« Il faut renverser le principe de légitimité : ce n’est pas aux nationalistes de se justifier d’exister, c’est à ceux qui travaillent à la déconstruction du peuple québécois de s’expliquer, car c’est leur projet politique qui manque de noblesse »
Frédéric Bastien, qui vient de nous quitter, avait mené sa campagne au leadership au PQ, en 2020, sous le signe du «nationalisme décomplexé». J’aimerais revenir brièvement sur cette formule qui pourrait nous inspirer dans les années à venir.
Si Bastien plaidait pour un nationalisme décomplexé, c’est qu’il jugeait, avec raison, que le nationalisme québécois a été trop longtemps complexé, et qu’ainsi, il s’autoparalysait.
Notre nationalisme fut d’abord complexé parce qu’il s’est constitué dans un contexte de résistance à la domination, après la Conquête, d’abord, mais surtout après l’échec des Rébellions de 1837-1838. C’était, et c’est demeuré, le nationalisme d’un peuple obligé de justifier son existence, alors que le conquérant le traitait comme un résidu historique, appelé à se faire balayer par les grands vents du progrès et de la modernité. Il suffit de relire François-Xavier Garneau pour s’en convaincre.
Histoire
Notre nationalisme fut complexé aussi parce que comme tous les peuples minoritaires, le peuple québécois a dû développer une culture politique qui fait du compromis une fin en soi. Devant le dominant, qui toujours peut mater le dominé, il faut ruser. Il faut donner l’impression de ne pas être excessif. Il faut envoyer de temps en temps des signes de soumission pour avoir un peu de tranquillité. Toute volonté d’affirmation de soi est présentée comme une manifestation de radicalisme, d’extrémisme. Notre psychologie collective est encore marquée par cette expérience intime de la domination. Je souligne, car il vaut la peine de le noter, que le nationalisme irlandais, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, était traversé par la même tentation, commandé par le même réflexe.
Il l’est aussi parce que notre époque est profondément hostile aux nations, ou, si on préfère, aux peuples historiques, dont l’affirmation la plus minimale est assimilée à une forme de suprémacisme ethnique. La simple affirmation de l’identité d’un peuple est diabolisée au nom de la religion diversitaire. Le politiquement correct tue la démocratie comme il tue l’identité des peuples. Dès lors, si un peuple cherche à se constituer en État indépendant, pour advenir à la pleine existence politique, il est accusé d’entraver la marche de l’histoire, censée rassembler l’humanité sous un seul visage.
On comprend dès lors que c’est tout un dispositif inhibiteur qui pèse sur le nationalisme en général, et sur le nationalisme québécois, en particulier.
Et une chose est certaine: le peuple québécois ne pourra jamais accéder à l’indépendance s’il tombe dans le piège de la fausse normalisation, s’il cherche à plaire à ses adversaires. Ce piège, je le définirai ainsi: un mouvement politique, pour être accepté, ne cesse de donner des gages à ceux qui le combattent, et plus encore, au régime qu’il veut combattre, jusqu’à se neutraliser, jusqu’à se condamner à l’insignifiance.
Il faut renverser le principe de légitimité: ce n’est pas aux nationalistes de se justifier d’exister, c’est à ceux qui travaillent à la déconstruction du peuple québécois de s’expliquer, car c’est leur projet politique qui manque de noblesse. La légitimité fondamentale, au Québec, est indissociable du droit qu’a notre peuple de poursuivre son aventure historique.
Contestation
J’ajoute que dans notre époque, qui est traversée par un vent de révolte contre le mondialisme et l’idéologie diversitaire, le nationalisme a tout intérêt, stratégiquement, à relayer le désir d’enracinement des peuples, et à s’éloigner de la logique technocratique qui a tendance aussi à le neutraliser.
Et dans le contexte québécois, celui d’un peuple qui, au terme du présent siècle, pourrait bien disparaître, notre nationalisme doit s’alimenter de notre instinct de survie, de notre profond désir de vivre, et pour cela, doit se décomplexer, c’est-à-dire s’affirmer sans gêne, pour reprendre la formule de Frédéric Bastien.
Source: Lire l'article complet de Vigile.Québec