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par Patrick Martin
Dans un rapport dévastateur publié lundi, le Projet sur le coût de la guerre (Cost of War Project) de l’université Brown estime qu’au moins 4,5 millions de personnes sont mortes des suites des guerres lancées par les États-Unis depuis les attentats du 11 septembre 2001.
Le projet de recherche, qui a régulièrement publié des estimations sur le nombre de personnes directement victimes de ces guerres – à partir d’estimations assez conservatrices – a porté son attention dans son dernier rapport sur les décès indirects, ceux causés par la perturbation de l’agriculture, des soins de santé, des transports et de toute l’économie à cause des guerres.
Le total stupéfiant de 4,5 millions de morts comprend l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Somalie, la Syrie et des parties du Pakistan touchées par les retombées de la guerre en Afghanistan. Les décès de soldats et d’entrepreneurs américains, notamment les décès ultérieurs dus à des cancers, des suicides et d’autres conséquences des guerres, ne sont pas pris en compte.
L’estimation du nombre de victimes des récentes guerres américaines dément les affirmations selon lesquelles les États-Unis sont intervenus dans la guerre en Ukraine pour défendre la liberté, la démocratie et les droits de l’homme. L’impérialisme américain est la force la plus violente et la plus sanglante de la planète, et le danger est que, si la guerre par procuration contre la Russie devient un conflit plus généralisé, impliquant même des armes nucléaires, le nombre de morts dépasserait rapidement même le bilan horrible des 22 dernières années.
Le rapport est rédigé dans un langage neutre et académique et « n’attribue pas de responsabilité directe à un seul combattant », selon l’auteure, Stephanie Savell, coprésidente du projet « Le coût de la guerre ». Les estimations et les récits anecdotiques qui les accompagnent n’en constituent pas moins des preuves accablantes de la responsabilité de Washington, sous les gouvernements des démocrates et des républicains, dans les plus grands crimes du XXIe siècle.
Compte tenu de l’impossibilité d’obtenir des chiffres démographiques précis dans les pays étudiés, dont plusieurs sont encore des zones de guerre, il a fallu « générer une estimation approximative en appliquant un ratio moyen de quatre morts indirectes pour une mort directe ». Cette estimation se fonde sur une étude réalisée en 2008 par le secrétariat de la Déclaration de Genève, qui a constaté, en examinant toutes les guerres depuis le début des années 1990, que le rapport entre les morts indirectes et les morts directes variait de 3 à 15.
Sur la base d’études antérieures du projet « Le coût de la guerre », qui estimait le nombre total de morts directes de ces guerres à quelque 900 000 (un chiffre prudent étant donné que The Lancet a publié des estimations de 600 000 morts pour la seule guerre d’Irak), la multiplication de ce chiffre par quatre donne un total de 3,6 millions de morts indirectes. En additionnant les deux, on obtient l’estimation finale de l’ensemble des décès, soit 4,5 millions.
Quelle que soit la marge d’erreur d’une telle estimation, le chiffre brut est en soi effroyable. Il témoigne du bilan humain colossal des « guerres du XXIe siècle », comme les a allègrement qualifiées le président George W. Bush lorsqu’il a lancé les deux premières, en Afghanistan et en Irak. Barack Obama a poursuivi ces deux guerres et en a ajouté trois autres, en Libye, en Syrie et au Yémen, les deux dernières faisant appel à des forces par procuration. Donald Trump et Joe Biden ont poursuivi toutes les cinq, sous une forme ou une autre.
Dans un procès de Nuremberg des temps modernes, les quatre présidents seraient sur le banc des accusés pour avoir mené des guerres d’agression illégales et être responsables de morts et de souffrances massives.
La sixième de ces guerres, en Somalie, fut lancée en fait par le père de Bush lors de l’intervention initiale des États-Unis en 1992 ; depuis lors, chaque gouvernement américain s’est engagé dans des frappes aériennes, des raids des forces d’opérations spéciales et des frappes de drones, ainsi que dans des blocus de nourriture et autres formes d’aide humanitaire à destination d’une région ou une autre, ou de l’ensemble d’un pays. Il y a eu également des invasions du pays par des forces américaines par procuration en provenance d’Éthiopie et du Kenya.
Le projet « Le coût de la guerre » suggère quatre causes principales interdépendantes de la mort massive au milieu et à la suite de ces guerres :
- l’effondrement économique, la perte des moyens de subsistance et l’insécurité alimentaire ;
- la destruction des services publics et des infrastructures de santé ;
- La contamination de l’environnement ;
- l’impact des traumatismes et de la violence.
Le pays le plus dévasté est sans doute l’Afghanistan, qui a connu 20 ans d’occupation et de guerre par les États-Unis, faisant suite à 10 ans de guérilla après l’invasion de l’Union soviétique, puis sept ans de guerre civile jusqu’à la prise du pouvoir par les talibans, et cinq ans de régime taliban avant l’invasion américaine.
Le taux de mortalité en Afghanistan, toutes catégories de population confondues, est plus élevé aujourd’hui qu’à n’importe quel autre moment de cette terrible histoire. Selon le rapport, l’économie de l’Afghanistan s’est effondrée :
L’économie afghane s’est effondrée et plus de la moitié de la population vit aujourd’hui dans l’extrême pauvreté, avec moins de 1,90 dollar par jour. La situation est désastreuse : 95 pour cent des Afghans ne mangent pas à leur faim et, dans les ménages dirigés par des femmes, ce chiffre atteint 100 pour cent. On estime que 18,9 millions de personnes, soit près de la moitié de la population du pays, souffraient d’insécurité alimentaire aiguë en 2022. Parmi elles, 3,9 millions d’enfants souffrent de malnutrition aiguë ou d’émaciation, c’est-à-dire qu’ils n’absorbent pas suffisamment de nutriments essentiels, ce qui a de graves conséquences physiologiques. Un million d’enfants afghans sont en danger de mort.
À toutes fins utiles, il n’existe pas de système de soins de santé dans le pays en dehors de quelques grandes villes. Le rapport note ce qui suit : « Après le retrait des États-Unis d’Afghanistan, tous les financements étrangers pour les soins de santé ont brusquement cessé et, un mois plus tard, plus de 80 pour cent des établissements de soins de santé afghans étaient considérés comme dysfonctionnels. »
La situation est encore pire pour les personnes nouvellement arrivées dans le monde. L’étude poursuit : « En Afghanistan, environ un nouveau-né sur dix est mort entre janvier et mars 2022, soit plus de 13 000 en seulement trois mois. »
L’anthropologue Anila Daulatzai, après une visite à Kaboul, a déclaré à l’étude : « Dans un endroit comme l’Afghanistan, la question pressante est de savoir si un décès peut aujourd’hui être considéré comme n’étant pas lié à la guerre. »
Dans la plupart des pays étudiés, la destruction de l’agriculture et des soins de santé n’est pas un sous-produit imprévu de la guerre, mais un objectif essentiel de celle-ci. En Syrie, selon le rapport :
Diverses parties, y compris les gouvernements de la Syrie, de la Russie et des États-Unis, ainsi que des groupes militants tels que l’État islamique et le Front al-Nusra, ont bombardé des hôpitaux et des établissements de santé.
Au Yémen, l’armée saoudienne soutenue par les États-Unis a bombardé des fermes, des entrepôts de nourriture, des épiceries et même des bateaux de pêche, dans le but délibéré d’affamer la population. En Irak, les bombardements américains ont visé des établissements de soins de santé ainsi que des usines qui produisent des médicaments.
L’Irak possédait l’un des systèmes de santé les plus avancés du Moyen-Orient. Mais au cours des cinq années qui ont suivi l’invasion américaine, à partir de 2003, la moitié des médecins du pays ont quitté le pays, soit 18 000 au total. Avec la montée en puissance de l’État islamique et l’exacerbation de la guerre civile en 2014, 5400 médecins supplémentaires ont quitté le pays. Il ne reste plus qu’une force squelettique.
L’étude « Le Coût de la guerre » a pu compiler les rapports actuels sur la malnutrition infantile, en se basant sur les rapports des travailleurs humanitaires et des gouvernements. Elle estime que « 7,6 millions d’enfants souffrent actuellement d’émaciation ou de malnutrition aiguë dans ces pays ». La moitié d’entre eux se trouvent en Afghanistan et une grande partie du reste au Yémen.
Au Yémen, le régime saoudien, qui utilise des bombes et des avions de guerre fournis par les puissances impérialistes, principalement les États-Unis, et des informations de ciblage fournies par des officiers militaires américains et britanniques, a mené environ 24 000 frappes aériennes sur un pays de 33 millions d’habitants. Selon l’étude, 7000 de ces frappes ont visé des installations non militaires, 8000 des installations militaires et 9000 des cibles indéterminées.
En Libye, ce sont les États-Unis qui ont été le fer de lance des bombardements du pays, non seulement lors de la guerre entre les États-Unis et l’OTAN en 2011, qui a conduit à l’éviction et au meurtre horrible du dirigeant de longue date Mouammar Kadhafi, mais aussi, par la suite, lorsque le pays s’est effondré dans une guerre civile prolongée où les militants islamiques – certains soutenus par les États-Unis, d’autres en désaccord avec eux – ont joué un rôle majeur.
Selon un rapport du Pentagone, dans la ville de Syrte, la ville natale de Kadhafi alors contrôlée par l’État islamique, les États-Unis ont mené 500 frappes aériennes entre août et décembre 2016, 300 par des drones et 200 par des avions pilotés. Comme le souligne « Le Coût de la guerre », il s’agissait d’un « bombardement plus intense que lors de périodes comparables des campagnes aériennes américaines en Syrie et en Irak. »
Les conséquences de ces guerres sont innombrables : munitions non explosées en quantités massives, dégradation de l’environnement, « Syndrome de stress post-traumatique » (SSPT) généralisé et autres problèmes de santé mentale, destruction des réseaux d’égouts et d’autres infrastructures vitales pour la santé publique. Sur ce dernier point, le rapport note « les principaux facteurs de mortalité chez les enfants irakiens de moins de cinq ans sont les infections des voies respiratoires inférieures, la diarrhée et la rougeole. »
L’une des conséquences les plus importantes de ces guerres est le déplacement de dizaines de millions de personnes. L’étude estime que 38 millions de personnes ont été déplacées par les guerres de l’après 11 septembre, la majorité d’entre elles étant des enfants (53 pour cent).
Plus de la moitié de la population syrienne d’avant-guerre a été déplacée : 5,6 millions de réfugiés vers d’autres pays, 6,5 millions de personnes à l’intérieur du pays (PDI dans le jargon des Nations unies et des groupes d’aide humanitaire). En 2022, l’Afghanistan comptait 4 millions de PDI, dont 60 pour cent d’enfants. Il y avait 3,6 millions de PDI au Yémen en 2019, mais peu de réfugiés en raison de la difficulté à traverser les mers ou à passer par l’Arabie saoudite.
Le rapport se termine par une conclusion si tiède et si brève – un appel à un changement de politique de la part des différents gouvernements, y compris celui des États-Unis – que c’est clair que l’auteure elle-même n’y croit pas. Et pour cause. La seule réponse rationnelle à ces faits et chiffres dévastateurs est de construire un mouvement socialiste révolutionnaire, basé sur la classe ouvrière internationale, pour mettre fin à l’impérialisme et à tous ses crimes.
source : World Socialist Web Site via France-Irak Actualité
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