‘Ukrisis’ et la nécessité du complotisme
• Nombre de partisans de Kiev dans l’“Occident-collectif” sont prisonniers du “déterminisme-narrativiste” et aveuglément soumis à son empire. • Ils sont prisonniers d’un ‘récit’ (une narrative) construit à l’extérieur d’eux-mêmes (exogène) et doivent à toute force la sauvegarder, contre la réalité. • Ils vont donc aller, – nous sommes sur cette voie, – jusqu’à accuser les producteurs de la narrative (“Kiev va balayer Moscou”) de complot parce qu’ils l’abandonnent sous prétexte d’une infériorité ukrainienne et songent à des arrangements. • Ainsi Gary Kasparov désigne-t-il un Sullivan, sinon même un Biden : seriez-vous des “marionnettes de Moscou”, infidèles à Zelenski ? • Il s’agit d’une démonstration extraordinaire de la puissance du système de la communication, qui emprisonne les psychologies vulnérables dans des narrative composées hors d'eux-mêmes, chargées de la puissance d’une sorte de déterminisme darwinien qui s’appliquerait à la psychologie. • Le choc terrible avec la réalité (la vérité-de-situation) est un tremblement du monde semblable à une secousse sismique.
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05 mai 2023 – Andrew Korybko, qui livre une rubrique extraordinairement fournie des événements grands ou dissimulés, au jour le jour, dans sa lettre d’information, s’arrête le 3 mai 2023 à un tweet désolé et furieux du grand champion d’échec, Russe-Soviétique devenu Russe-antipoutinien. Korybko désigne la dynamique de ce que nous identifions comme le déterminisme-narrativiste, sous la dénomination pathologique de “dissonance cognitive” et la tient désormais comme typique « du partisan standard de Kiev » placé devant la possibilité, voire la probabilité d’une douloureuse vérité-de-situation.
Korybko relève que divers commentaires et appréciations ont marqué, pour Kasparov, une nette inflexion de ce qu’il (Kasparov) jugeait être un soutien occidental sans faille. Korybko signale qu’on relève de ces faiblesses, non seulement chez les américanistes qui sont maîtres des sinuosités tout en engageant les autres à s’engager à fond, mais également chez les Polonais ces derniers jours (aussi bien, l’un après l’autre, chez le chef d’état-major polonais que chez le vice Premier ministre).
Korybko écrit donc, à propos de Kasparov :
« Le champion d'échecs russe et actuel provocateur anti-Kremlin basé aux États-Unis, Garry Kasparov, s'est effondré sur Twitter en raison de la dissonance cognitive qu'il éprouve après avoir réalisé que le dilemme “course à la logistique” pour une “guerre d’usure” avec la Russie que le chef de l'OTAN a lui-même identifiée est bien réelle. Stoltenberg a déclaré cet état de fait à la mi-février, mais les personnalités pro-Kiev sur les médias sociaux l’ont ignoré à l’époque, car elles ne pouvaient pas accepter l’idée que la Russie puisse tenir, sinon dépasser le rythme militaire de l’ensemble de l'OTAN.
» C’est désormais indéniable, après que les Ukrainiens eux-mêmes se sont rendus sur Twitter ces dernières semaines pour se plaindre de ne pas recevoir suffisamment ce dont ils ont besoin, ce qui fait écho aux affirmations de leurs responsables. Les médias occidentaux, comme le Washington Post, ont déjà informé leur public de la piètre situation des forces de Kiev, ce qui a choqué les partisans de ce camp, d'autant plus qu'il a reçu plus de 150 milliards de dollars d'aide multidimensionnelle au cours des 14 derniers mois et qu’il est toujours à court de munitions. »
Kasparov s’est fendu de cinq tweets pour exprimer son désarroi et sa colère, et lancer ses premières accusations : veut-on vraiment jouer avec le sort de l’Ukraine pour des préoccupations électorales des présidentielles US ? Sullivan et les autres, et le directeur de la CIA, et même Biden, ne sont-ils pas des hommes de paille, des marionnettes de son, des agents-dormants, des sous-marins réactivés de Poutine ? Certains soupçonneront là-dedans une certaine tendance au “complotisme” qui est une catastrophique et insupportable tournure antiSystème du caractère, jusqu’à l’obsession subversive, – mais nous serons moins sévères d’une certaine façon avec notre déterminisme-narrativiste… Enfin, lisez plutôt ce que nous confie Kasparov :
« La conspiration est peut-être dans l’ADN de mon origine soviétique, mais les histoires qui sortent sur le blocage et le ralentissement des armes dont l'Ukraine a besoin pour gagner demandent une explication. L'équipe Biden espère-t-elle repousser la victoire de l'Ukraine jusqu'à l'année électorale 2024 ?
» Je suis de plus en plus à court d'explications. Même la lâcheté et le cynisme typiques de fonctionnaires comme Sullivan [président du National Security Council] et Burns [directeur de la CIA], sur lesquels Poutine s'appuie depuis si longtemps, auraient déjà dû être cancellés et annulés par les avantages évidents d'une victoire ukrainienne. Et pourtant.
» Les analystes et les militaires américains ont clairement indiqué depuis un an que l'Ukraine pouvait gagner, que c'était nécessaire et qu'il s'agissait d'un impératif de sécurité vital pour les États-Unis. Les bluffs de Poutine ont été annulés, une douzaine de fausses lignes rouges ont été effacées. Et pourtant, toujours pas de F-16 ni d'ATACM.
» J'espère que la forme la plus basse de calcul politique, le calendrier électoral, ne sacrifie pas des vies ukrainiennes à l'État terroriste russe. Les retards inutiles ont déjà coûté très cher au courage ukrainien.
» Une fois de plus, je demande à l'administration Biden et à Biden lui-même de déclarer clairement que l’objectif des États-Unis est la victoire totale de l’Ukraine. Et de le soutenir en fournissant ce qui est nécessaire maintenant. Fini l'auto-dissuasion et les retards inventés. Les armes sont là et des innocents meurent. »
Kasparov est ici choisi comme exemple standard du “croyant” dans la supériorité morale et la victoire inéluctable de l’Ukraine. (Korybko écrit de ces pro-Kiev zélés et zélotes : « Leur croyance en la “victoire inévitable” de Kiev est pratiquement une “croyance religieuse” et fait donc partie intégrante de leur identité. ») Kasparov rejette absolument l’idée de la crise militaire et industrielle de l’Occident que la guerre met en évidence et y voit une construction de ces “complotistes” qu’on trouverait paradoxalement et dans la plus impeccable ironie chez les plus zélés des neocon de l’administration Biden (Sullivan et Burns, voire Biden himself), tout comme chez les Polonais.
Korybko en tire donc l’hypothèse complotiste dans toute son opérationnalité, allant jusqu’à la comparer à celle des partisans les plus extrémistes de Trump, – d’un côté les “suprémacistes déconstructurateurs” (wokenistes), de l’autre les “suprémacistes blancs” ; – et l’on dira alors que les “comploteurs” et leurs accusateurs forment une élipse idéologico-pathologique parfaite :
« Continuant à s'accrocher au faux récit de la “victoire inévitable” de Kiev face aux faits susmentionnés qui prouvent qu'une telle issue ne peut être tenue pour acquise, les partisans de ce camp ont toutes les chances de se radicaliser, un peu comme QAnon a radicalisé certains partisans de Trump. Si la contre-offensive échoue et qu'un cessez-le-feu s'ensuit, ils seront enclins à concocter une théorie du complot du type “coup de poignard dans le dos” pour expliquer ce scénario, ce qui est exactement ce que Kasparov fait de manière préventive dans sa dernière diatribe sur Twitter. »
Échec et mat
Nous prenons cet exemple très intéressant de Kasparov, effectivement personnalité-type, ou standard, de l’opposition à Poutine et du soutien au Zelenskistan ukrainien, pour mieux examiner les spécificités de son comportement. A partir de là, on obtient une hypothèse intéressante sur l’évolution de cette population, souvent des élitesSystème et la partie ad hoc, – parfois considérable, parfois plus restreinte selon les nationalités et la géographie, – du troupeau suiviste. Comme nous l’avons écrit plus haut :
« Korybko désigne la dynamique de ce que nous identifions comme le déterminisme-narrativiste, sous la dénomination pathologique de ‘dissonance cognitive’ et la tient désormais comme typique “du partisan standard de Kiev” »
Il y a une grande différence entre le diagnostic de Korybko et la nôtre. La “dissonance cognitive” est une déformation de la psychologie sociale qui répond à des spécificités endogènes, propres à la psychologie affectée, c’est-à-dire causée par elle. La définition-Wiki le précise :
« En psychologie sociale, la dissonance cognitive est la tension interne propre au système de pensées, croyances, émotions et attitudes d'une personne lorsque plusieurs d'entre elles entrent en contradiction les unes avec les autres. Le terme désigne également la tension qu'une personne ressent lorsqu'un comportement entre en contradiction avec ses idées ou croyances… »
Comme on le comprend bien, il s’agit d’un processus pathologique de la psychologie, lorsque celle-ci, influencée par la pensée qu’elle nourrit par ailleurs, entre en conflit avec des facteurs extérieurs. D’une certaine façon, on peut plaider que l’individu avec sa pathologie continue à être responsable de lui-même, ce qui est paradoxalement conserver sa liberté (disons “liberté d’être fou”). Nous sommes effectivement dans un cas parfaitement endogène.
Au contraire, notre concept dit du “déterminisme-narrativiste”, s’il aboutit à imposer un comportement d’apparente “dissonance cognitive”, le fait à partir d’interventions complètement exogènes. Le processus disons “technique” du déterminisme-narrativiste est évidemment expliqué en détails au début de l’article de la rubrique ‘Gossaire.dde’ sur le concept. On remarque que la ‘narrative’ qui est citée comme cause première est développée à l’extérieur de la psychologie de chacun, et c’est d’elle que dépend tout le processus.
« L’expression “déterminisme-narrativiste” est formée à partir du mot anglais ‘narrative’ que nous employons très souvent, qui est présenté par ailleurs dans sa fonction courante dans le ‘Glossaire.dde’ du 27 octobre 2012. Nous choisissons de former un néologisme pour le français, en gardant comme racine le mot anglais de narrative qui exprime fortement, phonétiquement et symboliquement, et d’une façon dynamique, l’action qu’il décrit : la narration d’une pseudo-réalité constituée de toutes pièces, comme l’on “raconte une histoire”, comme l’on narre une fable ou un “conte de fée”, avec des règles, des références, des concepts spécialement créés pour la cause et selon les avatars de la vérité de situation qu’il s’agit d’absorber et d’interpréter, ou bien d’ignorer lorsque ces avatars ne peuvent être digérés et transmutés. D’autre part, il s’agit effectivement d’un mot anglo-saxon, et cela nous semble très approprié pour désigner une technique, un état d’esprit, une démarche intellectuelle, etc., qui marquent constamment l’esprit anglo-saxon. Cet état de l’esprit est arrivé aujourd’hui [en 2014-2015, au moment de la crise en Ukraine] à un paroxysme qui interdit tout compromis avec le réel, qui écarte avec mépris toute allusion à une vérité de situation.
» Le mot narrative nous donne donc la famille de néologismes “narrativisme” et “narrativiste”, que nous privilégions pour la détacher en un concept spécifique et extraordinaire des autres concepts qui pourraient satisfaire un jugement rapide, et qui renvoient à d’autres mots totalement insuffisants et inappropriés pour notre propos (“propagande ”, “virtualisme”, “mensonges”, etc.). L’expression “déterminisme-narrativiste” (avec un tiret) exprime la dynamique d’une situation créée par le narrativisme, cette dynamique étant développée selon une logique interne immuable qui est la croyance aveugle, quasiment principielle dans la narrative, témoignant effectivement d’un effet de “déterminisme” par référence à une sorte de “principe de causalité” déterminé pour la circonstance. (“Le déterminisme est une notion philosophique selon laquelle chaque événement est déterminé par un principe de causalité”). »
Le seul mot qui manquerait à cette définition, que nous n’employions guère à l’époque où ce texte fut écrit (26 février 2015), et que nous utilisons beaucoup aujourd’hui, est bien entendu le mot “simulacre”. Mais il n’apporte rien à l’action, simplement il décrit beaucoup mieux dans l’intégration qu’il implique le résultat de cette action, toujours d’un point de vue exogène.
Ce qui autorise de créer un nouveau concept, qui est en essence quelque chose de tout à fait différent de tous les processus d’influence et de propagande qui ont précédé, c’est effectivement ce qui s’est passé en Ukraine dès 2014 du point de vue du système de la communication, dans une crise où toutes les conditions propices à une certaine perfection crisique étaient réunies. Nous avons déjà défini à plusieurs reprises ce que nous entendions par “système de la communication” (qui « ne fait pas que transmettre, [qui] transmute ce qu’il transmet… »). Nous sommes revenu sur la question le 11 avril 2022 à propos d’‘Ukrisis’, en rappelant la définition du système de la communication :
« …Le système de la communication [ …] ne fait pas que transmettre, il transmute ce qu’il transmet […], il transmute les informations en [“événements”] en même temps qu’il les transmet, par la façon qu’il les transmet, par la dynamique qu’il y met, par la forme même qu’il donne au tout.
» ”[C]ette action [n’est pas] simplement mécanique et dynamique. … [Chargée de sens, elle] répond à un sens fondamental, dont l’inspiration échappe à tout contrôle humain. [On parle bien entendu] de l’essence même de cette forme absolument inédite d’un système agissant directement sur la manufacture de la métahistoire en ignorant superbement, comme l’on méprise, l’histoire événementielle à laquelle nous sommes habitués et dont le Système a si habilement abusé.” »
L’Ukraine en 2014, poursuivie jusqu’en 2022 avec la violence massive et écrasante de la guerre et qui se poursuit, représente la matrice de crise la plus parfaite possible, celle qui ouvre la porte de la GrandeCrise. Elle atteint cette situation de “déterminisme-narrativiste” où une narrative extérieure (exogène) atteint la perfection du simulacre grâce à la puissance et à l’homogénéité de tous les acteurs du système de la communication et pénètre donc la plupart des psychologies fragiles et vulnérables, qui le sont par manque de culture et d’intuition, et impose effectivement de l’extérieur ce qui paraît être une “dissonance cognitive”. Cette pathologie exogène, qu’on pourrait, – qu’on devrait absolument apparenter à une sorte de virus puisque c’est la mode, – est elle-même d’une puissance extrême, jusqu’à faire paraître le simulacre comme une création parfaite de la raison.
Tous les moyens de la normalité sont réunis pour convaincre l’esprit de l’individu touché qu’il est parfaitement normal et rationnel, d’autant que le système de la communication (notamment la presseSystème, avec la terreur cognitive qu’il diffuse dans toutes les formes de pouvoir) continue à l’alimenter et donc à renforcer ce déterminisme implacable du simulacre installé par la narrative. D’où cette tendance, comme le montre le cas Kasparov à entrer dans cette voie de la dénonciation du complotisme, même chez ses alliés lorsqu’il croit les sentir fléchir. Tout ce qu’il croit percevoir de susceptible de contrarier sa certitude rationnelle devient un complot qu’il importe de dénoncer ; un complot attentatoire à ce déterminisme quasiment religieux qui lui est imposé
On décrit là une situation (la crise ‘Ukrisis’) d’une puissance inouïe en pleine évolution, qui se heurte avec de plus en plus de violence à la réalité (la vérité-de-situation) en plein développement. Nous sommes d’ores et déjà entrés dans le stade du chaos où les certitudes du simulacre se heurtent à la puissance de la vérité-de-situation dans sa dynamique d’affirmation triomphante. Les divers Kasparov vont connaître des situations extraordinairement complexes, effrayantes et cauchemardesques. Il est évident que ce chaos sera secoué par des folies résultant de ces pseudo-pathologies exogènes qu’il s’agira pour les victimes de défendre de toutes leurs forces, – le joueur d’échec risquant ainsi de rencontrer des situations de mat qu’il n’imaginait pas…
… Ce qu’il de souligner importe dans cette folle situation, c’est le déterminisme extérieur (exogène) où l’être contaminé est emporté par une force darwiniste évidemment extérieure à lui. Pour lui, la folie véritable, ou “dissonance cognitive” la juste-nommée dans ce cas, serait presque une libération paradoxale, – par enfermement, – d’une psychologie apparemment libre et en vérité complètement prisonnière d’elle-même.
Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org