par Harrison Stetler
Un point de vue américain sur la crise politique en France.
La plupart des Français s’opposent à l’allongement de l’âge de la retraite, et il n’y avait pas de majorité parlementaire pour ce changement. Alors que la réforme est maintenant passée par l’Assemblée nationale, les opposants mobilisés voient une chance de mettre à bas un gouvernement impopulaire.
Il était le maître à penser de la lutte pour la réforme des retraites en France depuis le début – un rappel que, contre vents et marées, le président Emmanuel Macron avait l’intention de faire ce qu’il voulait.
Jeudi dernier, la Première ministre Élisabeth Borne a annoncé que le gouvernement Macron « engagerait sa responsabilité » (la formulation laconique d’un décret dans l’article 49, section 3 de la Constitution française) pour forcer l’adoption d’une augmentation de l’âge de la retraite de soixante-deux à soixante-quatre ans. Rapidement déposées vendredi, deux motions de censure en réponse – le seul moyen d’annuler un soi-disant 49.3 – ont échouées lors du vote à l’Assemblée nationale le 20 mars, une majorité de députés ayant choisi de soutenir le gouvernement minoritaire de Macron.
Le projet de loi sur les retraites de Macron est maintenant sur le point de devenir loi, sauf si quelques scénarios réussissent, comme un appel au Conseil constitutionnel ou une éventuelle initiative de référendum pour révoquer le décret. La réforme du gouvernement visait officiellement à couvrir un trou budgétaire et à calmer les marchés financiers soi-disant méfiants, comme Macron l’avait prétendu lors de la réunion du cabinet jeudi dernier lorsque la décision de forcer la législation a finalement été prise.
Officieusement, aller jusqu’au bout de la réforme des retraites était devenu une obsession pour le président, qui en est venu à la considérer comme une solution miracle pour réaffirmer son autorité au début de son second mandat. L’ironie est maintenant que Macron a tiré le premier coup de feu dans une crise politique qui l’a laissé de plus en plus isolé.
Le 49.3 est l’un des actes les plus effrontés de privilège exécutif autorisé par la Cinquième République française – le système politique établi par Charles de Gaulle après son retour au pouvoir à la suite d’un putsch de droite en 1958. Alors que lors des élections législatives de juin dernier, les partisans de Macron sont restés le bloc le plus important, ils ont perdu leur majorité de sièges, déjà avant la décision de la semaine dernière sur les pensions, Borne avait utilisé ce pouvoir pour passer outre le parlement dix fois auparavant, sur une série de projets de loi budgétaires.
Mais se rabattre sur le 49,3 pour un sujet sensible comme la réforme des retraites revient à enflammer une poudrière politique. La quête obstinée du président pour imposer sa réforme souhaitée – une réforme rejetée par une alliance des syndicats du pays et dont la justification économique a été critiquée par le propre organe consultatif des retraites de l’État – met dangereusement à rude épreuve les institutions gouvernantes de la France, étonnant l’opposition et même certains des alliés du président.
Volonté du peuple
Court-circuitant le pouvoir parlementaire, le gouvernement Macron fait également fi des souhaits de l’écrasante majorité des Français. Plus des deux tiers de la population rejettent la réforme du gouvernement selon la plupart des sondages. Cette proportion n’a guère bougé tout au long des deux mois d’inscription du projet de loi au rôle législatif, le gouvernement refusant de négocier sur les fondamentaux de son plan : combler un trou budgétaire exclusivement en prolongeant le temps de travail des travailleurs en fin de carrière, pas d’exemptions sérieuses pour les professions les plus exigeantes, ou pour les gens de la classe ouvrière qui entrent sur le marché du travail bien plus tôt que les cols blancs et un refus catégorique de lever des fonds en augmentant les cotisations salariales des riches salariés ou des employeurs.
Des millions de personnes sont descendues dans la rue depuis la mi-janvier, lorsque la législation a été officiellement introduite et placée sur une voie accélérée pour la précipiter vers l’adoption en cinquante jours. Si cela n’a pas suffi à amener le gouvernement à reconsidérer son projet de loi, la vague de grèves et de protestations a au moins poussé Macron dans la position embarrassante de forcer la signature de sa réforme. Cela pourrait finir par se transformer en une victoire à la Pyrrhus pour le président.
Pour l’instant du moins, cette pression montre peu de signes de relâchement. Au cours de cinq nuits de protestation, des manifestations imprévues ont éclaté à travers le pays. À Paris, 292 personnes ont été interpellées dans la seule soirée de jeudi. Lundi soir, après l’échec des votes de défiance, au moins 234 autres personnes ont été arrêtées dans la capitale. Ces chiffres dépassent le nombre d’arrestations lors des précédentes manifestations officielles. Cela indique également une répression plus agressive, les policiers anti-émeute chargeant les manifestants rassemblés sur les places et les pourchassant dans les rues bondées et bordées de cafés.
Une nouvelle journée nationale de grève organisée par l’alliance des syndicats de France est prévue le jeudi 23 mars. Les partis de l’alliance de gauche qui ont mené la lutte parlementaire contre le projet de loi au cours des deux derniers mois appellent à une mobilisation massive. Pendant ce temps, le mouvement d’opposition montre des signes de radicalisation à partir de la base, avec de nombreux membres de secteurs clés de la base syndicale désireux de prendre de l’avance sur leur hiérarchie et des personnes prenant des actions plus aléatoires et non conventionnelles.
La pression qui serait nécessaire pour faire reculer Macron maintenant est immense. Il existe cependant un précédent pour un gouvernement faisant marche arrière après avoir imposé une loi impopulaire via le « 49.3 ». En 2006, le gouvernement du président Jacques Chirac a utilisé ce pouvoir pour promulguer une réforme des contrats pour les travailleurs en début de carrière, avant d’être contraint de battre en retraite face à des manifestations massives.
Il est bien plus probable que Macron s’oriente vers un remaniement de son gouvernement. Mais pour le moment, et malgré les appels de toute l’opposition pour son retrait, Macron semble avoir décidé de maintenir Borne en place. Ils s’attendent à ce que la mobilisation s’affaisse ou se fracture en un noyau radical qui pourrait alimenter les gros titres avec des images de black blocs devenus fous. « Nous avons le droit d’utiliser le mot victoire », a déclaré Borne lors d’une réunion avec des alliés mardi. Pour le président, l’échec des votes de censure représente en soi un succès : « Gagner un vote ne peut être présenté comme une défaite ».
Scissions de droite
« Dans un scrutin où chacun voterait selon sa conscience, permettez-moi de dire que je suis certaine que ces mesures auraient une majorité, et peut-être même une large majorité », a affirmé Borne devant le parlement jeudi dernier en invoquant le 49.3. Ici, elle s’est appuyée sur une citation du premier ministre de 1988-1991, Michel Rocard, qui sous le président socialiste François Mitterrand détient le record d’utilisations du 49.3.
Il y a une part de vérité dans ce que dit Borne. Le projet de loi sur la réforme des retraites du gouvernement est devenu le terrain de tir d’une lutte de pouvoir entre factions au sein des républicains de centre-droit, qui préconisent depuis longtemps de relever l’âge minimum de la retraite. Le groupe du parti au Sénat, où il est la force de contrôle, s’est finalement rangé derrière la législation, un vote que les macronistes tentent de faire passer pour le sceau de la légitimité parlementaire sur le texte.
C’est à l’Assemblée nationale, qui concentre la jeune garde en décroissance du parti, que le parti rechigne. Mais cela ne signifie pas que nous devrions adhérer à la propagande des dissidents parmi les républicains – dont la hiérarchie était en faveur de la législation – sur un conservatisme social compatissant. En fin de compte, la force a laissé Macron prendre la grosse tête pour avoir poursuivi de manière agressive l’une de ses anciennes priorités bien ancrées malgré une vive opposition et dans un contexte économique tendu. Le jeu des républicains du bon flic/mauvais flic s’est poursuivi lundi, avec quarante-deux des députés du parti rejetant la principale motion de censure et dix-neuf votant pour. Le parti étant divisé entre une aile réclamant une coopération plus étroite avec le président, et une autre voyant le salut du parti à se positionner pleinement dans l’opposition,
Officiellement opposé au plan du gouvernement, le rejet de la réforme des retraites par le Rassemblement national d’extrême droite de Le Pen a été rafraîchissant et non moins opportuniste, symptomatique de l’objectif du parti d’unir la base traditionnelle du centre-droit aux électeurs blancs de la classe ouvrière. Avec le 49.3, Macron a donné une nouvelle chance à la force de Marine Le Pen de se positionner en gardienne des normes institutionnelles, qu’elle a saisie en déposant la deuxième motion de censure rejetée lundi. Mais si vous grattez sous la surface, l’extrême droite n’a pas attendu trop discrètement que cette bagarre soit derrière elle, et tente sa chance de forcer l’attention politique pour revenir dans sa zone de confort et hors des rues – aussi loin des travailleurs en grève et mobilisés élèves que possible.
Coup permanent
« Je pense qu’Emmanuel Macron va réussir à faire passer sa réforme », a déclaré début mars au journal Le Monde Sébastien Chenu, député du Rassemblement national et haut responsable du parti. « Hélas, je pense même que le pays s’est résigné à cela ». Quelques jours plus tard, le 7 mars, plus de trois millions de personnes sont descendues dans la rue, selon la Confédération générale du travail (CGT) – 1,3 million, selon le ministère de l’Intérieur. Quoi qu’il en soit, ce fut le record absolu depuis le début du mouvement en janvier.
Au fond, cette pression populaire a été l’élément décisif de cette bataille et a empêché les suffrages de s’aligner à l’Assemblée nationale. Contrairement aux sénateurs, choisis par les élus et donc à l’abri de la pression constituante, les députés à l’Assemblée nationale sont élus au suffrage direct par les électeurs, dont la désapprobation du paquet a empêché les macronistes de risquer un vote direct pour ou contre jeudi dernier. .
Ce qui ressemble à la conclusion amère de la lutte pour la réforme des retraites en France a révélé un système politique qui ploie sous les pouvoirs de la présidence. Recueillant un peu moins de dix millions de voix sur un électorat de quarante-huit millions de personnes au premier tour de la campagne présidentielle du printemps dernier, Macron n’a pas le mandat qu’il revendique. En réalité, il a été reconduit au pouvoir principalement grâce au désir de bloquer l’extrême droite du pouvoir – c’est une question où il y a encore une majorité dans une société qui est par ailleurs profondément divisée. Sur la réforme des retraites, il y a aussi une nette majorité – et elle rejette la tentative de Macron de ronger un système qui garantit une période de temps relativement longue après son temps de travail pour profiter de ce qui reste de sa vie.
Mais une colonne de la classe politique française a eu l’occasion de fouler aux pieds ce vœu et s’en est emparée. C’est le « coup d’État permanent », comme le jeune Mitterrand décrivait l’équilibre de la constitution gaulliste entre les prérogatives de l’exécutif et la représentation populaire. Il n’y a pas besoin de prendre d’assaut le Capitole – juste mettre à bas une clique autoritaire, constitutionnellement armée et encouragée par un président entêté.
source : Jacobin via La Gazette du Citoyen
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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