par Leslie Varenne
Dix jours après l’accord signé à Pékin qui met fin à sept ans de gel des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, il est encore difficile d’en mesurer toutes les conséquences. Il est néanmoins d’ores et déjà certain que c’est un événement majeur qui aura des implications bien au-delà du Moyen-Orient. En quelques mois, la « méthode » chinoise aura réussi là où celle des Américains et des Européens a échoué pendant dix ans avec l’accord sur le nucléaire iranien. Cela augure peut-être une nouvelle ère de la résolution des conflits avec comme mots clés : non-ingérence, respect de la souveraineté et des cultures, prises en compte des intérêts économiques, versus, « nos valeurs », carotte et bâton des sanctions.
Un accord en béton
Alors que sans nul doute, cet accord signe la marginalisation de Washington dans tout le Moyen-Orient, les experts américains ont accueilli la nouvelle de manière étonnament magnanime. « Ce n’est pas un revers pour les États-Unis » ; « Le fait que Téhéran et Riyad aient en quelque sorte décidé d’enterrer la hache de guerre est bon pour tout le monde ». Ils illustrent ainsi la maxime : « Puisque ces mystères nous dépassent, feignons d’en être les organisateurs. »
Dans le New-York Times, Yun Sun, une experte de la Chine au Stimson center, un think tank situé à Washington DC, en minimise néanmoins la portée : « Les divergences entre l’Arabie saoudite et l’Iran sont profondes et sectaires, et il faudra plus qu’une reprise des relations diplomatiques pour rétablir les liens. Le rôle de la Chine dans la conclusion de l’accord n’est peut-être pas aussi déterminant qu’il n’y paraît, étant donné que l’Iran et l’Arabie Saoudite étaient déjà motivés par la conclusion d’un accord. »
Pourtant, cet accord apparaît extrêmement solide et le rôle central de la Chine y est difficilement contestable.
Le roi Salmane vient d’inviter le président iranien à Ryad pour sceller leur alliance. Le communiqué officialisant la reprise des relations a été rendu public à Pékin, le 10 mars, le jour où Xi Jinping a été solennellement investi, après le vote du parlement, pour un troisième mandat. Cette date n’a bien évidemment pas été choisie au hasard. C’est un symbole fort qui montre l’implication personnelle du chef de l’État chinois qui ne peut pas avoir pris le risque de perdre la face en parrainant un pacte boiteux. Par ailleurs, même si des discussions entre les deux parties avaient déjà eu lieu en 2021 et 2022 à Oman et en Irak, la Chine a largement participé à leurs concrétisations. Avec notamment les trois sommets organisés lors de la visite de Xi Jinping à Ryad en décembre 2022 : « Chine/pays du Golfe » « Chine/pays arabes » « Chine/Arabie saoudite » et la visite du président iranien à Pékin en février dernier.
Enfin, outre les clauses premières portant sur la diplomatie, les coopérations économiques et les efforts promouvant la paix dans la région, ce sont les clauses confidentielles de cet accord négociées par les services de renseignements respectifs des deux pays réunis à Pékin qui présentent le plus grand intérêt. Le journal The Cradle citant une source proche des négociateurs en cite quelques-unes :
• L’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran s’engagent à ne se livrer à aucune activité susceptible de déstabiliser l’un ou l’autre État, au niveau sécuritaire, militaire ou médiatique.
• L’Arabie saoudite s’engage à ne pas financer les médias qui cherchent à déstabiliser l’Iran, comme Iran International.
• L’Arabie saoudite s’engage à ne pas financer des organisations désignées comme terroristes par l’Iran, telles que l’Organisation des Moudjahidine du peuple (MEK), des groupes kurdes basés en Irak ou des militants opérant depuis le Pakistan.
• L’Iran s’engage à veiller à ce que ses organisations alliées ne violent pas le territoire saoudien depuis l’intérieur du territoire irakien. Au cours des négociations, il y a eu des discussions sur le ciblage des installations d’Aramco en Arabie saoudite en septembre 2019 et sur la garantie de l’Iran qu’une organisation alliée ne mènerait pas une frappe similaire depuis les terres irakiennes.
• L’Arabie saoudite et l’Iran s’efforceront de déployer tous les efforts possibles pour résoudre les conflits dans la région, en particulier le conflit au Yémen, afin de parvenir à une solution politique garantissant une paix durable dans ce pays.
Il est clair que tout a été minutieusement prévu, cadré, encadré.
Enfin, et c’est sans doute le point le plus important, comme le souligne un contact de l’IVERIS proche du dossier : « Ryad redoutait que Téhéran se dote de l’arme nucléaire, l’Iran a donc obtenu des garanties sécuritaires de la Chine et probablement de la Russie. De toute façon, à partir du moment où l’Iran et l’Arabie saoudite se rassemblent et qu’il y une telle implication chinoise et de tels engagements politique et économique, personne ne peut toucher à l’Iran. » Faut-il en conclure que le dossier nucléaire iranien est clos ? Obtenu de cette manière, sans faire appel à la diplomatie du mégaphone et sans sanction ce serait sans aucun doute un des plus grands revers pour la diplomatie occidentale de ces vingt dernières années et un succès majeur pour la méthode chinoise.
Yémen, Syrie, Liban, les dossiers sur le haut de la pile
Évidemment, personne ne détient de baguette magique et les changements prendront du temps, néanmoins, sur trois dossiers, où les deux parties étaient en conflit par proxys interposés, les effets de cet accord devraient se faire sentir à court et/ou moyen terme.
Au Yémen, les bases d’un plan de paix sont déjà esquissées, mais elles ont été contrecarrées par les États-Unis et les Emiratis, cependant, la trêve décrétée en avril 2022 tient toujours. Le 16 mars dernier, l’envoyé spécial des Nations unies a d’ailleurs évoqué un changement radical et loué les efforts de l’Arabie saoudite et d’Oman. En Syrie, après de nombreuses tractations secrètes, Ryad a ouvert la voie d’une normalisation avec Damas en livrant de l’aide humanitaire après le séisme. Bachar al-Assad a besoin de l’argent saoudien pour reconstruire un pays laminé par 12 ans de guerre et Mohamed Ben Salman ne pourra s’imposer comme le leader régional garant de la sécurité et de la stabilité en faisant l’impasse sur la Syrie. Quant au marigot des politiciens libanais qui ne seront plus tiraillés entre ces deux forces antagonistes, la balle est désormais dans son camp.
Au-delà du Moyen-Orient
Avec cet accord, l’Iran redevient la puissance régionale, clé des échanges entre la péninsule arabique et l’Asie centrale qu’elle a été ; l’Arabie saoudite retrouve sa place de puissance dominante de la région. Comme toujours, lorsqu’une pièce majeure bouge sur un échiquier, elle oblige les autres à se repositionner et les dominos se rangent les uns après les autres. Tous ceux qui avaient un temps rêvé de devenir une puissance régionale doivent revoir leurs ambitions à la baisse. C’est le cas de la Turquie fortement fragilisée par le tremblement de terre, par sa situation économique, par l’élection présidentielle qui doit se tenir en mai 2023 et par sa position ambiguë au sein de l’OTAN avec la guerre en Ukraine. Son plus proche allié, le Qatar sera aussi impacté par cette perte d’influence. Recep Tayyip Erdogan qui sent venir le vent du boulet a déjà dû faire quelques concessions, en ouvrant les barrages sur l’Euphrate et en redonnant de l’eau à la Syrie et à l’Irak. Il a également amorcé une réconciliation avec l’Égypte avec qui il est en froid depuis dix ans. Quant aux Émirats arabes unis, ils ne pourront plus s’opposer à Ryad comme ils l’ont fait dernièrement au Yémen. Si Mohamed ben Zayed avait pris l’ascendant sur le jeune Mohamed ben Salmane, cette époque est désormais révolue, selon un fin connaisseur des royautés du Golfe : « MBZ ne fait pas le poids, Cette percée de MBS dépasse son influence. »
Tous les pays précités sont des acteurs du chaos libyen et jouent des partitions différentes. Puisque l’heure est à la réconciliation et la mode à la non-ingérence sont-ils prêts à s’entendre pour permettre aux Libyens de choisir leur destin ? Sont-ils prêts à retirer leurs mercenaires et à concocter un véritable plan de paix, qui par capillarité pourrait apaiser quelque peu la situation sahélienne ?
Difficile de répondre à cette question à l’heure actuelle. Cependant, si nul ne peut prédire jusqu’où s’étendront les bouleversements en cours au Moyen-Orient après l’accord saoudo-iranien, il y a fort à parier qu’ils auront à terme des conséquences dans tout le monde arabo-musulman. L’Algérie qui doit intégrer les BRICS avant la fin 2023 aura la possibilité de jouer des cartes en faveur du règlement des conflits en Libye comme au Sahel.
Les grands perdants de cette histoire sont Israël et les États-Unis et ceux qui n’ont pas su anticiper les nouvelles dynamiques : le Maroc et l’Europe. Quant à la France, elle a perdu son influence au Moyen-Orient et se voit de plus en plus contestée sur le Continent africain. La diplomatie française naguère flamboyante est devenue atone ou pire… Pendant qu’à l’ombre de la Cité interdite, iraniens et saoudiens jouaient un coup de maître sur l’échiquier mondial, Emmanuel Macron s’amusait en République démocratique du Congo, laissant ainsi à la postérité les photos d’un président français festoyant dans les bas-fonds de la capitale d’un pays en guerre…
source : Iveris
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