Le petit-neveu de Brigitte Macron, l’épouse du président de la République, a été agressé lundi 15 mai au soir à Amiens, près de sa chocolaterie.
Denis Charlet / AFP
Propos recueillis par Chloé Sémat
Publié le 18/05/2023 à 15:52
Le petit-neveu de Brigitte Macron, l’épouse du président de la République, a été agressé lundi 15 mai au soir à Amiens. Mais la belle-famille d’Emmanuel Macron est prise pour cible depuis 2017 subissant rumeurs, diffamation et menaces, sur les réseaux sociaux comme dans l’espace public. Une méthode qui rappelle celles des libelles, ces écrits calomnieux très en vogue à la Révolution française. Entretien avec l’historien Emmanuel de Waresquiel.
Le petit-neveu de Brigitte Macron, née Trogneux, a été violemment agressé, lundi 15 mai au soir, par une dizaine d’individus devant sa chocolaterie, à Amiens (Somme). Parmi les huit personnes interpellées à la suite de l’attaque, quatre ont été relâchées et trois autres ont été placés en détention provisoire, ce mercredi 17 mai, après le renvoi, à la demande de leur défense, de l’audience où ils devaient être jugés en comparution immédiate. Le procès de ces trois suspects, âgés de 20 à 34 ans, a été renvoyé au 5 juin. La quatrième personne visée par la procédure, une mineure de 16 ans, sera présentée à un juge pour enfants.
Les circonstances exactes de l’agression de Jean-Baptiste Trogneux, comme les motivations de ses agresseurs, ne sont pas encore connues. Toutefois, cet acte de violence s’inscrit sur une toile de fond faite de menaces, de rumeurs contre la famille de l’épouse du chef de l’État, fleurissant notamment sur les réseaux sociaux. Le mensonge le plus connu du grand public est sans aucun doute celui qui prétendait que Brigitte Macron était en fait un homme, répondant au nom de Jean-Michel Trogneux.
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Amalgames, fausses rumeurs concernant une personne ou une institution politique, violences… Ces caractéristiques ne sont pas sans rappeler la pratique des libelles. Ces écrits lorgnant sur la satire, souvent calomnieux et anonymes, étaient très en vogue durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, notamment pendant la Révolution française. Une question se pose : un parallélisme est-il possible entre les auteurs de ces libelles et la complosphère d’extrême droite « anti-Trogneux » ? Historien spécialiste de la Révolution française, Emmanuel de Waresquiel répond aux questions de Marianne.
Marianne :Pouvez-vous donner une définition de ce que sont les libelles, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ?
Emmanuel de Waresquiel : Il s’agit de nouvelles à la main, de journaux périodiques ou encore de brochures. Le libelle est politique et pamphlétaire, dénonciateur et en général, largement fantasmé. Il constitue une bonne partie de ce que Robert Darnton appelle la littérature clandestine, avant et pendant la révolution. Ils circulent d’abord sous forme manuscrite avant d’être être imprimés pour cause de censure, à l’extérieur du royaume, à Londres, Bruxelles, en Allemagne…
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Ces pamphlets émanent souvent de la cour elle-même. Ils circulent par vague dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, contre Jeanne du Barry puis contre Marie-Antoinette. On y dénonce la féminisation du pouvoir et l’influence politique des femmes. Pour prendre un exemple, les désordres sexuels et financiers de Marie-Antoinette, conduisent naturellement au désordre politique. Louis XVI n’est plus rien, c’est sa femme qui dirige le royaume pour le compte de l’Autriche, son pays d’origine. Les libelles jouent un rôle très important dans la cristallisation de l’opinion publique, ce que le philosophe allemand Jürgen Habermas appelle « l’espace public du politique ». On les retrouve multipliés par dix à partir de 1789. C’est par eux que circule la peur du complot aristocratique qui conduira à la « grande peur » de l’été 1789. Le thème du complot qui réapparaît sans cesse sous des formes diverses (les suspects, les ennemis de la République) est littéralement le combustible de la Révolution française et en explique en grande partie la radicalisation de 1789 à la Terreur [1793-1794].
Pouvons-nous établir un parallèle entre ces libelles du XVIIIe siècle, et les théories conspirationnistes autour de la famille de l’épouse du président de la République ?
Les ingrédients sont toujours les mêmes. On mélange habilement le vrai au faux et on fait passer des faits supposés pour des vérités. En réalité, cette littérature pamphlétaire fonctionne un peu comme aujourd’hui. Toutefois, je ne me risquerai pas à des comparaisons trop hâtives. Les contenus se ressemblent – des fantasmes et des rumeurs – mais les modes de diffusion sont très différents. Ces brochures, diffusées en France par le relais des arrière-boutiques de libraires et par colportage, dépassent rarement les 10 000 exemplaires, pour 25 millions d’habitants à la Révolution – dont la moitié ne savait ni lire ni écrire.
Lus dans les cabarets, dans les cafés, parfois affichés dans les rues, leur influence n’en est pas moins grande. Ce sont eux qui font de Louis XV une sorte de sultan lubrique et inconstant, ou de Louis XVI un roi inexistant et indécis. Il n’empêche, la puissance d’impact des réseaux contemporains est infiniment plus grande que celle de cette littérature clandestine du XVIIIe siècle. Les intentions sont également différentes comme le sont les contextes. Au XVIIIe on visait surtout à la dégradation et à la désacralisation de la figure d’incarnation du roi, de l’absolutisme royal. Aujourd’hui les réseaux portent plus largement des sujets de société : genre, écologie, etc.
On remarque que le niveau d’adhésion à ces rumeurs, que ce soit au XVIIIe siècle ou en 2023, est très fort.
Jusqu’aux plus cultivés, oui ! Tout l’art de ces libellistes consistait à faire passer des rumeurs pour des vérités. Certains d’entre eux étaient d’ailleurs des écrivains de premier ordre, à commencer par Beaumarchais par exemple. Bref, ils écrivaient mieux quand on les compare à ce qu’on lit aujourd’hui, parfois avec plus d’intelligence, c’est une litote ! Il n’empêche qu’aujourd’hui, le niveau d’adhésion aux délires complotistes est assez sidérant. Les Français sont enclins aux fantasmes et aux rêves, n’en déplaise à Descartes !
Une théorie conspirationniste est devenue virale en 2021 sur les réseaux sociaux avec le hashtag « Jean-Michel Trogneux » diffusant l’idée que Brigitte Macron serait un homme. Pourquoi cette référence à la sexualité est-elle aussi courante, aussi bien dans les libelles que sur les réseaux ?
L’une des accusations principales portées à Jeanne du Barry, la dernière maîtresse de Louis XV, était son androgynie. La littérature clandestine passait beaucoup par la pornographie, jusqu’à Marie-Antoinette, à travers l’écrit comme l’image. Ces rumeurs-là ne sont pas nouvelles. Le fantasme sexuel est bien le plus puissant qui ait jamais existé sur Terre. Un formidable dérivatif aux frustrations.
Vous semble-t-il pertinent de lier ces rumeurs à un passage à l’acte, au XVIIIe siècle comme en 2023 ?
En effet, la circulation et la diffusion des pamphlets et libelles peut conduire à la violence, cela a d’ailleurs été le cas en 1789. L’auto-persuasion et l’enfermement dans un univers particulier conduit naturellement à la violence. La littérature pamphlétaire est, en ce sens, une littérature de l’enfermement mental dans un univers décalé par rapport à la réalité. Il me semble que les réseaux sociaux sont tout autant des vecteurs d’enfermement et de tribalisation… Cependant, dans le cas de M. Trogneux, il s’agit de violence gratuite : on s’en prend aux proches de celui qui incarne l’exécutif.
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Mais cela n’a pas grand-chose à voir avec les tentatives d’assassinat de Marie-Antoinette. Nous ne sommes pas en révolution, mais dans une situation de profonde dégradation du tissu social et de montée de la violence qui reste encore assez modeste par rapport à ce qu’elle a pu être à certaines périodes de notre histoire. La violence actuelle est toute relative au regard du passé. Après tout, on coupe la tête de Louis XVI en 1793. Napoléon Ier, Charles X, Louis-Philippe et Napoléon III sont morts en exil… Nous sommes les champions du monde de la violence politique. La Révolution, c’est la guerre civile, et avec elle des dizaines de milliers de morts…
- Par Chloé Sémat
Source : Marianne
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