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par Munema Moiz
L’érudit d’origine andalouse, qui écrivait principalement en judéo-arabe, développa des idées du judaïsme encore populaires de nos jours.
Dans un mausolée blanc de la ville de Tibériade, dans ce qui est aujourd’hui Israël, se trouve la tombe du penseur juif le plus renommé du Moyen-Âge, Moïse Maïmonide.
Né en 1138 dans la ville espagnole de Cordoue, le philosophe et théologien issu d’une longue lignée de rabbins était destiné à suivre leurs traces.
Au moment de sa naissance, al-Andalus, nom donné aux régions d’Espagne sous domination musulmane, était gouvernée par l’Empire almoravide ; mais tôt dans sa jeunesse, la région fut conquise par les Almohades, des Berbères nord-africains qui dans un premier temps mirent en œuvre des politiques hostiles envers les sujets chrétiens et juifs.
À 10 ans, Maïmonide fuit l’Espagne avec sa famille, trouvant refuge d’abord à Fès, au Maroc, avant de s’installer à Fostat en Égypte en 1166, où il passera le reste de sa vie, jusqu’à sa mort en 1204.
Communément connu sous l’acronyme hébreu «Rambam» (pour rabbin Moshe ben Maïmon), Maïmonide fut un écrivain prolifique d’ouvrages rabbiniques, philosophiques et médicaux.
Ses œuvres présentent une vision rationaliste du judaïsme en tant que mode de vie fondé sur le perfectionnement de l’intellect humain par le biais des commandements religieux ; elles sont une source d’inspiration et de fascination pour les lecteurs juifs comme non juifs.
À Fostat, qui correspond à peu près au Caire moderne, Maïmonide officia comme juge en chef des tribunaux juifs, mais comme il détestait être payé pour travailler sur la Torah, il complétait ses revenus par une pratique médicale florissante.
Finalement, il devint populaire auprès des nobles musulmans et devint même l’un des médecins de la cour de Salah ad-Din al-Ayyubi (Saladin).
Malgré son emploi du temps chargé, Maïmonide trouva le temps d’écrire une vingtaine d’ouvrages sur le judaïsme, la médecine, l’astronomie et la philosophie.
Œuvres remarquables
Maïmonide commença à écrire sur l’astronomie pendant sa jeunesse. L’un de ses travaux les plus importants en la matière concerne le calendrier juif et est intitulé Lois de la sanctification de la nouvelle lune. Le philosophe écrivit également plusieurs traités médicaux commandés par des nobles musulmans, tels que Le Régime de santé et Le Traité de l’asthme.
Ses principales contributions, cependant, concernent les études rabbiniques et la philosophie, parmi lesquelles trois ouvrages rabbiniques où il systématise les lois et croyances juives.
Ses premiers ouvrages majeurs sont «Le Livre des commandements», dans lequel Maïmonide codifie les 613 commandements scripturaires de la Bible hébraïque (le Tanakh), et un ouvrage intitulé «Commentaire de la Mishnah».
Son projet le plus ambitieux est toutefois le Mishné Torah, un recueil de quatorze volumes sur la loi juive, rédigé tout au long d’une décennie.
Le Mishné Torah, qui représente l’une des réalisations littéraires les plus importantes du Moyen-Âge juif, contient des informations détaillées sur le Talmud, les règles juives (halakhot) et les interprétations de la Torah, organisées de manière accessible et transparente.
Conçu comme un guide d’observance pratique de la religion et une référence pour les profanes, le Mishné Torah fut l’ouvrage post-talmudique le plus complet et le plus innovant de l’époque. De fait, les treize articles de foi que Maïmonide énonce dans ses ouvrages rabbiniques continuent d’être largement connus dans le judaïsme.
À 47 ans, Maïmonide commença également à travailler sur son célèbre traité philosophique, Guide des perplexes, qui a pour sujet un vaste éventail de questions religieuses et philosophiques, dont la nature de Dieu, le prophétisme, la providence et la cosmologie.
Dans le Guide, un croyant perplexe peut découvrir comment concilier les découvertes scientifiques avec les descriptions d’événements décrits dans la Torah – comprendre l’Écriture de manière rationnelle.
Écrit à l’origine en arabe, il est introduit en ces termes :
«Le but de cet ouvrage est d’éclairer un homme religieux qui a été formé à croire à la vérité de la sainte Loi, qui remplit consciencieusement ses devoirs moraux et religieux, et qui en même temps a réussi ses études philosophiques.
«La raison humaine l’a attiré à demeurer dans sa sphère ; et il a du mal à accepter l’exactitude de l’enseignement basé sur l’interprétation littérale de la Loi […] Il est donc en proie à la perplexité et à l’anxiété.»
Sa philosophie révèle une solide compréhension d’un éventail de penseurs, tels qu’al-Farabi, Aristote et d’éminents théologiens musulmans de l’époque.
L’interprétation des œuvres de Maïmonide est source de nombreux débats et énigmes. Il suggère dans le Guide des perplexes qu’il a parsemé ses œuvres de significations cachées afin d’éviter de divulguer des secrets ésotériques à ceux qui n’y sont pas prêts. Cela aura pour effet d’encourager de nombreuses interprétations de ses œuvres afin de tenter de comprendre ce qu’il voulait véritablement dire.
Philosophie
Maïmonide combina enseignements juifs traditionnels et philosophie et tenta de donner à la doctrine religieuse un fondement rationnel.
La Torah, selon Maïmonide, sert les deux perfections de l’homme : la perfection du corps humain et la perfection de l’âme humaine. Elle aide à perfectionner le corps humain en créant des lois visant à assurer une société sans violence et en engendrant des qualités éthiques qui favorisent des relations interpersonnelles pacifiques.
Elle perfectionne également l’âme humaine en donnant à l’humanité des vues correctes sur Dieu ; par la connaissance, l’homme peut atteindre le bonheur humain suprême, à savoir la connaissance de Dieu.
Maïmonide conçoit le but de la vie comme le plaisir spirituel qui découle de la connaissance de Dieu. C’est la raison pour laquelle il essaie de montrer comment les commandements sont un moyen de connaître Dieu et d’éviter l’idolâtrie.
Pour lui, la philosophie et la connaissance de l’ordre naturel conduisent le croyant à la crainte et à l’amour de Dieu. Pour cette raison, dans le Mishné Torah, Maïmonide s’efforce d’expliquer la structure scientifique de l’Univers.
Dans les Lois relatives aux fondements de la Torah, il écrit :
«J’expliquerai certains grands aspects généraux des Œuvres du Souverain de l’Univers, afin qu’ils puissent servir à l’individu intelligent telle une porte vers l’amour de Dieu, ainsi que nos sages le remarquèrent à propos du thème de l’amour de Dieu, “Observe l’Univers et ainsi, tu connaîtras Celui qui parla, et le monde fut”.»
Maïmonide était attaché à l’idée selon laquelle Dieu n’est pas fait de matière physique, est transcendant et dépasse la compréhension humaine : nous ne pouvons pas parler de Dieu directement ; à la place, les attributs divins doivent être exprimés par la négation. Par exemple, on ne peut dire que Dieu est puissant, mais plutôt que Dieu n’est pas faible. Les passages bibliques qui évoquent Dieu en des termes positifs sont simplement allégoriques et doivent être réinterprétés correctement.
Le philosophe développa également une compréhension unique du prophétisme en tant qu’événement naturel. Un prophète est une personne qui, grâce à ses puissants pouvoirs psychologiques, rêve des vérités intellectuelles dans des images symboliques qu’il transmet ensuite à d’autres personnes.
Moshe Halbertal explique dans son livre, «Maimonides : Life and Thought» : «Dieu ne se révèle pas au prophète dans un rêve ; au contraire, le prophète rêve que Dieu s’est révélé à lui.»
Avec cette vision du prophétisme, Maïmonide réinterprète les visions prophétiques de la Torah non comme des événements extérieurs, mais comme des événements ancrés dans la conscience des prophètes. Cette naturalisation du prophétisme sera une source de controverse parmi les penseurs juifs.
L’univers est-il éternel ?
L’un des problèmes centraux évoqués dans le Guide des perplexes est la question de savoir si Dieu a créé l’Univers ex nihilo – à partir de rien – ou s’il existe depuis toujours. La première option est une croyance théiste traditionnelle qui suggère que Dieu est doté de volonté : à un moment donné, il a voulu que l’Univers existe.
Selon les partisans de la préexistence de l’Univers, le problème avec la volonté divine est qu’elle implique que Dieu a changé d’avis à un moment donné afin de vouloir que l’Univers existe. Dieu, disent-ils, doit être intemporel et a toujours fait ce qu’il avait l’intention de faire. Puisqu’il ne peut pas changer, l’Univers doit toujours avoir existé.
Les implications de cette question sont lourdes : toutes les religions abrahamiques conceptualisent Dieu comme étant investi d’une personnalité et d’une volonté lui permettant d’émettre des ordres, des jugements, des récompenses et des punitions. Cette théorie suggère-t-elle donc qu’il est imparfait ?
Maïmonide est absorbé par ce problème dans 37 chapitres du Guide. Après tout, un croyant perplexe qui rencontrerait des arguments en faveur de l’éternité de l’Univers – idée considérée à l’époque comme à la pointe de la science – penserait que le Dieu de la Torah qui a voulu la création de l’Univers est faux.
Finalement, il montre que l’éternité de l’Univers n’est alors pas scientifiquement établie, et qu’en fait il est plus probable que l’Univers ait été récemment créé. Son raisonnement est intéressant : l’astronomie médiévale est incapable d’expliquer avec élégance le désordre des mouvements planétaires et célestes. L’arbitraire des explications scientifiques est la preuve que Dieu a dû choisir de créer l’Univers.
Il écrit :
«Il y a un phénomène dans les sphères [l’Univers] qui montre plus clairement l’existence de la détermination volontaire ; on ne peut l’expliquer autrement qu’en supposant qu’une entité l’ait conçu : ce phénomène est l’existence des étoiles […] Qu’est-ce qui a déterminé qu’une petite partie devait avoir dix étoiles, et que l’autre portion devait être sans étoile ? Et tout le corps de la sphère étant uniforme partout, pourquoi une étoile particulière devrait-elle occuper une place et pas une autre ?
«La réponse à ces questions et d’autres similaires est très difficile, et presque impossible, si nous supposons que tout émane de Dieu en tant que résultat nécessaire de certaines lois permanentes, comme le soutient Aristote […] Mais si nous supposons que tout cela est le résultat d’un dessein, il n’y a rien d’étrange ou d’improbable : et la seule question à se poser est la suivante : quelle est la cause de cette conception ?
«La réponse à cette question est que tout cela a été fait dans un certain but, bien que nous ne le sachions pas ; il n’y a rien qui se fasse en vain, ou par hasard.»
Maïmonide ne pensait pas que le fait que l’Univers ait un commencement doive signifier qu’il ait une fin. L’Univers pourrait continuer pour l’éternité une fois créé :
«Il n’est pas contraire aux principes de notre religion de supposer que l’Univers continuera d’exister pour toujours […] Selon notre théorie, enseignée dans les Écritures, l’existence ou la non-existence des choses dépend uniquement de la volonté de Dieu et non de lois fixes, et, par conséquent, il ne s’ensuit pas que Dieu doive détruire l’Univers après l’avoir créé à partir de rien. Cela dépend de Sa volonté…»
Bien qu’il pense que Dieu a créé l’univers, Maïmonide critique les efforts déployés par les mutakallimun (théologiens musulmans traditionalistes) pour réduire l’intégralité de l’ordre naturel à une sorte de miracle de la volonté divine. Pour lui, Dieu a créé un ordre naturel qui doit être admiré et devenir une source de crainte et d’émerveillement qui finit par alimenter le sentiment religieux.
Héritage
Les œuvres rabbiniques et les textes philosophiques de Maïmonide ont été à la fois encensés et objets de controverses.
Le Mishné Torah est devenu l’œuvre juive la plus discutée depuis la période talmudique et a également influencé l’Europe chrétienne, à travers les traductions latines réalisées du XVIe au XVIIIe siècle. Même les réflexions d’Isaac Newton sur l’histoire de la religion ont été influencées par le Mishné Torah.
De même que le Mishné Torah, le Guide des perplexes est encore étudié à ce jour. Pratiquement tous les penseurs médiévaux juifs ont été influencés par ce texte, y compris Gersonide et Moïse Narboni. Plus d’une douzaine de philosophes chrétiens médiévaux citent ou empruntent des idées au Guide, y compris Thomas d’Aquin lorsqu’il discute de la création du monde.
Les opinions de Maïmonide connurent parfois la censure. Certains le critiquèrent pour avoir réinterprété les récits scripturaires d’expériences prophétiques en tant que visions plutôt qu’événements littéraux ainsi que pour avoir donné des justifications pragmatiques aux commandements juifs.
Le Mishné Torah et le Guide des perplexes furent interdits en France au début du XIIIe siècle, après les plaintes d’opposants juifs à Maïmonide auprès des autorités ecclésiastiques.
Les œuvres de Maïmonide entraînèrent deux transformations dans le monde médiéval juif. D’une part, il systématisa d’une manière inédite des textes et croyances juives complexes.
D’autre part, il chercha à changer la conscience religieuse des juifs, à les inciter à rejeter l’anthropomorphisme sous toutes ses formes, y compris ce qu’il considérait comme des interprétations idolâtres de la Torah. Ce virage rationaliste a donné un fondement philosophique à la Torah.
Les œuvres de Maïmonide continuent d’être source d’intérêt, de mystification et de connaissance aujourd’hui. On dit souvent à sa gloire : «De Moïse à Moïse, nul ne s’est levé comme Moïse». Vu l’attrait durable de ses œuvres pour les lecteurs de toutes confessions, ce dicton s’est révélé exact.
source : Middle East Eye
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