Les « woke » sont peu nombreux. Même si je côtoie beaucoup de monde, je n’en connais pas personnellement. C’est vrai que je demeure en campagne, au milieu d’une population simple, au milieu d’une population qui a une culture démocratique.
Pourtant, je me tiens bien informé et je constate que le phénomène « woke » en mène large. Des gens mis à la porte des universités, des conférences annulées, des prises de position sociales qui me semblent globales et aliénantes et surtout des médias qui versent dans une autocritique que j’oserais qualifier de « systématique ». Personne n’ose plus se mouiller, on évite les mots et les sujets devenus corrosifs, on a retrouvé nos bons vieux sacrilèges.
Je sens le besoin d’écrire ce message, car je suis assez vieux pour avoir vécu une période qui ressemble étrangement à la nôtre. Celle de l’envahissement des ML, des marxistes-léninistes. Il y a près de cinquante ans de cela, mais notre connaissance de l’histoire étant ce qu’elle est, peu de gens s’en souviennent assez pour faire le lien.
C’était vers la fin de la Révolution tranquille, entre 1975 et 1980. Le Québec était un peu sorti de l’empoigne de l’Église et les citoyens avaient commencé à s’emparer de leur droit de parole endormi devant la chaire.
Les comités de citoyens apparaissaient partout. Les comptoirs alimentaires, les garderies populaires se multipliaient. Le mouvement était assez fort pour que, dans mon quartier, à cause de la vigueur de ce courant, j’avais été élu commissaire à la CECM, la Commission scolaire de Montréal. Le FRAP était aussi sur le point d’entrer à la mairie de Montréal.
Les ML constituaient une toute petite minorité. Surtout des jeunes des CÉGEPS et des universités. Ils étaient porteurs d’idées généreuses avec lesquelles nous étions d’accord : lutte contre le capitalisme envahissant, contre la pauvreté, lutte contre à peu près toutes les causes d’avant-garde. Ils se promenaient avec le petit livre rouge de Mao. Ils donnaient l’exemple merveilleux de la Russie communiste, de la Chine, de l’Albanie, surtout de l’Albanie. Je le répète, ils étaient très peu nombreux. Dans notre coopérative Olier, ils étaient peut-être une dizaine sur quelques centaines de membres et sur toute la population.
Leur méthode de travail était simple : ils prenaient le contrôle des conseils d’administration et des assemblées générales. Ils étaient des spécialistes des procédures. Amendements, sous-amendements, etc. Les membres, souvent peu instruits, s’y perdaient et abandonnaient. Adieu la prise de parole.
Si je me souviens bien, à peu près toutes les garderies, les comptoirs alimentaires et les comités de citoyens ont implosé. Les ML tenaient à être les seuls porteurs des idées de gauche. Leurs premiers ennemis étaient les plus près de leurs objectifs socio-économiques sans être communistes. J’étais directeur du camp de vacances familiales de la Coopérative Olier et, quand je suis arrivé au camp, en 1979, j’ai réalisé, à mon grand désespoir, que mes sept moniteurs étaient marxistes. Comme toutes les portes en organisation communautaire étaient fermées, j’ai dû travailler dans une scierie pour survivre.
Ils ont tué le mouvement citoyen qui foisonnait à ce moment-là. Leurs idées étaient généreuses, mais ils voulaient les imposer. Des idées de gauche avec des méthodes de droite : dogmatisme, exclusion, contrôle du message. Tout le monde vivait dans l’erreur. Eux, ils ne pouvaient pas faire d’erreurs, ils possédaient la vérité : le marxisme était scientifique. Aucun doute ne pouvait les effleurer, car ils seraient devenus hérétiques. Leurs convictions étaient indéfectibles. Ils n’ont atteint qu’une strate très mince de la population, comme aujourd’hui. Là aussi, les médias ont pratiqué une forte autocensure.
Dans mon titre, j’ai bien écrit qu’il y avait peut-être un peu d’espoir. C’est que le dogmatisme est par nature exclusif. Il y avait plusieurs groupes de marxistes-léninistes. J’en cite quelques-uns : les trotskistes, la Ligue, En Lutte, le PCCML, etc. Ils se haïssaient à mort. Et ils ont fini par disparaître. On n’en parle plus aujourd’hui.
De petits groupes de « wokes » mènent aussi une multitude de batailles de front. Sur la perversion absolue et historique, du mâle blanc, sur le genre, sur le racisme, sur la laïcité, etc. Il y a longtemps que je parle de « dictature des particularismes ». Freud écrivait déjà sur le « narcissisme des petites différences ».
Peut-être que ce foisonnement d’idées généreuses devenues des dogmes va manquer de porteurs. Peut-être que la population va demeurer complètement étrangère à ces débats. Malheureusement, elle doit encore se retrancher dans le silence.
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