Quand j’étais adolescent, une publicité à la télévision faisait la promotion d’un dispositif permettant d’allumer ou d’éteindre les luminaires de la maison d’un simple claquement de mains. «Clap et ça s’allume, clap et ça s’éteint», chantait le pauvre acteur.
Ébahis au premier abord par l’invention aux accents futuristes, nous tournions vite l’innovation au ridicule: est-ce si forçant d’actionner l’interrupteur qu’il fallait trouver une façon d’économiser ces kilojoules?
Il semble que le ridicule ne tue pas. Il permet même parfois de faire des affaires en or. L’industrie de la domotique prit alors son envol en un claquement de doigts!
Domotique. Nom féminin, du latin domus (maison). Technologies intégrées à l’habitation en vue d’optimiser la communication, la sécurité, les loisirs, la consommation énergétique, etc.
OK, Google
«OK, Google, fais couler mon café.» «Alexa, tire la chasse d’eau.» «Siri, quelle température fait-il aujourd’hui?» Avouons-le, quel sentiment de toute-puissance cela procure-t-il de se faire obéir au doigt et à l’œil!
Je ne juge pas. Ou si peu. Cette génération est la mienne. S’il existait une compagnie proposant des changements de couche automatisés ou l’endormissement du poupon en pesant sur un bouton, je serais non seulement preneur, mais actionnaire!
Je m’éviterais alors des maux de cœur devant les langes débordants de santé de L. et m’épargnerais les maux de dos à force de valser avec B. dans les bras pour la calmer entre deux boires. En toute conscience, il serait aisé de me convaincre que le temps économisé serait mieux investi à passer des «moments de qualité» avec mes plus vieux. En réalité, il y a fort à parier que ces précieuses minutes seraient plutôt dépensées en quête de revenus supplémentaires pour me procurer ces gadgets.
À peine une semaine après les attentats de novembre 2015 à Paris, le philosophe Fabrice Hadjadj traitait les terroristes non pas comme des barbares, mais comme des produits spécialement aboutis de la modernité technique. Ainsi, selon lui, le gamer compulsif qui ne quitte plus sa console sinon pour aller aux lieux d’aisance (et encore!) et le djihadiste sont deux expressions extrêmes, plus ou moins bénignes convenons-en, du même paradigme.
Nous vivons et mourons désormais en appuyant sur des boutons.
D’un bout à l’autre du parcours
L’autre soir, au souper, j’ai dû expliquer à mes jumeaux de huit ans ce qu’est une personne trisomique. C’est qu’elles se font rares de nos jours, à une époque où l’on prétend pourtant valoriser la différence… D’ailleurs, j’ai dû aussi expliquer pourquoi des choix individuels et collectifs mènent à la disparition de la presque totalité d’entre eux avant même qu’ils puissent voir le jour.
À l’autre bout du parcours, quand papi devient de moins en moins continent, il peut être tentant pour lui d’appuyer sur un bouton. «OK, Google, cuisine-moi un pouding à l’arsenic.» Le mourant se prive alors peut-être de la grâce d’être aimé pour ce qu’il est véritablement: un être vulnérable, limité, incapable d’à peu près tout. Un peu comme lorsqu’il est sorti nu du ventre de sa mère, alors qu’il n’était rien d’autre qu’une espérance.
Clap et ça s’éteint.
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