Cet article est paru sur le site Pressenza le 18 août 2023
Les États-Unis rêvent d’un monde unipolaire et d’une hégémonie planétaire. Ils interviennent partout pour appuyer des dictatures, provoquer des coups d’État, favoriser des rébellions et financer des oppositions. Rappelons tout d’abord certains de leurs principaux faits d’arme depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette mise en contexte permet de mieux comprendre ensuite la tragédie ukrainienne.
Rappel historique
En Amérique latine, les Américains sont intervenus à Cuba en 1952, au Guatemala et au Paraguay en 1954, au Pérou en 1962, au Brésil et en Bolivie en 1964, en République dominicaine en 1965, en Uruguay et au Chili en 1973, au Pérou en 1975, en Argentine en 1976, au Salvador et au Nicaragua en 1980, à Panama en 1989, à Haïti en 1991, au Venezuela en 2002, à Haïti encore en 2004, au Honduras en 2009 et encore en Bolivie en 2019. En Asie, ils sont intervenus au Japon en 1945, en Corée en 1950, en Indonésie en 1958, au Vietnam en 1961, au Cambodge en 1969, aux Philippines en 1989 de même qu’en 2002, ainsi qu’au Pakistan en 2004. Au Moyen-Orient, ils sont intervenus en Jordanie en 1950, en Iran en 1953, au Liban en 1958, en Israël en 1973, en Afghanistan en 1979, en Irak en 1990, en Afghanistan en 2002, en Irak encore en 2003 et en Syrie en 2014. En Afrique, ils sont intervenus au Congo en 1960, au Ghana en 1966, en Somalie en 2006 et en Libye en 2011. En Europe, la Bosnie en 1995 et la Serbie en 1999 subirent les foudres de l’État américain et de ses alliés otaniens.
Les États-Unis cherchent depuis 2019 à imposer le candidat autoproclamé Juan Guaido comme président du Venezuela. Ils imposent des sanctions à une quarantaine de pays. Ils occupent sous de faux prétextes le tiers de la Syrie, financent la guerre au Yémen en appui à l’Arabie saoudite et appuient sans réserve Israël malgré l’occupation, la colonisation, le blocus de Gaza, l’apartheid et les exactions commises à l’endroit du peuple palestinien. Ils envoient des navires de guerre à proximité des côtes chinoises, et de l’aide militaire à Taiwan alors qu’il s’agit pourtant d’un territoire appartenant à la Chine. Ensuite, tel que révélé par The Intercept, ils ont, malgré leurs démentis formels et répétés, joué aussi un rôle décisif dans le renvoi du président Imran Khan au Pakistan en 2022. Ils ont menacé les autorités de représailles s’ils ne procédaient pas à son renvoi. Ils menacent maintenant d’intervenir au Niger et ils envoient des navires à proximité des côtes iraniennes.
Un monde gouverné par leurs règles
En marge du droit international et de la charte des Nations unies, les États-Unis veulent instaurer un « monde gouverné par des règles », c’est-à-dire un monde dans lequel leur volonté a valeur de loi, le capitalisme est roi, l’anglais est la lingua franca, le néo-libéralisme est la norme, le dollar US est la monnaie de référence et les ressources naturelles de tous sont à la disposition du capital mondialisé, en premier lieu le leur.
C’est aussi un monde dans lequel les États-Unis agissent comme policiers avec leurs 800 bases militaires et un budget consacré au complexe militaro-industriel atteignant les 900 milliards de dollars par année. C’est un monde dans lequel les pays qui ne se conforment pas aux « règles » font l’objet de sanctions et dans lequel l’intervention militaire est la poursuite de la guerre économique par d’autres moyens. C’est un monde dans lequel les interventions militaires, les coups d’États et les appuis financiers sont autorisés, lorsque les intérêts hégémoniques des États-Unis sont mis en cause.
C’est un monde dans lequel la National Endowment for Democracy est partout présente en remplacement de la CIA pour fomenter le trouble et déstabiliser des régimes en place, lorsque ceux-ci sont récalcitrants et refusent de se plier aux intérêts américains. Toute revendication de souveraineté doit être réprimée par l’intervention militaire et/ou les « révolutions colorées ».
L’Ukraine
Dans un tel contexte, les Américains se sont-ils portés à la défense de la veuve et de l’orphelin en Ukraine? S’agissant de l’opération militaire russe, les Américains n’y seraient donc pour rien? Il s’agirait d’une agression non provoquée? Depuis 2022, comme par hasard, c’est l’opération militaire russe qui est au centre des bulletins de nouvelles, et non les mille interventions américaines partout dans le monde. La propagande américaine fonctionne à plein régime et provoque un unanimisme irrationnel, artificiel et hypocrite qui affecte comme rarement l’ensemble des médias mainstream. Les opinions dissidentes sont ou bien ignorées ou cataloguées comme de la propagande russe ou de la désinformation pure et simple.
Et pourtant, selon certains commentateurs chevronnés tels que John Mearsheimer, Ray McGovern et Norman Finkelstein, les Américains sont non seulement à l’origine de cette guerre, et ont non seulement tout fait pour la provoquer, ils l’ont même rendue inévitable. L’opinion publique peut ne pas être prête à l’admettre, mais la vérité crue, en plus de choquer, se situe aux antipodes de ce qui nous est rapporté.
Les États-Unis mènent contre la Russie une guerre par procuration pour affaiblir les Russes en se servant des Ukrainiens pour parvenir à leurs fins. L’Ukraine et les Ukrainiens sont cyniquement sacrifiés à des fins géopolitiques d’hégémonisme. Plusieurs responsables américains l’ont admis explicitement.
Forcer la Russie à s’engager militairement
Depuis 1991, nous avons assisté à l’élargissement et au renforcement de l’OTAN, au retrait américain du traité sur les missiles antibalistiques (ABM Treaty), à la promesse d’inclure la Géorgie et l’Ukraine dans l’OTAN faite à Bucarest en 2008, au financement d’un coup d’État en Ukraine à la hauteur de 5 milliards de dollars, à des rencontres répétées des représentants américains avec l’opposition ukrainienne et, en 2014, au coup d’État de Maïdan. Les Américains ont procédé à la nomination du premier ministre, du maire de Kiev et de quatre ministres provenant du 3e parti d’opposition Svoboda. Ils ont aussi procédé à la nomination de la ministre de l’Économie et du gouverneur d’Odessa. Le vice-président Joe Biden a, de son propre aveu, rendu visite à l’Ukraine à une douzaine de reprises. Son fils siégeait sur le conseil d’administration de l’entreprise Burisma (pour un salaire de 80 000$ par mois) et le procureur chargé de faire enquête sur Burisma a été limogé suite à une intervention de Joe Biden.
Des boucliers antimissiles furent installés en Pologne et en Roumanie, susceptibles d’être transformés en une nuit en rampes de lancement d’armes offensives pouvant atteindre Moscou en quelques minutes. Les États-Unis ont laissé pourrir les accords de Minsk. Ils ont développé des laboratoires d’armes chimiques en territoire ukrainien, ont fourni des armes létales, ont renforcé les fortifications du pays et ils ont formé l’armée, incluant les membres du bataillon néonazi Azov.
Les Américains se sont retirés du traité sur les missiles à portée intermédiaire en 2019 (INF Treaty), ont rejeté du revers de la main en décembre 2021 la proposition russe d’une entente négociée sur la sécurité en Europe et ils ont répété leur intention d’inclure l’Ukraine dans l’OTAN. Après que le président américain eut promis à la fin du mois de décembre 2021 que les États-Unis n’allaient pas installer des armes nucléaires en Ukraine, la proposition n’était plus sur la table au début de janvier 2022. Le président Zelensky affirma d’ailleurs tout haut son espoir de retrouver l’arme nucléaire. Les troupes ukrainiennes se sont dirigées vers le Donbass pour reprendre les hostilités contre la région dans une guerre civile amorcée en 2014 et ayant déjà fait plus de 14 000 morts.
Les objectifs américains révélés
Sachant que les États-Unis les forçaient à réagir, les Russes ont riposté à moitié, et ce, dans le but que s’enclenchent rapidement des négociations. Celles-ci eurent lieu en mars 2022, et donc à peine quelques semaines après le début de l’opération militaire spéciale. Le caractère limité de l’intervention russe fit cependant croire à Sullivan, Nuland, Blinken et Biden que l’armée russe n’était pas à la hauteur. Avec Boris Johnson comme porte-parole, les Américains mirent fin à des négociations qui s’annonçaient pourtant fructueuses. Un des négociateurs ukrainiens a été assassiné.
La poursuite de la guerre créa enfin les conditions favorables à l’imposition de sanctions économiques sans précédent contre la Russie. Les Américains forcèrent l’Europe à mettre fin à l’achat de pétrole et de gaz en provenance de Russie et ils firent exploser le gazoduc Nordstream.
La plupart des gestes posés par les États-Unis étaient prévus dans un document stratégique produit par la Rand Corporation en 2019. Selon les auteurs de ce document (Extending Russia), il s’agissait de mesures permettant de déstabiliser la Russie. Ils avertissaient en même temps Washington que cette escalade allait immanquablement entraîner une contre-escalade russe.
C’est donc en toute connaissance de cause que les Américains ont allumé la mèche, mis le feu aux poudres et jeté de l’huile sur le feu. Les vierges offensées qui déversent leur fiel contre la Russie et qui ne voient que deux protagonistes, les Russes agresseurs et les Ukrainiens agressés, n’ont pas compris (ou ne veulent pas voir) que l’Ukraine était devenue un membre de facto de l’OTAN. Ils n’ont pas saisi que la Russie, qui avait perdu 26 millions de ses citoyens pendant la Seconde Guerre mondiale à partir d’une invasion nazie provenant de l’Ukraine, pouvait avoir des demandes sécuritaires raisonnables à formuler. Ils n’ont pas vu que les États-Unis voulaient à tout prix reproduire le scénario afghan d’un enlisement russe, quitte à se servir du parti néonazi Svoboda et des groupes néonazis Secteur droit et Azov pour provoquer en Ukraine une russophobie délirante et belligérante. Ils n’ont pas entendu ou écouté les avertissements répétés de Moscou. Ils se sont plutôt réjouis de voir les Américains vouloir en découdre avec la Russie.
Nous étions en présence d’une stratégie cruelle et machiavélique des États-Unis, celle de se servir de l’Ukraine pour affaiblir au maximum la concurrence économique russe en Europe. Les Russes ont été acculés à intervenir militairement pour stopper une Ukraine militarisée, formée par l’OTAN et armée jusqu’aux dents.
Conclusion
Washington a fait la sourde oreille aux intellectuels, diplomates et politiciens experts de la Russie qui les avertissaient de ne pas franchir cette ligne rouge, mais le Département d’État s’est bercé d’illusion en croyant que les Ukrainiens pouvaient gagner. Les esprits candides et incultes en politique qui les ont crus ont une indignation morale qui est à la hauteur de leur aveuglement. Ils voient encore dans cette guerre une agression russe non provoquée n’impliquant aucunement les États-Unis.
De la mer de Chine jusqu’aux frontières de la Russie, de Taiwan jusqu’en Ukraine, Washington ne ferait que protéger nos valeurs, l’État de droit et la démocratie. Ceux qui croient dur comme fer à ces rengaines partagent le rêve américain, au sens où ils dorment au gaz et à poings fermés. Ils ne voient que l’ours russe et le panda chinois. Il est grand temps qu’ils remarquent l’éléphant étatsunien dans la pièce.
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