Pouvoir caché mais tellement visible
• Un professeur de haute volée, qui plus est dissident affirmé du Système, analyse l’évolution du pouvoir de nos jours et de notre crise. • Comment les ‘Groupe de pensée’ (‘think tanks’) et les ONG, devenus lobbyistes massifs du complexe militaro-industriel, sont devenus les véritables inspirateurs des gouvernements de l’Ouest-dégénératif/destructif. • Ce sont eux qui inspirent et ordonnent cette politique de destruction et de néantissement. • Le constat n’est pas politique, il est métaphysique et catastrophique. • Avec un texte du professeur Glenn Diesen.
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Professeur à l’université de la Norvège du Sud-Est et collaborateur régulier de la revue russe ‘Global Affairs’ (et dans d’autres publication de façon irrégulière, comme ici un article dans RT.com), Glenn Diesen fait partie de la chaîne glorieuse des commentateurs dissidents et antiSystème qui va de Macgregor à Mercouris, de Larry Johnson à Scott Ritter. Ses travaux sont plus académiques que certains de ces polémistes, comme ce qui est présenté dans RT.com sous une forme abrégée et didactique. Il s’agit d’une analyse du fonctionnement du pouvoir politique tel qu’il a été envahi et kidnappé, notamment par les Organisations Non-Gouvernementales (ONG) et les “groupes de réflexion” (le plus souvent désignés selon leur dénomination anglaise de ‘think tank’).
Diesen décortique d’une façon extrêmement précise le fonctionnement du duopole ‘think tank’-ONG et constate combien il est devenu le véritable inspirateur du pouvoir en se transformant en un gigantesque lobbyisme dissimulé sous un maquillage d’objectivité et en prenant la place de premier conseilleur-inspirateur du pouvoir. Les orientations politiques sont archi-connues et correspondent à un autre duopole qu’on pourrait désigner comme l’ultralibéralisme-progressiste, – une doctrine à la fois économique, sociétales, à prétention morale, à l’opérationnalité faite de pressions et de contraintes diverses, et de l’usage de la force militaire, – une doctrine à conceptions totalitaire et égalitaire. Le but se nomme globalisme, il pourrait être nommé “américanisme”, technologie et bureaucratie (“technocratie”), “déstructuration”, “transgenrisme”-“transhumanisme”, etc. L’effet est une question de perception, d’intuition et de vision ; pour nous, l’effet se partage à peu près équitablement entre nihilisme et entropie.
Si Diesen nous donne un état des lieux intéressant, ce qui est manifestement son propos, il n’aborde pas deux aspects qui nous intéressent fondamentalement et dont nous faisons notre propos complémentaire.
Le Progrès progresse-t-il ?
Nous employons le mit “Progrès” parce qu’il va de soi pour caractériser cette démarche sans qu’il soit nécessaire d’en débattre. Bien entendu, Diesen fait de façon brillante son travail qui est d’étudier un phénomène en cours d’évolution, et même dirions-nous presque d’une façon religieuse, en cours de révélation. Tout se passe comme si l’on nous proposait de découvrir un pouvoir jusqu’alors ignoré, caché, voire peu influent, et qui s’affirme de plus en plus. Or, ce n’est en rien le cas.
Nous rappelons ici une déposition au Congrès d’un homme qui fait partie de cet aéropage de dirigeants au service du Système. Il s’agit de John Hamre, qui avait été sous-secrétaire à la défense dans les années 1990, qui était resté dans ce monde des experts technocratiques dans le domaine de la sécurité nationale. Il déposait devant le Congrès en septembre 2003 à propos de ce qu’il nommait lui-même le “group-thinking”, qui avait fonctionné d’une façon irrésistible pour justifier l’attaque de l’Irak au printemps 2003 :
« J'ai également remarqué qu'une fois qu'une proposition générale était acceptée comme valide, elle était généralement répétée sans être remise en question dans les analyses suivantes. La conscience de groupe [le “group thinking”] se développe dans le monde du renseignement et de la politique lorsque des propositions de base sont acceptées comme vraies. Comme nous l'avons vu récemment, l'ensemble de la communauté du renseignement et de la communauté politique, – et je m'inclus ici, – était convaincu que nous trouverions d'importants stocks d'armes de destruction massive (ADM) en Irak. Ce n'est pas le cas. Cela prouve qu'une conscience de groupe et l'incapacité d'explorer correctement d'autres hypothèses peuvent avoir raison de la communauté du renseignement et de la politique dans leur quête de certitude dans ce qui est intrinsèquement une entreprise incertaine. »
En même temps, Hamre décrivait l’évolution collective qui isole un groupe du reste de la population, de la réalité, des aléas de la politique vraie. A cette époque, nous parlions de “virtualisme”, depuis le terme “simulacre” accompagné de ses narrative comme d’une garde prétorienne ont mieux défini le phénomène. On voit donc que le phénomène existait déjà, parfaitement identifié et référencié, complètement opérationnel. En introduction du texte de Hamre, nous écrivions (tout cela le 30 septembre 2003) :
« Ici, Hamre décrit les mécanismes, la carapace, la gangue à la fois structurelle, organisationnelle, technique, qui isolent les hommes au pouvoir de la réalité. L’on découvre alors que ce n’est pas seulement l’homme au pouvoir qui est isolé, mais l’appareil général du pouvoir qui s’isole mécaniquement de la réalité en créant une autre réalité par sa puissance de création et de diffusion de l’information. Hamre parle du “group thinking” et l’on ne s’empêchera pas de penser qu’il s’agit tout bonnement du conformisme institutionnalisé et mécanisé. »
Ce que nous voulons mettre en évidence c’est que “la menace” que nous décrit Diesen, qui semble évidemment comme étant quelque chose de nouveau et de ce fait devenue irrésistible, ne l’est certainement pas ; elle n’est pas “quelque chose de nouveau” et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle doive nous paraître irrésistible. A l’époque de Hamre, tous les éléments étaient déjà en place, simplement les technologies de la communication et le volume de cette communication étaient moins développée ; pour le reste qui est l’essentiel, notamment sa constitution sans cesse renforcée en système, – tout cela existait déjà.
Note de PhG-Bis : « Selon PhG, on peut dater et ‘sourcer’ l’origine de cette sorte de menace accouchée par la modernité, cette organisation générale qui s’insère dans le complexe militaro-industriel (CMI), avec le technologisme, l’idéologie du suprémacisme, le système de la communication, l’industrie de l’armement, etc. Il date cela à l’enquête que le Général Arnold, créateur de l’USAF comme arme indépendante, confia en août 1944 au savant Theodore von Karman : un rapport (‘Toward the Horizon’) explorant le champ des technologies nouvelles pour l’aérospatiale et les armement dans le quart de siècle à venir. Parallèlement, Arnold convainquit son ami Donald Douglas (sa fille avait épousé son fils), propriétaire de la firme aéronautique du même nom, de créer et de financer en 1946 le ‘think tant’ Rand Corporation, qui serait la “feuille de route” de la séquence. On voit tout cela dans deux textes utilisant les mêmes éléments, et concernant le CMI …“aux sources” (2 février 2006) et … “aux origines” (17 mai 2019). »
Ainsi ce que nous décrit Diesen n’est pas nouveau mais en pleine activité depuis des décennies, depuis au moins trois-quarts de siècle. La remarque qui vient alors nécessairement à l’esprit est celle-ci : cette dynamique irrésistible, que nul ne peut arrêter et qui dispose de tous les pouvoirs depuis “au moins trois-quarts de siècle” , qu’a-t-elle produit dans le champ de la politique et de l’opératoire militaire, sinon catastrophe sur catastrophe, avec l’incapacité de réduire l’opposition, mais au contraire de la nourrir ? La menace qu’on nous décrit aujourd’hui, que peut-elle nous promettre sinon la perspective de catastrophes encore plus grandes, et peut-être bien, – c’est notre avis, comme l’on s’en doute, – la catastrophe finale pour elle-même.
Le Diable est dans l’addition des détails
Un connaisseur, Donald Rumsfeld ; –sans aucun doute désignait-il (le 10 septembre 2001) le complexe militaro-industriel dans sa définition de la bureaucratie du Pentagone comme l’ennemi ultime des Etats-Unis ; – peut-être, encore plus que le CMI ou bien le CMI considéré pour ce qu’il est en vérité, peut-être Rumsfeld-qui-s’y-connaît désignait-il le Diable, tout simplement :
« …L'essentiel pour le définir est bien entendu dans cette ultime restriction. Sans elle, on ne saisit pas l'essence fondamentale du phénomène, ce qui fait sa profonde originalité, sa puissance unique et sa faiblesse potentielle considérable, — et, pour certains, et avec bien des arguments, ce qui fait de ce phénomène une menace considérable. On exagérerait à peine, et même pas du tout, si on paraphrasait les paroles de Rumsfeld sur la bureaucratie du Pentagone pour les proposer comme la véritable définition du danger que représente le complexe militaro-industriel:
» “Peut-être cet adversaire paraît ressembler à ce que fut l’Union Soviétique, mais cet ennemi s’en est allé : nos ennemis sont aujourd’hui plus subtils et plus implacables. Vous devez penser que je suis en train de décrire un de ces dictateurs décrépits qui survivent encore. Mais leur temps est passé, à eux aussi, et ils ne font pas le poids à côté de cet adversaire que je décris… ”, — c’est-à-dire, What Else ? Le Militaro-Industrial Complex. »
Avec cette image et cette hypothèse symbolique sinon fantaisiste, nous atteignons le cœur du problème que nous pose cette organisation du Système qui, par ses courroies de transmission, du “groupe de réflexion” à l’ONG, nous conduit au néant de l’anéantissement. Car la menace que nous décrit Diesen, et dont on voit qu’elle nous vient de loin, qu’elle est directement enfantée par tout ce que la modernité de totalement néantisseur, ne peut être qualifiée et définie que comme diabolique.
Par son aspect anonyme, collectif, invisible et pourtant partout évident, imperturbablement acharné et inflexible, avec cet effet terrifiant et pourtant énigmatique et incompréhensible, elle a tous les traits du diabolisme et seule cette hypothèse peut répondre à l’inexplicable : pourquoi orienter toute cette mécanique vers de tels buts de néantissement sans autre raison que le fait lui-même ? Pour le Diable, la question est en même temps la réponse. ‘Just Because’, comme les petits malins du Pentagone avaient transformé le nom de code (‘Just Cause’) de l’attaque US contre le Panama en décembre 1989, qui fut l’ouverture de l’ère des guerres folles des États-Unis de l’après-Guerre Froide dont nous atteignons aujourd’hui la paroxysme ukrainien.
Le texte du professeur Diesen est sur le site de RT.com le 1er juin 2023.
dedefensa.org
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‘Think tanks’ et ONG à la manoeuvre
La ministre hongroise de la justice, Judit Varga, a prévenu que l'Union européenne était devenue un spectateur hésitant de l'histoire et qu'elle était de moins en moins capable de relever les défis auxquels sont confrontés ses citoyens. Mme Varga attribue ce malaise en partie à l'absence de leadership politique. Elle estime que l'Union est dirigée par des groupes de réflexion [les ‘think-tanks’] et des organisations non gouvernementales (ONG) qui lui dictent la conduite à tenir. Clare Daly, eurodéputée irlandaise, a déclaré récemment au Parlement européen que "l'imagination paranoïaque des groupes de réflexion du secteur de la sécurité qui défilent ici jour après jour" est capable de dicter des politiques fondées sur les "preuves les plus ténues".
Les ONG sont depuis longtemps utilisées comme instrument pour gagner de l'influence dans la société civile de divers États-nations. Les États-Unis ont innové en développant des entités qu'ils financent et dont ils s'assurent qu'elles sont souvent dotées d'un personnel lié au pouvoir officiel de Washington. L'UE a fini par adopter la même pratique, mais d'une manière différente, principalement axée sur l'Europe elle-même. En conséquence, les ONG financées par l'État manipulent de plus en plus les politiques occidentales.
Alors que les groupes de réflexion et les ONG accroissent leur influence sur l'élaboration des politiques de l'UE, une question se pose : quelles sont les conséquences de l'externalisation de la politique ? Quelles sont les conséquences de l'externalisation du leadership politique vers ces entités ?
Les groupes de réflexion, – lorsqu'ils fonctionnent au sens classique du terme, – peuvent jouer un rôle important dans les processus d'élaboration des politiques en apportant leur expertise, en représentant des intérêts divers et en défendant des causes spécifiques. Le monde devenant de plus en plus complexe, les hommes politiques doivent prendre des décisions sur une grande variété de sujets compliqués sur lesquels ils n'ont souvent qu'une connaissance limitée. Il est tout simplement irréaliste de s'attendre à ce que les dirigeants élus disposent d'une expertise suffisante et d'une compréhension approfondie dans tous les domaines de l'élaboration des politiques.
Cependant, en s'appuyant de plus en plus sur l'expertise des groupes de réflexion et des ONG, le pouvoir passe des élus à ce que l'on peut considérer comme des lobbyistes et des groupes de pression. Alors que l'UE imite le modèle anglo-américain de gouvernance des groupes de réflexion, il est également nécessaire d'en explorer les faiblesses et les conséquences.
Aux États-Unis, les groupes de réflexion ont acquis une influence considérable sur les décideurs politiques et le public. Ils fournissent aux hommes politiques des rapports de recherche et des analyses sur lesquels ils fondent leurs décisions. Les groupes de réflexion servent également de salle d'attente pour les politiciens qui ne font plus partie du gouvernement, dans un système de portes tournantes, ce qui permet aux groupes de placer leurs propres “fellows” aux postes les plus élevés de Washington. Les groupes de réflexion fournissent également des analyses pour les auditions du Congrès et dominent dans les médias en tant que source d'opinions d'experts. Ils sont donc devenus un centre important du pouvoir politique.
Alors que le pouvoir des groupes de réflexion ne cesse de croître, la question se pose de savoir qui les finance et pourquoi. Aux États-Unis, les groupes de réflexion libéraux et conservateurs sont, dans leur grande majorité, financés par l'industrie de l'armement. Ce phénomène est lié à la puissance du complexe militaro-industriel américain. Par conséquent, même avec l'extrême polarisation politique à Washington, il existe un soutien bipartisan fiable à la guerre en tant que solution à la plupart des problèmes, car l'industrie mise sur les deux partis politiques. L'option de démilitarisation de la politique étrangère américaine et de réduction du budget militaire échappe donc de plus en plus au contrôle démocratique. Le président Dwight Eisenhower a mis en garde contre l'influence envahissante du “complexe militaro-industriel” lors de son discours d'adieu en janvier 1961. Eisenhower a d'abord utilisé l'expression “complexe militaro-industriel-congressionnel”, mais l'a révisée pour éviter de faire honte au Congrès et de le provoquer.
Plusieurs enquêtes menées par le New York Times ont révélé que l'industrie des groupes de réflexion s'est considérablement développée au cours des dernières décennies et a corrompu la politique grâce à un modèle commercial qui vend l'accès et l'influence. Matthew Rojansky, directeur du Wilson Center, a tiré la sonnette d'alarme en avertissant que les think tanks « sont devenus des groupes de pression, ou même des lobbyistes, sous un autre nom », simplement en fonction des forces du marché, étant donné que « les partis politiques veulent des propagandistes loyaux, et non pas des universitaires tatillons et équivoques. Et les donateurs potentiels veulent des tireurs d'élite chevronnés pour tirer leurs balles politiques sur la bonne cible au bon moment ». Les groupes de réflexion sont ensuite devenus un symptôme de l'hypercapitalisme, dans lequel tous les aspects de la société sont devenus un appendice du marché. Aujourd'hui, même l'influence politique est régulée de cette manière et les groupes de réflexion en sont une composante importante.
Ces groupes de réflexion financés par l'armée ont également fait une entrée remarquée dans l'UE, où les ONG dépendent traditionnellement davantage du financement gouvernemental que leurs homologues américains. Toutefois, l'industrie de l'armement a fait des percées en raison de l'importance croissante des questions de sécurité et des questions militaires en Europe. Pendant les années du Russiagate, les groupes de réflexion affiliés à l'OTAN ont renforcé leur influence dans l'UE sous prétexte de contrer l'ingérence russe. M. Daly a souligné l'ironie de l'autorité accordée aux « groupes de réflexion atlantistes et de l'OTAN, qui font du lobbying pour des intérêts qui profitent des conflits, est une ironie amère pour un comité destiné à enquêter sur les ingérences étrangères dans les processus démocratiques de l'Union européenne et à y remédier ».
Alors que l'UE se prépare à des tensions militaires prolongées avec la Russie, davantage de pouvoir politique sera transféré aux groupes de réflexion. Les inquiétudes concernant l'absence de leadership politique dans l'UE deviendront donc un thème plus courant dans les années à venir.
Glenn Diesen
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