La secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire s’explique sur sa présence dans le magazine légendaire de Hugh Hefner et sur le fonds Marianne dans un entretien accordé au mensuel « Causeur » à paraître le 3 mai. Et reconnaît que notre journal pose des questions « légitimes » auxquelles elle s’est pourtant refusée de répondre !
Marlène Schiappa partout. Prise d’une frénésie médiatique. Après avoir suscité la polémique et même des remous entre ministres pour avoir posé dans Playboy, en plein mouvement social et en pleine polémique autour du fonds Marianne, on pensait la secrétaire d’État chargée de l’Économie sociale et solidaire astreinte à une longue cure de silence. Mais la voilà sur Public Sénat, face aux caméras de C à vous sur France 5, au micro de RTL et maintenant, selon nos informations, jusque dans les colonnes de Causeuren kiosques ce mercredi 3 mai ! Et en couverture s’il vous plaît, sous le titre « Schiappa la chipie. Après Playboy elle répond aux puritains » !
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Bien sûr, certains ne manqueront de lui reprocher de s’exprimer dans ce mensuel dont la rédaction, à la Montaigne, n’a qu’une passion : « Frotter et limer sa cervelle contre celle d’autrui ». Quitte, parfois, par cette friction, à enflammer le débat. Schiappa ne le sait que trop bien. Elle rappelle dans l’entretien à paraître qu’elle a déjà répondu par le passé aux questions du journal dirigé par Élisabeth Lévy : « Après ma dernière interview à Causeur le titre « J’adore les hommes » m’avait valu les foudres de certaines personnes qui pensent que les hommes sont nos ennemis. »
Libérée, délivrée !
Oui, mais sachez-le, Marlène Schiappa est libre. Libre même si, confie-t-elle, Élisabeth Borne lui a dit qu’aller poser dans le magazine légendaire de Hugh Hefner, « ce n’était pas approprié dans une période de contestation sociale ». Mais ne l’imaginez pas pour autant se faire lourder : « Pour paraphraser Dalida, ça fait bientôt six ans qu’on dit que je ne passerai pas le printemps. […] C’est mon deuxième quinquennat, mon troisième ministère. Et depuis six ans, pas un mois ne s’est passé sans qu’un média prédise ma perte : Schiappa arrête la politique, Schiappa va se faire virer, Schiappa sur la sellette, Schiappa dans la tourmente. »
Pour preuve de sa grande liberté, Schiappa avance qu’elle a « toujours parlé à tout le monde » : « Je suis allée à la convention annuelle de Valeurs actuelles aux universités d’été de La France insoumise, ça a toujours été ma ligne et je continuerai. » La voilà donc dans les pages de Causeur évoquant longuement sa présence « en robe », tient-elle à préciser, dans un numéro de Playboy qui « a eu un énorme succès » : « Les ventes ont explosé. Bien sûr, l’intelligentsia s’est offusquée mais depuis 2017, elle s’offusque dès que je bouge une oreille. »
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Mais il y a mieux. En fin d’entretien, elle n’échappe pas à quelques questions sur le fonds Marianne qu’elle avait lancé en avril 2021 et qui, depuis les révélations de notre journal et de « L’Œil du 20 heures » de France 2, puis de Mediapart, suscite des interrogations. C’est peu dire. Des investigations de l’Inspection générale de l’administration (IGA) sont en cours et des signalements sont maintenant entre les mains du Parquet national financier.
« Légitimes », vous avez dit « légitimes » ?
Dans cette partie de l’entretien, retenons surtout ce passage savoureux. Alors qu’elle s’enflamme sur cette affaire supposément « montée en épingle » et qui représente, dit-elle, « du pain bénit pour tous ceux qui sont contre ma ligne sur la laïcité », nos confrères de Causeur la relancent judicieusement de la sorte : « Vous ne pouvez pas accuser nos amis de Marianne de mener un combat contre la laïcité. » Réponse de Marlène Schiappa que l’on a d’ores et déjà placardée sur les murs de la rédaction : « Je ne parle pas du tout de Marianne qui pose des questions légitimes sur l’utilisation des fonds par une des associations en divulguant des documents que je n’ai jamais eus en ma possession. »
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On a bien lu ? « Marianne pose des questions légitimes » ? Mais alors pourquoi avoir refusé de nous répondre jusqu’à présent ? Peut-être existerait-il sur Terre deux Marlène Schiappa : celle qui dit avoir « toujours parlé à tout le monde », de Valeurs actuelles jusqu’à la France insoumise, et celle qui se refuse à évoquer avec nous un fonds lancé par ses soins, doté de 2 millions d’euros dont la répartition entre associations s’est faite dans la plus grande des opacités ?
Puisque Marlène Schiappa juge nos « questions légitimes », nous en listons quelques-unes ici. Nous sommes preneurs des réponses. À défaut, les confrères peuvent toujours s’en saisir et inviter Marlène Schiappa. Apparemment, elle a « toujours parlé à tout le monde »…
1. Vous déclarez à nos confrères de Causeur qu’il n’y a pas « de copinage » dans cette histoire, « en particulier avec Mohamed Sifaoui », ce journaliste spécialiste de l’islamisme, membre de l’association USEPPM (l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire) qui a été lauréate de la plus grosse somme du fonds Marianne (355 000 euros, même si au final elle n’aura perçu « que » 266 250 euros). Vous ajoutez : « Monsieur Sifaoui a lui-même reconnu dans les médias qu’on se connaissait à peine. » Certes. Mais, dans un communiqué, le même Sifaoui affirme être « quelque peu scandalisé en constatant que [vous participez] gentiment au lynchage en feignant de ne pas [le] connaître ni de connaître l’association ». Or, il ajoute avoir été « encouragé par des représentants des pouvoirs publics, notamment par les membres [de votre] cabinet et par [vous]-même » à mener le projet iLaïc financé par ce fonds via l’USEPPM. Est-ce exact ?
2. Dans ce cadre-là, Mohamed Sifaoui explique avoir « été reçu plusieurs fois dès la fin du mois de mars 2021 ». Sachant que l’appel à projets du fonds Marianne était lancé officiellement le 20 avril 2021, soit un mois plus tard, doit-on considérer que cet appel à projets n’en avait peut-être que le nom, que la compétition était quelque peu biaisée, que le projet iLaïc porté par Mohamed Sifaoui via l’USEPPM était certain de se voir subventionné ? Était-ce le cas pour d’autres associations ?
3. Vous précisez que la deuxième association bénéficiaire du fonds, Reconstruire le commun, dont le nom a été dévoilé par Mediapart, ne serait pas pro-Macron comme les médias ont pu le dire. Dans ses productions, ajoutez-vous, cette association « critique un peu Anne Hidalgo, mais surtout Olivier Véran, Emmanuel Macron et votre servante ! » C’est juste : les opposants du président n’étaient pas les seuls à être égratignés dans les programmes de Reconstruire le commun et les médias, étrangement, ne l’ont pas vraiment relevé. Néanmoins, l’erreur n’est-elle pas pour l’État d’avoir choisi de financer à un tel niveau (29 250 euros hors fonds Marianne puis 330 000 euros via le fonds Marianne) une association aussi jeune (elle naît fin 2020) et qui n’avait de facto encore rien produit ?
4. « Mon cabinet dîtes-vous, a demandé au CIPDR [l’organisme chargé de la gestion et du suivi du fonds Marianne, N.D.L.R.] de faire des propositions, de ventiler les sommes. » Doit-on comprendre que c’est l’administration qui a décidé de tout ? Doit-on considérer que lors de la réunion du « comité de sélection » du 21 mai 2021 auquel participaient trois membres de votre cabinet dont votre propre directeur de cabinet (une information de Mediapart que nous sommes en mesure de confirmer aujourd’hui), aucun d’entre eux n’a pris de décisions ni même la parole ? Les dix-sept associations financées par le fonds Marianne auraient-elles été sélectionnées seulement par les trois autres personnes apparemment présentes, le secrétaire général du CIPDR, Christian Gravel, et les deux membres de l’administration qui l’accompagnaient ?
5. Vous déclarez enfin à Causeur avoir lancé cet appel à projets « après l’assassinat de Samuel Paty » pour « [réinterroger] les outils de lutte contre les discours de séparatistes ». Vous affirmez avoir alors voulu « que les subventions accordées soient inattaquables et qu’on puisse expliquer sur quelle base on a choisi tel projet et non tel autre ». Louable initiative. Mais dans ce cas, pourquoi avoir choisi de tenir secret et pendant de si longs mois les noms des dix-sept associations retenues et les montants accordés ? Pourquoi avoir choisi de faire disparaître les bénéficiaires du « jaune budgétaire », ce document utile aux citoyens et aux parlementaires pour veiller au bon usage des deniers publics ? S’agissait-il d’une décision de la politique Marlène Schiappa, de l’administration, et notamment du patron du CIPDR Christian Gravel, ou bien d’une décision conjointe ? N’est-ce pas d’abord cette décision, exceptionnelle dans l’histoire du CIPDR, qui a jeté la suspicion sur l’ensemble des associations, y compris celles qui ont œuvré sérieusement, plutôt que les enquêtes journalistiques portant sur le fonds Marianne ?
Source : Marianne
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