La guerre juridique est à la mode : La nouvelle « procédure » géopolitique

La guerre juridique est à la mode : La nouvelle « procédure » géopolitique

Nous voici donc face à une nouvelle campagne de dénigrement (assez ridicule) du président Poutine qui est accusé d’être un « kidnappeur d’enfants » . Cette tactique n’est pas nouvelle. Elle est tirée du vieux cahier de jeu anglo-américain, d’abord mis au point pour servir contre Slobodan Milosevic.


Par Alastair Crooke – Le 25 Mars 2023 – Source Al Mayadeen

On semble toujours revenir à la même question : l’Europe a-t-elle bien réfléchi ? Là encore, la réponse probable est « non » . Il est plus probable que la « gifle » contre le président Poutine ait été perçue plutôt comme une opération intelligente – l’image du mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale délivré à l’encontre de Poutine, avec un fonctionnaire allemand déclarant catégoriquement que l’Allemagne appliquerait le mandat si Poutine se rendait dans ce pays.

Ce « stratagème » pourrait s’avérer aussi contre-productif que la tentative de provoquer l’effondrement de l’économie russe par le biais d’une guerre financière. Il s’agit là d’une autre tentative qui ne fonctionne pas bien ! C’est donc maintenant au tour de la « guerre juridique » contre le président russe, au lieu de la guerre financière.

Bien sûr, le mandat n’aboutira jamais, mais le raisonnement qui le sous-tend est assez clair : les États-Unis ont déjà rejeté avec dédain la médiation du président Xi entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et ont catégoriquement rejeté l’appel antérieur de Xi en faveur d’un cessez-le-feu en Ukraine. La possibilité que Xi propose unilatéralement un « accord » sur l’Ukraine alors qu’il se trouve à Moscou (en l’absence des États-Unis) terrifie une Maison Blanche fragile. Cela ferait passer Biden pour un « faible » .

Il n’est pas certain que Xi ait une telle intention (de s’engager pleinement sur l’Ukraine, pour le moment), mais des déclarations et des accords d’importance mondiale devraient émerger du sommet entre le président Xi et Poutine cette semaine. Et même s’il n’intervient pas sur l’Ukraine, le langage émanant de Pékin – et directement de Xi – est devenu acerbe à l’égard des États-Unis et de leur utilisation abusive de l’Ukraine comme outil d’affaiblissement de la Russie. Une fois de plus, Biden est présenté comme un « faible » , un « perdant » dans le grand jeu de la triangulation entre les États-Unis, la Russie et la Chine.

Même si Xi ne se concentre pas sur la guerre en Ukraine, l’image de la Chine et de la Russie s’unissant pour s’opposer à l’« ordre fondé sur des règles » de Biden suffit à faire grincer des dents à Washington – au moment sensible où Washington espère un dernier coup de dés ukrainien, avec une sorte d’« offensive de printemps » avant qu’il ne devienne trop évident que Kiev a épuisé ses effectifs et ses munitions et que l’équipe Biden soit obligée de « passer à autre chose » .

Nous en sommes donc là : un nouveau jet de « boue » sur le président Poutine désigné (de manière assez ridicule) comme « kidnappeur d’enfants » présumé et inculpé. Cette tactique n’est pas nouvelle. Elle est tirée du vieux cahier de jeu anglo-américain, d’abord affinée pour servir contre Slobodan Milosevic :

(Washington Post, 28 mai 1999) : La Russie s’est engagée à poursuivre ses efforts de médiation entre l’OTAN et le président yougoslave Slobodan Milosevic, mais l’inculpation de ce dernier à la veille de la visite du [médiateur] Tchernomyrdine a été dénoncée par la Russie. Le journal Izvestia a noté qu’ »il est impossible de s’entendre avec un criminel militaire recherché » et a affirmé que l’inculpation annulerait la diplomatie de Tchernomyrdine.

Soyons clairs : le plan de jeu pour la Yougoslavie consistait précisément à faire savoir que Milosevic était « le problème » et qu’une fois qu’il serait parti, un arrangement serait facilement réalisable. Ce n’était pas vrai, bien sûr. La parole n’a pas été tenue. Le fait est que Milosevic est allé à La Haye et que la Yougoslavie a été démembrée.

Naturellement, la Russie n’est pas la Yougoslavie. La Russie était particulièrement faible en 1999. Elle ne l’est plus aujourd’hui. Ni la Russie, ni la Chine, ni les États-Unis (ni l’Ukraine) ne sont membres du statut de Rome qui a institué la CPI (bien que l’Ukraine s’y intéresse). (Par ailleurs, à ce jour, les 44 personnes inculpées par la Cour sont toutes africaines ; la CPI s’est montrée réticente à enquêter sur les États occidentaux).

Personne en Russie ne prend donc cet acte d’accusation au sérieux, y voyant plutôt un signe avant-coureur du désespoir occidental.

Mais la Grande-Bretagne, elle, le prend manifestement au sérieux. C’est elle qui est aux commandes, avec les États-Unis qui, une fois de plus, mènent la danse. Depuis quelques mois, des rumeurs font état de tentatives, l’année dernière, de la part des puissances occidentales, de mettre en place un tribunal spécial des Nations unies pour juger les « crimes de guerre russes » , mais ces efforts n’ont pas abouti, qu’il s’agisse d’un tribunal autonome ou, comme l’ont suggéré des responsables occidentaux, d’un renvoi par l’Assemblée générale à la Cour de La Haye. Il n’y a eu ni soutien, ni consensus sur l’existence d’une base juridique pour une telle action.

Alors, s’il est juridiquement contestable, comment ce mandat d’arrêt a-t-il pu être délivré, compte tenu des doutes généraux exprimés par l’Assemblée générale sur la validité de la délivrance par la CPI d’un mandat à l’encontre d’un chef d’État qui n’est pas membre du statut de Rome ou qui n’accepte pas sa compétence ?

Nous ne pouvons pas le dire avec certitude, mais l’homme qui a rédigé l’ordre d’arrestation est Karim Khan, un éminent avocat britannique, qui avait été nommé par le Royaume-Uni au poste de procureur général. Il est le frère d’Imran Ahmad Khan, un politicien conservateur britannique qui a été reconnu coupable d’actes sexuels sur des enfants l’année dernière.

Voici donc le point essentiel « contre-productif » : après la saisie des actifs russes par l’Occident l’année dernière, et les menaces de saisir tout l’or russe qu’ils trouveraient, de nombreux États non occidentaux ont revu le calcul des risques liés à la conservation de leurs réserves sous la garde de l’Occident. Il s’en est suivi une fuite de l’or et des devises des juridictions occidentales.

L’accusation par la CPI sous un prétexte aussi peu convaincant – en l’absence de toute référence apparente à la Cour de la part d’une autorité compétente – doit exposer de nombreux hommes politiques de haut rang en visite en Europe à un nouveau risque : celui d’une « guerre juridique » utilisée comme un bâton géopolitique contre des gouvernements qui s’opposeraient d’une manière ou d’une autre aux intérêts de l’Occident. Là encore, les États deviendront à juste titre plus prudents quant à toute interaction avec les juridictions occidentales. La guerre juridique est à la mode – regardez ce qui se passe aux États-Unis avec Trump et ses partisans. Attention !

Dans le cas du président Poutine, il ne s’agit pas de « pressions » ou d’intérêts occidentaux, mais d’un changement de régime pur et simple. Le mandat est une menace directe contre un chef d’État. Sa principale conséquence est de saboter le climat de dialogue entre Moscou et Kiev. Zelensky a été mal avisé de faire figurer dès le départ la criminalité de guerre sur la « table » politique.

La loi des conséquences involontaires : la classe dirigeante occidentale s’accroche à la conviction que Poutine peut être évincé (à la Milosevic). Les médias britanniques semblent croire que les oligarques russes (pro-occidentaux) vont renverser Poutine, embarrassés par son inculpation pour « enlèvement d’enfants » . C’est absurde ! Cette initiative n’a fait que renforcer l’estime de Poutine en dehors de l’Occident, mais le sens politique de l’Europe est fortement déconsidéré par son incompréhension totale de la Russie.

Alastair Crooke

Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone

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