COVID-19 et la question du pourquoi

COVID-19 et la question du pourquoi

En ces temps incertains, nous sommes nombreux à vivre une « révolution ». Cette révolution à huis clos est marquée, notamment, par une grande quantité d’informations qui viennent ici et là nous alarmer, nous rassurer, nous sensibiliser, nous renseigner… Il faut dire que les médias ont ce rôle, il leur faut rapporter des faits, donner la parole aux acteurs, interroger des experts, chercher ou dénoncer des coupables, mais trop rarement ils posent, véritablement, la question du « pourquoi ? ».  

Les médias cherchent à transmettre des faits de la manière la plus objective possible mais, à l’instar du discours scientifique qu’ils tentent – pour les plus sérieux d’entre eux – d’imiter, ils procèdent par abstraction. Cette abstraction, qui est au cœur du langage, n’est pourtant pas reconnue en tant que telle par l’humain qui continue à croire à « la réalité » qu’il forme collectivement avec ceux qui l’écoutent. Par abstraction, il faut bien comprendre que lorsqu’on parle d’une chaise, par exemple, le mot et la représentation mentale d’une « chaise » n’ont rien à voir avec une véritable chaise constituée de bois, de vernis, de clous, etc. Dès lors, parler de faits sans interroger, en amont, les conditions de possibilité, c’est maintenir la grande mascarade sur ce qui est vraiment important et qui nous constitue individuellement et collectivement. C’est, en outre, cultiver le déni collectif sur ce que sont nos responsabilités, tout en perpétuant l’individualisme qui caractérise, paradoxalement, notre civilisation. 

Ces prémisses ainsi posées, il nous est plus facile de mettre en lumière ce qui, justement, est vraiment important et qui nous constitue individuellement et collectivement. A ce sujet, il ne s’agira pas d’aller très loin dans la réflexion puisqu’on touche là à un fait empirique qu’on expérimente, toutes et tous, tous les jours. Je veux parler ici de l’idéologie de la logique du modèle économique actuel. Directement cet aspect posé, nous pouvons commencer à réfléchir à la crise sanitaire majeure qu’on est en train de vivre et qui constitue un exemple, parmi d’autres, des conséquences de cette idéologie. Autrement dit, je veux défendre ici l’idée que cette crise n’a rien d’un accident, d’une fatalité contingente ; bien plutôt, elle se comprend comme le fruit de l’ouragan civilisationnel propre à la société de consommation et à l’exploitation généralisée qui en découle. 

De l’instance étatique à l’instance individuelle, aujourd’hui, nous sommes tous dépendants de cette idéologie économique qui fonctionne sur la logique duale production-consommation. Ainsi, pour se maintenir en tant qu’idéologie dominante (et faire perdurer le pouvoir du capital et de ceux qui le possèdent), cette logique nécessite un certain rythme qui requiert, lui-même, une exploitation intense de la nature et de l’humanité. Cette logique et la hiérarchie des valeurs qu’elle implique ont été dénoncées plus d’une fois à travers des appels, des manifestations, des révoltes, mais également, sur un plan plus objectif, des désastres écologiques et sanitaires. On a à l’esprit par exemple : le mouvement des gilets jaunes, les grands feux d’Australie ou la multiplication des cas de cancer (plus de 8 à 9 millions, par année, de par le monde). 

Face à ces dangers avérés et futurs qui affectent l’humanité tout entière et qui ne cesseront pas, soyons-en sûr, avec la résolution de la crise que nous vivons actuellement, l’expérience collective imposée par le COVID-19 nous donne des pistes de résolution. Parmi celles-ci, il y a le ralentissement radical de certains processus de production. Par ce ralentissement, cette crise nous invite à établir une distinction entre ce que sont les besoins de base et les besoins superflus. En effet, une partie de la population, aujourd’hui, vit avec ce qui lui est nécessaire et parvient, ainsi, à imaginer l’organisation sociale si chaque citoyen n’utilisait ce temps qu’il n’a pas à travailler pour du superflu, pour quelque chose de véritablement utile à la collectivité. 

Ce que je veux mettre en exergue par là, c’est que la crise systémique que nous traversons constitue cet impact que beaucoup d’entre nous attendent depuis longtemps. Mais surtout cet impact nous permet d’entrevoir, de manière très concrète, un autre usage du monde, un autre modèle de société. Un modèle qui est plus proche de la nature, parce qu’il concentre son organisation autour de ce qui lui est essentiel. 

Derechef, cette pandémie est le résultat d’un désordre profond et d’une toxicité que certains expérimentent et que d’autres craignent. Cette toxicité représentée, aujourd’hui, par le COVID-19 est celle que nous faisons subir sous d’autres formes, certes, mais depuis bien longtemps au règne animal et, de manière plus générale, à la nature. Or, toute la problématique est là : tant qu’on pensera que ce virus nous provient des animaux et que la crise est exceptionnelle et qu’elle va passer, nous ne sortirons pas du tunnel dans lequel nous sommes ! Combien de révoltes, d’actes terroristes, de désastres, de maladies doit encore endurer l’humanité pour comprendre qu’elle se trompe de voie ? 

Je pose, humblement, ici la question mais il faut bien reconnaître que si la responsabilité écologique, l’éthique et le bon sens ne parviennent pas à guider l’humanité vers les réponses aux pourquoi, alors ce sont les facteurs biologiques, à la base des organismes vivants, qui s’en chargeront.

Luca V. Bagiella

Pully, le 5 avril 2020

Luca V. Bagiella, doctorant en sciences sociales et en philosophie à l’Université de Lausanne*, cofondateur et coordinateur de consciences-citoYennes.ch, réseau en faveur d’une transition citoyenne. 

* Narcissisme-critique paru, en 2016, chez l’éditeur Hélice Hélas et disponible en librairie (280pages). 


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À propos de l'auteur Mondialisation.ca

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