Merci à toutes et à tous d’être venus.
Je suis particulièrement fière des multiples sphères de notre société avec lesquelles j’ai tissé les liens dans les dernières années et dont plusieurs sont représentées ici, parce que l’accueil des personnes immigrantes est une responsabilité collective.
Il y a le monde politique, des élues et élus de l’Assemblée nationale et de la Chambre des communes, dont le discours et les actions avant et après les campagnes électorales ont une importance critique sur l’attitude de la population envers les personnes immigrantes et sur l’évolution des lois, règlements et politiques. Une responsabilité sérieuse.
Il y a des scientifiques, chercheurs et intellectuels qui entreprennent des enquêtes et des études, qui fournissent des analyses des statistiques pour nous expliquer les phénomènes découlant des politiques. Elles et ils font aussi des projections basées sur cette recherche qui nous permet de voir où on s’en va et dévoilent les expériences des personnes immigrantes chez nous. Malheureusement, leur travail ne rejoint pas assez souvent les instances qui en ont besoin.
Je remercie aussi les journalistes qui nous apportent régulièrement le vécu des personnes immigrantes qui se trouvent parmi nous et qui mettent un visage humain sur les effets des politiques et qui ont le devoir de poser des questions parfois difficiles aux personnes qui prennent les décisions. Ces journalistes, ainsi que les chroniqueuses et chroniqueurs et éditorialistes qui interprètent l’actualité, les politiques et la politique, je vous assure, sont de plus en plus soucieux de bien s’informer et bien comprendre les enjeux avant de publier ou de se prononcer. Un bon signe pour la démocratie au Québec.
Les centrales syndicales. Elles sont sur le terrain travaillant pour la protection des travailleuses et travailleurs étrangers et pour la francisation en milieu de travail.
Il y a des juristes qui m’aident à valider mon raisonnement dans l’interprétation des textes législatifs et règlementaires. Le domaine de l’immigration fait appel à plusieurs types de droit – constitutionnel, international, administratif, droits de la personne, du travail, de l’immigration canadienne et québécoise.
Il y a des fonctionnaires au niveau municipal qui veulent bien accueillir les personnes qui arrivent, et les organismes communautaires qui, quotidiennement, apportent leur soutien à ces personnes, peu importe leur statut d’immigration.
Et il y a aussi dans la salle des fonctionnaires, surtout d’anciens fonctionnaires de mon ancien ministère.
C’est mon expérience au sein de l’administration publique qui me permet, je crois, d’apporter une autre perspective à des dossiers de l’immigration et de la langue auxquels j’ai dévoué tant d’années. Les fonctionnaires d’expérience savent si une idée ou une décision sera simple ou non à mettre en œuvre, combien de temps ça risque de prendre, les étapes législatives, règlementaires, opérationnelles à franchir, les collaborations nécessaires.
Le livre se veut surtout une œuvre pédagogique. Le domaine de l’immigration comporte des enjeux multiples et complexes, parfois contradictoires. On passe des questions existentielles jusqu’à des questions ultra techniques et opérationnelles, par exemple pour mesurer les résultats des politiques publiques.
En ce qui concerne l’immigration au Québec, je pars de deux constats :
1. La migration internationale est inévitable, a toujours été, sera toujours et est en croissance. Le Québec est et continuera d’être touché par ce phénomène.
2. Le Québec est spécial. Une nation avec une histoire unique qui a façonné sa culture; une nation qui a su évoluer en un peuple moderne, ouvert et tolérant; une nation qui trouve sa pleine expression dans la langue française de chez nous.
Pour illustrer la spécificité du Québec, je veux souligner quelques différences entre la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, spécifiquement les préambules et la liste de motifs interdits de discrimination.
Le préambule de la Charte canadienne n’est pas long. Il se lit comme suit :
« Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit. »
La Charte québécoise en comparaison commence par sept « considérants », notamment :
« CONSIDÉRANT que tout être humain possède des droits et libertés intrinsèques, destinés à assurer sa protection et son épanouissement;
CONSIDÉRANT que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi;
CONSIDÉRANT que les droits et libertés de la personne humaine sont inséparables des droits et libertés d’autrui et du bien-être général. »
Les autres incluent les principes de l’égalité entre les femmes et les hommes, la laïcité de l’État, le français comme langue officielle et commune de la nation québécoise et la langue d’intégration à celle-ci.
En ce qui concerne les motifs interdits de discrimination, la Charte canadienne en dénomme sept, tandis que la Charte québécoise en compte quatorze. Les sept qui se chevauchent les deux chartes sont : race, religion, origine, couleur, âge, sexe et handicap. Dans la Charte québécoise, on en trouve sept de plus : identité ou l’expression de genre, grossesse, orientation sexuelle, état civil, conviction politique, langue et condition sociale.
Les valeurs modernes qui distinguent le Québec sont manifestes.
Nous avons la responsabilité de bien accueillir les personnes étrangères qui arrivent chez nous pour qu’elles puissent se joindre à nous dans l’aventure québécoise moderne. Elles méritent un accueil dans la dignité et la stabilité.
Quand j’ai commencé à préparer ce livre, je me suis dit, bon, il faudra évidemment un chapitre sur l’immigration temporaire. Mais je me suis rapidement rendu compte que l’immigration temporaire était au fond de presque toutes mes analyses. Les volumes ou les seuils, les pouvoirs du Québec, la pénurie de main-d’œuvre, le poids démographique, la vulnérabilité d’être lié à un employeur et à une région par son permis de travail, la langue française et les personnes immigrantes, les étudiantes et les étudiants internationaux, la fameuse capacité d’accueil de nos quartiers et de nos municipalités, les sans-papiers, l’intégration socioculturelle, linguistique et économique.
Se tourner vers une politique d’immigration qui favorise une période de quelques années de précarité avant de pouvoir s’établir au Québec a des conséquences significatives et pas toujours positives – tant pour la société d’accueil que pour les personnes immigrantes concernées et, à mon avis, ne reflète pas les valeurs énoncées dans notre charte.
Les emplois de courte durée, ça existe. Mais pourquoi pourvoir des postes permanents avec des personnes à statut temporaire? Les études internationales sont à encourager, mais quand avons-nous commencé à voir les jeunes qui bénéficient de cet objectif éducatif et culturel noble comme une source essentielle de financement de nos établissements postsecondaires, une source de main-d’œuvre à bas salaire, une contribution majeure au PIB national et la courroie privilégiée du fédéral pour atteindre ses cibles d’immigration permanente?
J’étais déçue, comme bien d’autres, d’apprendre que le gouvernement a décidé de miser sur des consultations traditionnelles sur la planification pluriannuelle, se concentrant sur le nombre de personnes qui obtiendront leur résidence permanente dans les quatre prochaines années et reportant à plus tard les questions de l’immigration temporaire et de la capacité d’accueil.
Cela étant dit, il n’est jamais trop tard pour bien faire, même s’il est trop tard pour inclure ces enjeux dans le plan annuel d’immigration qui doit être déposé avant le 1er novembre.
Et lorsque le gouvernement décidera d’aborder ces autres enjeux, j’espère que ce livre et mon regard de « technocrate », comme monsieur Parizeau aurait dit, seront d’une contribution utile.
Parce que mon plus grand souhait est qu’on revienne à la vision d’un de nos plus grands poètes québécois, Gérald Godin, aussi ancien ministre de l’Immigration, quand il a dit :
« Chaque être humain étant une sorte de poème, je pense que les immigrants sont des poèmes au Québec. »
Source: Lire l'article complet de L'aut'journal