Un des objectifs que se fixe le sous-collectif contre-culture, rattaché au collectif médias et propagande, c’est celui de promouvoir la langue française, ainsi que sa littérature de combat, auprès de la jeunesse populaire. C’est pourquoi il nous a paru important de présenter à nos lecteurs un poème dont le propos constitue clairement un appel à la lutte pour l’indépendance nationale et l’émancipation sociale.
Publiée après la Libération dans le recueil La Diane française (à propos duquel nous prévoyons d’ores et déjà de rédiger un article), la Chanson du franc-tireur de l’écrivain communiste Louis Aragon, qui a pleinement participé aux combats de la Résistance, montre, avec la virtuosité poétique qui lui est propre, comment l’oppression impérialiste et fasciste fait naître, chez un peuple qui la subit, la volonté de s’en libérer. Une volonté pouvant mener dans certains cas au sacrifice. Aragon reprend ici une forme médiévale, la ballade. Ce n’est pas un choix arbitraire de la part du poète puisque cette forme sert traditionnellement à mettre en valeur des exploits chevaleresques. En effet, tout le propos du poème se fonde sur une représentation de la Patrie, personnifiée sous les traits d’une mère martyrisée et humiliée, et pour l’amour de laquelle ses enfants choisissent de se battre pour la libérer.
N’y voyons pas ici l’expression d’un quelconque chauvinisme réactionnaire (qui était alors la parure paradoxale de la Kollaboration, que ce poème ne manque pas d’ailleurs de tourner en dérision), mais bien au contraire celle d’un patriotisme progressiste et populaire, celle de la volonté bien naturelle d’être maître chez soi, et qui est commune à tous les peuples. Patriotisme dont le caractère universel (qui conduit dialectiquement à l’internationalisme) est mis en valeur avec brio par la strophe de conclusion dans laquelle le poète s’adresse aux « frères d’Algérie » comme pour suggérer à ce peuple asservi par la colonisation française de prendre exemple sur la lutte de libération nationale menée par le peuple français face à l’occupation nazie.
A l’heure où les peuples d’Afrique occidentale relèvent la tête et mènent des luttes exemplaires pour se libérer de l’oppression néocoloniale française et étasunienne, à l’heure où, contre l’expression même de la volonté populaire, l’oligarchie qui asservit notre nation, œuvre à la dissoudre dans un Quatrième Reich en formation tandis que les fascistes d’aujourd’hui – à l’instar de leurs ancêtres kollabos – s’empressent, avec l’indécente audace qui les caractérise, de travestir cette entreprise en la parant des trois couleurs de notre drapeau, avec notre époque ce poème semble entrer en écho.
Alors, bien évidemment, nous vous souhaitons bonne lecture, non sans l’espoir que celle-ci vous inspire les sentiments les plus purs…
Blu
Chanson du franc-tireur
Ce n’était pas assez Patrie
Que ce torrent de soldats verts
Et ton vin rouge dans leur verre
Et ton armée à la voirie
Il leur fallait les bras des hommes
Et le cœur naïf des enfants
Matins gammés Jours étouffants
Sommes-nous des bêtes de somme
Bleuets noyés dans l’eau des blés
Cols des marins couleurs des veines
Qui voit nos peines voit nos haines
Tous nos navires ont coulé
Toulon plus un mât n’y balance
Je n’entends que mon cœur qui bat
Tout bas tout bas tout bas tout bas
Il règne un bizarre silence
Le silence blanc des statues
Dont les yeux vides sont sans larmes
Et dans l’absence de tes armes
Ma France que désires-tu
O pareille au Christ aux outrages
Le mensonge en fait de bâillon
Par les maillons de tes haillons
Saignant le sang pur des otages
Ils t’ont couverte de prisons
De ce masque affublée où grince
L’énigme sourire de Reims
Sous les fleurs de la trahison
Ils ont mis un sceptre de paille
Dans ta main pour rire de toi
Puis t’ont hissée au haut des toîts
Comme un mauvais épouvantail
Devant toi pliant le genou
En ton nom rendu la justice
Qu’importe s’ils te travestissent
Tu restes la même pour nous
A quoi rêves-tu notre mère
Les yeux perdus les yeux tournés
Vers la mer Méditerranée
A quoi rêves-tu douce-amère
Je rêve dit-elle au printemps
A notre gloire impérissable
Qui refleurit parmi les sables
Je rêve d’Afrique et j’attends
Les jours d’Apocalypse où volent
Les burnous rouges des spahis
N’attends pas ma terre envahie
Nous nous lèverons de ce sol
N’attends pas tes fils ont choisi
La liberté cette rebelle
Pour que les noces soient plus belles
Je n’ai pas donné mon fusil
Mon fusil dormait dans l’armoire
Mes mains le tiendront mieux caché
Le temps revient des Francs-Archers
Mon fusil a bonne mémoire
Ecoutez frères d’Algérie
Les balles chanter l’espérance
Où je tire l’écho dit France
Où je meurs renaît la patrie
Louis Aragon, La Diane française, 1946
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir