dans un pays où personne d’autre ne le pratiquait. Mais circoncire les nouveau-nés plutôt que les garçons pubères avait, en plus de la continuité avec l’ancien rite du sacrifice du premier-né, l’intérêt de réduire le pourcentage de juifs qui choisiraient de s’assimiler à la culture babylonienne ou persane. Forcer les parents à faire circoncire leurs enfants mâles au huitième jour était un moyen d’endiguer la tendance assimilationniste, un moyen de marquer la judéité dans la chair le plus tôt possible. Dans la chair, mais aussi dans la couche la plus inaccessible du subconscient, à travers une castration symbolique accompagnée d’une douleur insoutenable. La circoncision au huitième jour est, en effet, un traumatisme rituel dont l’impact psychologique est intense et irréparable.
Deuxième partie : Un abus rituel de père en fils
Parce que le nourrisson ne peut pas parler mais seulement hurler, les rabbins défenseurs de la circoncision au huitième jour parlent à sa place et minimisent sa douleur et sa détresse. Mais selon le professeur Ronald Goldman, auteur de Circumcision, the Hidden Trauma, des études scientifiques prouvent les dégâts neurologiques et psychologiques de la circoncision du nouveau-né, pour laquelle, rappelle-t-il, aucun anesthésie n’est pratiquée. Les changements de comportement observés chez le nourrisson après l’opération, incluant des troubles du sommeil et une inhibition dans la construction du lien affectif mère-enfant (mother-child bonding), sont les signes d’un syndrome post-traumatique. La perte traumatique de confiance en la mère, qui s’imprime durablement dans le subconscient, est la source potentielle d’une haine inconsciente des femmes, dont les conséquences sociales sont peut-être considérables [3].
Selon le Professeur Roger Dommergue de Ménasce, qui se fonde sur les travaux de l’endocrinologue Jean Gautier, la circoncision juive provoque « de graves déséquilibres psycho-endocriniens », car au huitième jour précisément commence un moment capital de l’équilibrage hormonal qu’on nomme la « première puberté », et qui dure vingt-et-un jours. Juif lui-même, Roger Dommergue estime que cette pratique reproduite depuis des centaines de générations a joué un rôle déterminant dans la psychologie collective juive [4].
Ce n’est pas pour rien que, lors de la cérémonie juive traditionnelle de la brit milah, la mère est normalement tenue à l’écart de la scène, et doit confier son bébé au sandak, un parrain (souvent un grand-père) qui immobilise ce dernier pendant la coupure de son prépuce, tandis que les cris d’agonie du bébé sont couverts par les youpi-youpi de l’assemblée – un message en soi pour le nourrisson. Des mères qui ont cependant assisté à l’opération témoignent en avoir été elles-mêmes traumatisées, sur la page web Mothers Who Observed Circumcision du site Circumcision Resource Center. Miriam Pollack se souvient quinze ans plus tard : « Les cris de mon bébé restent incrustés jusque dans mes os. Son vagissement était celui d’un animal qu’on égorge. J’en ai perdu mon lait. » Nancy Wainer Cohen témoigne : « Jusqu’à ma tombe, j’entendrai cet horrible cri de douleur, et je me sentirai coupable. » Elizabeth Pickard-Ginsburg :
« Il hurlait et il n’y avait aucun doute dans son cri qu’il voulait que sa mère, ou qu’une figure maternelle vienne le protéger de cette douleur ! Jesse a crié si fort que tout d’un coup, il n’y avait plus aucun son ! Je n’ai jamais rien entendu de tel ! Il criait et ça montait et puis il n’y avait plus aucun son et sa bouche était juste ouverte et son visage était plein de douleur ! Je me souviens que quelque chose s’est passé en moi, comme si l’intensité faisait sauter un fusible ! C’était trop. Nous savions que quelque chose était fini. J’ai l’impression que cela n’a jamais vraiment guéri. »
Une autre mère témoigne, en s’adressant à son fils : « Je n’ai jamais entendu de tels cris. Saurai-je un jour quelles cicatrices sont inscrites dans ton âme ? Quel est ce regard changé que je vois dans tes yeux ? Je peux voir la souffrance, une certaine tristesse et une perte de confiance. » Une autre encore témoigne de la manière dont elle s’est détachée de son enfant pour parvenir à refouler ses sentiments :
« Lorsqu’il naquit, il y avait ce lien avec mon tout petit, mon nouveau-né. Mais pour accepter la circoncision, j’ai dû couper ce lien. J’ai fait taire mon instinct naturel et en faisant cela, j’ai coupé beaucoup de mes sentiments envers lui. J’ai coupé pour refouler la souffrance et mon instinct naturel qui me dictait de m’opposer à la circoncision. » [5]
Il est raisonnable de supposer que le traumatisme de la circoncision à l’âge de huit jours laisse une plaie psychologique qui ne se referme jamais. On sait que la maltraitance des adultes déclenche chez les très jeunes enfants un mécanisme appelé dissociation. Se sentant totalement impuissant, l’enfant refoule la conscience de la méchanceté des figures parentales et la charge émotionnelle qui l’accompagne, et ces affects prennent dans l’inconscient une vie propre. La douleur, la terreur, la rage seront refoulées dans une sphère subconsciente, où elles formeront, pour ainsi dire, une personnalité distincte. « Il y a depuis la petite enfance jusqu’à la tombe, a écrit Simone Weil, au fond du cœur de tout être humain, quelque chose qui […] s’attend invinciblement à ce qu’on lui fasse du bien et non du mal. C’est cela avant toute chose qui est sacré en tout être humain » (La Personne et le Sacré). La circoncision au huitième jour est une agression contre cette partie centrale et sacrée de chaque enfant mâle.
Les défenseurs de la circoncision rituelle juive nient son impact traumatique. Si elle avait été traumatique, disent-ils, elle aurait été abandonnée depuis longtemps. Marc-André Cotton leur répond que c’est tout le contraire : les victimes de traumatismes infantiles ont une tendance avérée à répéter sur leurs enfants les abus qu’ils ont subis.
« Si elle n’avait pas l’impact traumatique que démentent ses promoteurs, l’opération aurait depuis longtemps disparu. C’est cet impact qui explique au contraire sa persistance, la virulence des réactions que suscite sa mise en cause et le silence qui entoure la souffrance de l’enfant. […] Dans un rituel de circoncision masculine, la pression du groupe réactive chez les parents une terreur qui les détourne de leur sensibilité naturelle et donc du vécu de l’enfant. » [6]
De plus, avec l’encouragement de la communauté, la colère subconsciente née dans le traumatisme sera orientée vers l’extérieur de la communauté. Est-il exagéré de supposer un lien de causalité entre le traumatisme de la circoncision du huitième jour et une certaine tendance juive à voir le reste du monde comme une menace constante et à ne pas voir les abus subis au sein de la communauté ?
Se pourrait-il que le traumatisme de la circoncision du huitième jour ait créé une prédisposition particulière, qui altère la capacité des juifs à s’identifier et à réagir rationnellement à certaines situations ? La brit milah a-t-elle été inventée il y a environ vingt-trois siècles, comme une sorte de trauma rituel destiné à asservir mentalement un peuple entier, une « alliance » gravée dans leur cœur sous la forme d’une terreur subconsciente qui peut à tout moment être activée et orientée dans une direction voulue ?
Il a été suggéré que les traumatismes peuvent être transmis « épigénétiquement ». Selon une étude menée sous la direction de Rachel Yehuda à l’hôpital Mount Sinai de New York, « le traumatisme de l’Holocauste est transmis génétiquement » par « l’hérédité épigénétique » [7]. Je suggère au professeur Yehuda de mener une étude sur les effets épigénétiques de la circoncision du huitième jour.
La circoncision inscrit « dans la chair » de chaque juif, et dans l’inconscient collectif de tous les juifs, la violence de Yahvé — qui n’est jamais que le masque des autorités religieuses. Aussitôt entré dans la vie – un choc en soi – le nourrisson mâle est initié à la cruauté des siens et de leur dieu.
Lorsqu’on cherche à s’informer sur la signification que les juifs d’aujourd’hui donnent à la circoncision, on est confronté à une multitude d’interprétations contradictoires, et parfois à une grande malhonnêteté intellectuelle. Écoutons le grand rabbin Marc-Raphaël Guedj :
« Lorsque le prépuce recouvre le gland, on a l’image d’un membre recroquevillé sur lui-même. Or ce membre, c’est le membre du plaisir. Et le plaisir recroquevillé sur lui-même veut dire qu’en fin de compte l’on va vers l’autre dans le désir de se satisfaire et non pas dans le désir du désir de l’autre. Donc la circoncision d’un point de vue juif, c’est l’inscription de l’altérité dans le corps, c’est-à-dire l’inscription de ce désir altruiste, pas seulement dans la conscience et dans le cœur, mais aussi dans le corps. […] C’est le signe de l’Alliance, parce que c’est à travers l’alliance avec l’autre que s’instaure l’alliance avec Dieu. Et ça, c’est la vision fondamentale du judaïsme : le judaïsme est d’abord éthique avant d’être religieux. […] la circoncision est l’expression […] d’une dimension universelle de l’éthique. » [8]
Il y a dans ce type d’explication un déni si grossier de la réalité, un mensonge si énorme, qu’on devine le malaise profond que cela cache. À l’évidence, les juifs eux-mêmes ne peuvent se résoudre à avouer, ou à s’avouer à eux-mêmes, la véritable fonction de la circoncision au huitième jour.
Il y a bien eu des rabbins réformés pour tenter d’abolir cette coutume. Ce fut le cas d’Abraham Geiger (1810-1874), l’un des fondateurs du judaïsme réformé en Allemagne. Ses arguments, résumés dans l’Encyclopaedia Judaica, étaient les suivants : premièrement, la circoncision a été ordonnée à Abraham, pas à Moïse ; deuxièmement, le Deutéronome ne la prescrit pas ; troisièmement, Moïse s’opposa à celle de son fils (Exode 4:24-26) ; quatrièmement, elle ne fut pas pratiquée tant qu’il fut le chef des Hébreux (elle fut réinstaurée après sa mort, selon Josué 5:2-9) ; cinquièmement, il n’y a pas d’équivalent pour les filles. Les juifs orthodoxes s’opposèrent farouchement à cette réforme, et, en refusant d’inscrire les enfants non circoncis dans le registre d’État civil, finirent par obtenir son abandon.
Depuis les années 1970, divers groupes, rassemblés aujourd’hui sous la bannière « intactiviste » (mot-valise formé de « intact » et « activiste »), militent pour l’abandon de l’ablation rituelle du prépuce et son remplacement par un geste symbolique comme la coupure d’un fruit [9]. Mais seulement une centaine de rabbins a adopté cette nouvelle version du rite [10].
Simultanément, dans une stratégie visant à rendre la circoncision au huitième jour acceptable et éviter son interdiction, une campagne de propagande médicale fut lancée pour vanter ses mérites hygiéniques et la banaliser en Amérique et dans certains autres pays comme l’Australie, où le taux de circoncision des nourrissons atteignait 70 % dans les années 80. Aujourd’hui, suite notamment à un taux important de conséquences dramatiques, la pratique est retombé à moins de 20 %. L’influence juive sur cette dérive malfaisante de la communauté médicale est évidente, et son but l’est tout autant : il s’agissait de neutraliser la critique et empêcher l’interdiction légale du rite en le faisant passer pour médicalement recommandé.
Pourquoi les autorités juives défendent-elles cette pratique barbare avec un tel acharnement ? Tout simplement parce qu’elles savent que, sans elle, la judéité elle-même disparaîtrait. Spinoza ne s’y était pas trompé : « J’attribue une telle valeur au signe de la circoncision, qu’à lui seul je le juge capable d’assurer à cette nation une existence éternelle. » [11]
En France, la circoncision des nourrissons, n’étant en aucun cas une « nécessité médicale », tombe théoriquement sous le coup de l’article 16-3 du Code civil :
« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »
Tous les pays européens sont dotés de lois similaires. C’est pourquoi, en 2013, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a voté une résolution (voir ici) définissant la circoncision pour motif religieux comme une « violation de l’intégrité physique » au même titre que les mutilations génitales féminines, et recommandant aux États « de sensibiliser davantage leurs populations aux risques potentiels que peuvent présenter certaines de ces pratiques pour la santé physique et mentale des enfants ». Cette résolution a été condamnée par le porte-parole du ministère israélien des Affaires étrangères comme « une tache morale » qui « encourage la haine et les tendances racistes de l’Europe ». Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), a déclaré :
« Si la circoncision venait à être interdite en Europe, cela signifierait la fin d’une présence religieuse juive en Europe. Que l’on soit juif orthodoxe ou pas, toute atteinte à cette pratique religieuse signifiera que les juifs feront leurs valises et quitteront l’Europe. »
Laurent Guyénot
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation