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par Leslie Varenne
Pour les non-amateurs d’exploits footballistiques, la coupe du monde à Doha s’annonçait ennuyeuse avec une litanie de polémiques attendues telle que : le choix de ce pays pour organiser l’événement planétaire, la démocratie, les droits de l’homme, le boycott, etc. Mais rien ne s’est déroulé comme prévu, la narrative occidentale a été renvoyée aux oubliettes, la réalité du monde arabe s’est échappée des tribunes et ce sont les supporters qui ont dicté le récit, piégeant tout le monde, occidentaux comme dirigeants des États arabes. Le fleuve est sorti de son lit, si les premières conséquences se font déjà sentir, qui peut prédire jusqu’où s’étendra l’onde de choc ?
« La Palestine a remporté la coupe du monde »
Personne, et les dirigeants qataris en premier, ne s’attendait à ce que ce mondial se transforme en porte-voix de la « rue arabe » et à la défense de la cause palestinienne. Tous les supporters des pays arabes ont fait surgir les emblèmes de la Palestine aux côtés de leur drapeau national, y compris ceux des États qui ont signé les accords d’Abraham en 2020 : Émirats arabes unis, Soudan, Bahreïn, Maroc. Si les médias occidentaux sont restés timorés ou silencieux sur le sujet, le reste de la presse a largement commenté, analysé le phénomène. Alors que le Middle East Monitor titrait : « Avis : la Palestine a remporté la coupe du monde » un journal brésilien jugeait « qu’elle était devenue la trente troisième équipe du sport le plus populaire et le plus massif ». Les chefs des États qui avaient fait fi de leurs opinions publiques sur cette question et avaient normalisé leur relation avec Israël, ou l’envisageait comme l’Arabie saoudite, en ont été pour le moins contrits. Mohamed VI en premier, qui ne s’attendait pas à une telle ferveur de ses concitoyens.
Et ce n’est pas le seul enseignement de ce mondial, il y a eu une liesse arabe devant les exploits du Maroc, une fierté qu’un de leurs pays accueille une coupe aussi bien organisée et la joie de revivre un sentiment de panarabisme que l’on croyait définitivement mort. Les Algériens se réjouissant des victoires de l’équipe marocaine, malgré les tensions politiques entre les deux pays, en a été un des exemples.
Effet coupe du monde ?
La première conséquence ne s’est pas fait attendre, dans la nuit du 30 au 31 décembre, une résolution aux Nations Unies demandant à la Cour internationale de justice de La Haye de déterminer « les conséquences juridiques » de l’occupation israélienne de territoires palestiniens a été adoptée. Avec 87 voix pour, 26 contre, et 53 abstentions, ce vote a déclenché la colère israélienne qui a jugé que « c’était une tâche morale pour les Nations unies ». Tous les pays arabes, y compris ceux qui ont signé les accords d’Abraham, ont voté pour… Après la visite provocatrice du nouveau ministre israélien de la sécurité, Ben Gvir, à la mosquée al-Aqsa, les Émirats arabes unies ont décidé de reporter la venue de Netanyahou à Abou Dhabi et ont demandé une réunion d’urgence au Conseil de Sécurité. Quant au Maroc, il vient de conditionner l’ouverture prévue de son ambassade à Tel-Aviv à la reconnaissance du Sahara occidental, alors qu’Israël a refusé de s’engager sur la question. Pour être juste, il est possible que ces décisions et ce vote eurent été identiques sans le contrecoup de la coupe du monde, mais d’une part ce n’est pas certain, d’autre part, il n’est plus possible pour ces dirigeants de ne pas tenir compte de « l’effet Doha ».
Bouleversement tectonique des plaques au Proche et Moyen-Orient
En outre, cette coupe du monde s’est déroulée au moment où la région est en pleine reconfiguration. Depuis plus d’un an des tentatives de réconciliation ont lieu entre l’Arabie saoudite et l’Iran. Leurs ministres des Affaires étrangères respectifs se sont rencontrés à Bagdad en décembre dernier, une première depuis l’interruption des relations diplomatiques entre les deux pays en 2016. À terme, cela pourrait favoriser le processus de paix au Yémen et le retour de la Syrie au sein de la ligue arabe.
Mais, sans conteste, le mouvement le plus important du moment est la réconciliation syro-turque. La Turquie, qui cherche à normaliser ses relations avec les pays arabes et à sortir du guêpier dans lequel elle s’est mise en 2011, tentait des ouvertures auprès de Damas depuis plus d’un an. Les chefs des renseignements des deux pays se sont rencontrés en septembre. Le 28 décembre, ce sont les deux ministres de la Défense qui se sont entretenus à Moscou en présence de leur homologue russe. Une nouvelle réunion est prévue en janvier entre les trois ministres des Affaires étrangères probablement aux Émirats arabes unis. Une entrevue Bachar al-Assad, Recep Tayyip Erdogan est déjà annoncée, reste à définir la date et le lieu. Le dossier est complexe, avec une montagne de problèmes à résoudre, le sort des Kurdes, celui des milliers de djihadistes d’Idlib, celui les réfugiés syriens en Turquie. Néanmoins, cette réconciliation syro-turque sifflerait la fin d’un conflit qui dure depuis 12 ans. Et cela signerait l’échec des néoconservateurs américains avec leur « projet du grand Moyen-Orient » qui consistait, comme son nom ne l’indique pas, à recomposer la région façon puzzle entre petites entités à base communautaires et/ou confessionnelles.
Et c’est bien de cela dont il a été question à Doha. À travers la défense de la Palestine et dans la liberté que leur conférait les tribunes, les supporters ont fait valoir leur identité arabe, leur solidarité arabe, que l’on croyait défunte et qui en réalité n’était qu’anesthésiée. Cela signifie également et surtout un retour de la prééminence du politique sur le religieux. Cet effet coupe du monde, associé aux bouleversements géopolitiques en cours, pourrait générer des transformations considérables bien au-delà de la région.
source : Iveris
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