Le judaïsme pour les nuls
Un article de Youssef Hindi en exclusivité pour le site E&R !
Sommaire
– Le judaïsme et l’économie
– L’étranger dans le judaïsme
– L’État d’Israël, incarnation des valeurs juives
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Un jeune youtubeur, Tibo InShape, a récemment publié une vidéo qui a suscité intérêt et polémique. « Je deviens juif ?! » est le titre accrocheur de la vidéo en question, où le jeune homme rencontre le rabbin Moshe à la synagogue de la Victoire à Paris pour un entretien durant lequel le sympathique rabbin israélien expose au youtubeur et à son public quelques notions de judaïsme.
Je me propose donc d’examiner certains des propos tenus par le rabbin Moshe afin de vous faire découvrir le judaïsme autrement.
Le judaïsme et l’économie
L’un des premiers thèmes abordés dans la vidéo est celui de la synagogue dans la vie sociale et économique des juifs. Le rabbin Moshe explique qu’il a un réseau de médecins, de banquiers, d’industriels, et qu’il met les fidèles en contact en fonction de leurs besoins. Les spectateurs non juifs apprennent aussi, à leur stupéfaction, que les places dans la synagogue sont payantes, et que, plus l’on est proche de l’arche plus les places sont chères. Chaque siège étant marqué du nom de celui qui la « loue », on découvre dans les premiers rangs celui de David de Rothschild. Ce grand banquier dont Emmanuel Macron dit qu’il est sa « couverture » [1].
La synagogue a toujours été au centre de la vie économique juive. L’économiste allemand, Werner Sombart, qui a consacré une étude très dense à la vie économique des juifs, explique que
« Dans les synagogues on achète aux enchères l’honneur de retirer la Torah du tabernacle et de les replacer, l’honneur de tenir la Torah pendant qu’on l’enroule, le droit de soulever la Torah, l’honneur de dérouler et d’enrouler la Torah. Tous ces honneurs et toutes ces charges sont mises aux enchères et adjugé après un troisième appel au plus offrant. L’argent produit par ses enchères sert à venir en aide aux pauvres de la synagogue. De nos jours, la vente aux enchères est, dans la plupart des synagogues, éliminé du service divin…
Mais on est également étonné d’entendre tant de rabbins discuter, avec une compétence de véritable homme d’affaires, sur une foule de problèmes économiques de la plus grande difficulté et de les voir formuler des principes qui ne sont au fond pas autre chose que des encouragements adresser aux fidèles de consacrer leur vie à l’acquisition de richesse. » [2]
Les synagogues servaient également d’entrepôts de documents commerciaux. On possède par exemple des informations précises dans des documents juifs égyptiens du XIe siècle dits « de la Geniza » (« endroit de mise en dépôt », la pièce d’une synagogue servant d’entrepôt, principalement pour des ouvrages traitant de sujets religieux rédigés en hébreu) : il s’agit d’un ensemble considérable de textes médiévaux émanant de la communauté juive du Vieux Caire, retrouvés au XIXe siècle dans les débarras murés d’une synagogue et dispersés ensuite dans diverses bibliothèques d’Europe et des États-Unis [3]. On y trouve de nombreuses références à des marchands juifs dont l’origine andalouse est révélée par leur nisba (la partie du nom qui identifie la patrilinéarité : « ben » suivi du prénom du père. Ces juifs portaient le nom Al-Andalusî). S’il est, pour chacun de ces personnages, difficile de dire s’il restait ou non en contact direct avec le pays d’origine de sa famille, cette correspondance commerciale évoque un actif réseau de relations entre les diverses parties du monde musulman méditerranéen, y compris Al-Andalus [4].
Les synagogues peuvent ainsi constituer un véritable réseau commercial. En 2009, au Canada, une enquête de la police de Montréal a mis en lumière une « contrebande d’alcool par des synagogues juives d’Outremont qui ne se limite pas seulement à une seule synagogue, mais à tout un réseau de distribution illégal de vins et de divers alcools, selon ce qu’a appris Le Journal de Montréal. Les enquêteurs du SPVM, qui ont saisi 891 litres de divers alcools devant une synagogue de la rue Lajoie le 17 décembre 2009, sont sur la piste d’un réseau qui implique des fournisseurs, des distributeurs, des transporteurs et des importateurs.
Car les synagogues ne vont pas tout bonnement acheter leurs vins dans les succursales de la Régie des alcools de l’Ontario (RAO-LCBO), l’équivalent ontarien de la SAQ. Dans la plupart des cas, selon ce que nous avons pu apprendre, les responsables de cette communauté s’approvisionnent chez des commerçants juifs ontariens autorisés à vendre de l’alcool en Ontario, strictement à des fins religieuses. Le vin vendu par ces distributeurs religieux est réellement moins cher, puisqu’il échappe presque complètement à la structure de prix imposée par la société d’État. » [5]
Revenons à la synagogue de la Victoire. Le rabbin Moshe explique que « dans le judaïsme, il n’y a aucune interdiction de devenir riche, dans la droiture, dans la moralité, dans le respect des lois. Au contraire, quand quelqu’un a réussi, lorsqu’il est riche, c’est pour aider la société. Chaque juif doit donner 10 % de ce qu’il gagne pour participer, pour aider la société. La solidarité, on appelle cela la tsedaka ».
En réalité, le judaïsme encourage l’accumulation de biens et glorifie le riche qui est assimilé au sage. On trouve ainsi inscrit dans la Bible hébraïque :
« Le sage a de longs jours dans sa droite, des richesses et de la gloire dans sa gauche. » (Proverbes 3, 16)
« Avec moi sont les richesses et la gloire, les biens durables et la justice. » (Proverbes 8, 18)
« La richesse est une couronne pour le sage. » (Proverbes 14, 24)
« Il y a grande abondance dans la maison du juste ; mais il y a du trouble dans le revenu du méchant. » (Proverbes 15, 6)
« Le fruit de l’humilité et de la crainte de Yahvé, c’est la richesse, la gloire de la vie. » (Proverbes 22, 4)
Et le Talmud va plus loin encore :
« Rab Jahada enseignait : Qu’il n’y ait pas de nécessiteux au-dessous de toi, dit le Deutéronome (15, 4). Mais que ce que tu possèdes dépasse toujours ce que possèdent tous les autres hommes. » (Baba Mez., 30b)
« Celui qui tient la Torah étant pauvre, la tiendra un jour dans la richesse. » (Abot, 4. 9)
« Il y a sept ornements qui sont un ornement pour le juste et pour le monde ; un de ces sept attributs est la richesse. » (Abot, 7. 8,9)
« Que l’homme adresse ses prières à celui qui dispose des richesses et des biens… car, à la vérité, richesses et biens ne viennent pas du commerce, mais sont répartis selon les mérites. » (Kidd., 82a)
« On lit dans l’Exode (2,3) : « Elle (la mère de Moïse) prit alors un coffret de joncs. » Pourquoi des joncs ? Rabbi Eléazar dit : on peut en déduire que les justes (les pieux) aiment leur argent plus que leur corps. » (Sota 12a)
« Rabba honorait les riches ; R. Aquiba honorait également les riches. » (Erub, 86a)
Werner Sombart remet cette praxis judaïque dans la perspective de l’histoire économique :
Il serait on ne peut plus intéressant de réunir tous les passages du Talmud dans lesquels sont formulées les principes qui, de nos jours encore, régissent l’activité commerciale et président à l’acquisition de richesse (il est à noter que beaucoup de rabbins sont eux-mêmes de grands brasseurs d’affaires). Et voici encore ce qu’a dit Rabbi Jizchak, lisons-nous dans Baba Mezia (42a) : « L’homme doit toujours disposer de son argent. » Le même Rabbi Jizchak donnait encore ce bon conseil : tout homme doit faire de sa fortune trois parts : consacrer une part à l’achat de terrains, une autre part à l’achat de marchandises, et garder la troisième part de façon à pouvoir toujours en disposer. Puis R. Jizchak ajoutait : la bénédiction ne règne que là où les objets sont soustraits à la vue ; car il est écrit : « L’Éternel te dispensera sa bénédiction dans tes greniers et tes entrepôts. »
On lit dans Pesahim (113a) : « Rabh parla à son fils Ajba : Viens, je vais maintenant t’enseigner des choses profanes : vends tes marchandises avant d’avoir secoué la poussière de tes semelles (il prêche donc le rapide écoulement des affaires)…
Ouvre ta bouche d’abord, défais ton sac de blé ensuite… Sache qu’un tiens vaut mieux que deux tu auras… etc. » [6]
Les plus considérés, les plus riches parmi les Juifs étaient aussi les meilleurs connaisseurs du Talmud. L’étude du Talmud a été, pendant des siècles, le pont qui conduisait aux honneurs, à la richesse, à la célébrité parmi les Juifs. Les plus grands connaisseurs du Talmud étaient en même temps les financiers, les médecins, les joailliers, les commerçants les plus habiles. Nous savons que beaucoup de ministres des finances, de banquiers, de médecins de la cour espagnols étaient des gens très pieux, qui consacraient à l’étude des Saintes Écritures, en plus du Sabbat, deux nuits par semaine… » [7]
L’étranger dans le judaïsme
Vient ensuite la question relative au rapport entre juifs et non-juifs dans le judaïsme. Le rabbin Moshe explique au youtubeur que « quelqu’un qui n’est pas juif, qui fait du bien, sera aussi au paradis. C’est la raison pour laquelle on n’incite pas les gens à se convertir ».
Ce n’est pas la raison fondamentale pour laquelle les juifs n’appellent pas à la conversion au judaïsme. La raison en est que le cette religion porte en elle une conception raciale depuis la haute Antiquité. N’est juif que le descendant des Hébreux. Évidemment, l’écrasante majorité des juifs ne descendent pas d’Abraham et de Jacob, car des vagues de conversion au judaïsme ont eu lieu à certaines périodes historique au Maghreb, en Khazarie, à Rome, en Arabie… Mais les juifs croyants sont convaincus d’être les descendants des Hébreux en ligne directe. Aujourd’hui encore, selon le judaïsme, est juif celui dont la mère est juive.
Allons à la Bible hébraïque pour en savoir plus. Au retour de l’exil à Babylone, les Judéens, revenus (pour une partie d’entre eux) en Judée dans la deuxième moitié du VIe av. J.-C., furent mis sous l’autorité du grand prêtre lévite Esdras à qui l’empereur perse avait donné tout pouvoir pour appliquer la Torah en Judée, aux côté de Néhémie, échanson de l’empereur, nommé gouverneur de Judée (Néhémie 8, 9).
La première mesure que prit Esdras, en tant que chef religieux, fut l’interdiction stricte de l’exogamie (mariage mixte). Dans son livre, il raconte le désespoir dans lequel il fut plongé en apprenant que les Judéens s’étaient mélangés aux peuples voisins :
« Les chefs du peuple se présentèrent à moi et dirent : « Le peuple, Israélites, prêtres et Lévites, ne s’est pas tenu séparé des populations de ces pays, en raison des abominations propres aux Cananéens, Héthéens, Phérézéens, Jébuséens, Ammonites, Moabites, Égyptiens et Amorréens ; car ils ont pris parmi leurs filles des femmes pour eux-mêmes et pour leurs fils, et ainsi ceux de la race sainte se sont mélangés avec les peuplades de ces pays ; les seigneurs et les chefs ont été les premiers à prêter la main à cette félonie. » Lorsque j’appris ce fait, je déchirai mon vêtement et mon manteau, je m’arrachai des cheveux de la tête et de la barbe, et m’assis là, plongé dans la stupeur. » (Esdras 9, 1-3)
Pour remédier à cette abomination, ils prirent une mesure draconienne :
« Chekhania, fils de Yehiël, des enfants d’Elam, prit la parole et dit à Esdras : « Nous, nous avons commis une infidélité envers notre Dieu en épousant des femmes étrangères, appartenant aux populations de ce pays ; mais il est encore de l’espoir pour Israël en cette occurrence. Oui, dès maintenant, contractons avec notre Dieu l’engagement de renvoyer toutes ces femmes et les enfants nés d’elles, conformément au conseil de mon seigneur et de ceux qui sont zélés pour le commandement de notre Dieu…
Esdras se mit debout et fit jurer aux chefs des prêtres, des Lévites, et à tout Israël d’agir de la sorte, et ils jurèrent. » (Esdras 10, 2-5)
Puis Esdras fit procéder à l’expulsion des femmes étrangères et de leurs enfants (Esdras 10, 17).
Dans le livre de Néhémie, il est vraisemblablement fait allusion à cette purification ethnique :
« En ce temps-là, on lut dans le livre de Moïse en présence du peuple, et l’on y trouva écrit que ni Ammonites ni Moabites ne seraient jamais admis dans l’assemblée de Dieu ; pour n’avoir pas offert le pain et l’eau aux enfants d’Israël et pour avoir stipendié contre eux Balaam, à l’effet de les maudire, malédiction que notre Dieu transforma en bénédiction. Lorsqu’on eut entendu la loi, on élimina d’Israël tout élément hétérogène. » (Néhémie 13, 1-3)
Mais le rabbin Moshe a montré au youtubeur l’inscription au-dessus de la porte de l’entrée de la synagogue : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », tiré du Lévitique (19, 18), troisième livre de la Torah. Et le rabbin de la synagogue de la Victoire d’ajouter que ce passage biblique est la preuve de « l’universalisme juif ». Vérifions la véracité de cette assertion.
Le bibliste et hébraïsant Jean Soler a expliqué que cette loi énoncée dans le Lévitique ne concerne pas l’Humanité mais uniquement les Juifs. « Dans le verset rendu traditionnellement ainsi en français : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même », le mot « prochain » signifie « personne, être humain considéré comme un semblable », tout homme en tant qu’homme, autrui. Or, le terme hébreu qu’il traduit, réa, désigne le « compagnon ». Dans les passages où Yahvé prescrit de ne commettre aucune injustice à son égard, réa a pour synonymes « compatriote », « frère » et dans ce verset même (Lévitique 19, 18) « fils de ton peuple » » [8].
Le rabbin Moshe rappelle aussi ce passage de la Torah, « Tu aimeras l’étranger comme toi-même » (Lévitique 19, 34). Il s’agit encore d’une erreur de traduction. Le terme rendu ici par « étranger », guer, désigne exclusivement l’étranger qui travaille pour des Hébreux. Jean Soler traduit ainsi ce passage : « Vous devez traiter avec bienveillance les étrangers qui travaillent pour vous, comme si c’étaient des compatriotes, en vous souvenant que vos ancêtres ont été eux aussi des travailleurs immigrés en Égypte. »
Quand la Bible hébraïque parle de l’étranger au sens propre, nous dit Jean Soler, « le non-Hébreu qui réside ailleurs, elle emploie un autre mot, nokri, et l’attitude prescrite envers lui est tout autre : il est interdit d’épouser sa fille ou son fils, il est interdit de partager ses repas, il est interdit de l’admettre au Temple de Yahvé » [9].
L’un des plus grands biblistes au monde, Richard E. Friedman, a mis en évidence que seules les sources lévites de la Torah contiennent l’ordre de bien traiter l’étranger, comme dans ce passage :
« Une seule torah (loi) régira l’indigène et l’étranger qui vit au milieu de vous. » (Exode 12, 49)
L’insistance des Lévites sur le rapport aux étrangers s’explique par le fait qu’ils l’ont été eux-mêmes, en Égypte et en Israël (parmi les autres tribus qui n’ont, elles, jamais été en Égypte) à leur arrivée.
Dans les trois sources lévites de la Torah, la raison qui motive cette bienveillance vis-à-vis de l’étranger est la même : « Parce que vous avez été des étrangers en Égypte » (Exode 22 :20 ; Lévitique 19 : 33-34 ; Deutéronome 10 : 19) [10].
C’est ce qui explique l’importance pour les Lévites de la question de la bienveillance vis-à-vis de l’étranger. Seule la source non lévite de la Torah ne mentionne jamais ce commandement.
Quant au verset « Ma maison sera une maison de prière pour tous les peuples » (Ésaïe 56,7), il n’est pas d’Ésaïe, mais d’un anonyme qui a vécu après l’Exil à Babylone, plusieurs siècles après le prophète… Cette vue, universaliste, n’a pas été suivie. C’est l’enseignement d’Ézéchiel, le prophète de l’Exil, qui a prévalu au sujet du Temple détruit par les Babyloniens qu’il faudra reconstruire : « Ainsi parle le seigneur Yahvé : « Aucun étranger incirconcis de cœur et incirconcis de chair n’entrera dans mon sanctuaire, aucun des étrangers qui sont au milieu des fils d’Israël » (Ézéchiel 44,9). » [11]
C’est peut-être pour cela que vous n’êtes jamais entrés dans une synagogue, dont les portes sont toujours fermées, contrairement aux églises et mosquées qui sont ouvertes à tous.
L’État d’Israël, incarnation des valeurs juives
Quand on parle du rapport des juifs aux étrangers, l’on ne peut éviter la question palestinienne. Si le judaïsme est une religion universaliste qui prône la fraternité avec les autres peuples, comment expliquer le traitement infligé aux Palestiniens ? La réponse est dans les textes fondateurs du judaïsme et ses grands maîtres.
La violence contre les non-juifs est exprimée de la façon la plus virulente dans la source la plus tardive de la Torah, à savoir la source deutéronomiste [12], rédigée juste avant et durant (et peut-être aussi après) l’exil à Babylone. Ce sont des passages qui racontent l’histoire mythifiée de la conquête de la Palestine, après la mort de Moïse, par Josué. Cette histoire de conquête démarre à la fin du Deutéronome et se prolonge dans le Livre de Josué, vraisemblablement rédigé par le même auteur ou par le même groupe de rédacteurs.
« Yahvé, ton Dieu, marche lui-même devant toi ; c’est lui qui anéantira ces peuples devant toi pour que tu les dépossèdes. Josué sera ton guide, comme Yahvé l’a déclaré. Et Yahvé les traitera comme il a traité Sihôn et Og, rois des Amorréens, et leur pays, qu’il a condamné à la ruine. Il mettra ces peuples à votre merci ; et vous procéderez à leur égard, en tout, selon l’ordre que je vous ai donné. » (Deutéronome 31, 3-4)
« Et l’on appliqua l’anathème (extermination physique) à tout ce qui était dans la ville ; hommes et femmes, enfants et vieillards, jusqu’aux bœufs, aux brebis et aux ânes, tout périt par l’épée. » (Josué 6, 21)
Moïse Maïmonide (1135-1204) – une des plus grandes autorités religieuses de l’histoire juive et auteur du premier code de la loi talmudique, la Mishneh Torah, laquelle demeure une référence religieuse – écrivait que, le jour venu, il faudrait exterminer tous les habitants de la Terre promise ; le commandement : « Ne laisser survivre aucun Cananéen », dit-il, est « valable en tout temps » [13].
Toujours d’après Maïmonide, le Juif qui tue délibérément un goy (non-juif) n’est coupable que d’un péché contre les lois du Ciel, non punissable par un tribunal [14]. Quant à causer indirectement la mort d’un goy, dit la loi juive, ce n’est pas « péché du tout » [15].
Ces deux dernières règles s’appliquent même si la victime est ger toshav, c’est-à-dire un « étranger résidant » qui s’est engagé, devant trois témoins juifs, à observer les « sept préceptes noachiques » (les commandements donnés à Noé qui, selon le Talmud, concernent les non-juifs) [16].
Ainsi, l’un des plus importants commentateurs du Shulhan ’Arukh – abrégé de la loi talmudique faisant autorité, rédigé par Joseph Caro à la fin du XVIe siècle – explique que s’agissant d’un non-juif, « l’on ne doit pas lever la main pour lui nuire, mais on peut lui nuire indirectement, par exemple en enlevant une échelle quand il est tombé dans un trou… il n’y a pas d’interdiction ici, puisque cela n’a pas été fait directement » [17]. Toutefois, ce commentateur insiste sur le fait qu’un acte provoquant indirectement la mort d’un non-juif est interdit… si cela risque de répandre l’hostilité envers les juifs [18].
Ces lois religieuses exercent évidemment une influence sur la politique de l’État hébreu. Comme l’a soulevé Israël Shahak, si le code pénal israélien ne fait apparemment aucune distinction entre juif et non-juif, les rabbins orthodoxes la font, et s’inspirent de la Halakhah (loi juive) pour conseiller leurs fidèles, et notamment ceux qui servent dans l’armée. L’interdiction de tuer un non-juif délibérément ne s’applique qu’aux « non-juifs avec qui nous (juifs) ne sommes pas en guerre ». De nombreux commentateurs rabbiniques du passé sont donc arrivés à la conclusion qu’en temps de guerre, tous les non-juifs appartenant à une population ennemie peuvent, ou même doivent être tués, conformément au Deutéronome et au Livre de Josué.
Ainsi, Rabbi Sifteï Kohen (milieu du XVIIe siècle), commentant Shulhan ’Arukh, « loreh De’ah » 158, explique :
« Mais en temps de guerre la coutume était de les tuer de sa propre main, car il est dit : Le meilleur des gentils (non-juifs) – tuez-le ! » [19]
Quant aux non-juifs avec qui les juifs ne sont pas en guerre, écrit Maïmonide, « il ne faut pas causer leur mort, mais il est interdit de les sauver s’ils sont en danger de mort ; si par exemple, on voit l’un d’eux tomber dans la mer, il ne faut pas se porter à son secours, car il est écrit : « et tu ne te mettras pas contre le sang de ton prochain » (Lévitique 19, 16) » [20].
L’illustre rabbin et médecin (Maïmonide fut le médecin personnel de Saladin), écrira ailleurs qu’il est « interdit de guérir un goy même contre paiement… cependant si vous le craignez, ou que vous redoutiez son hostilité, soignez-le contre paiement, mais il est interdit de le faire sans rétribution » [21].
À la suite de Maïmonide, les autres œuvres faisant autorité reprendront sa doctrine – sur l’interdiction de sauver la vie à un goy et la suspension de cette interdiction en cas de possibles réactions hostiles –, notamment, au XIVe siècle, dans l’Arba’ah Turim, ainsi que dans le Beït Iosef et le Shulhan ’Arukh [22] de Joseph Caro. Le Beït Iosef ajoute, citant Maïmonide : « Et il est permis de faire l’essai d’un remède sur un païen, si cela sert à quelque chose », principe que reprend aussi le célèbre rabbin Moses Isserles [23].
Nous voyons là que Maïmonide ne fait que prolonger le Talmud qui ordonne, au sujet des goyim avec lesquels les juifs ne sont pas en guerre : « Quant aux goyim, il ne faut ni les retirer d’un puits ni les pousser dedans » (Traité Avodah Zarah, p. 26b).
Depuis 1973, cette doctrine est propagée publiquement à l’intention des militaires israéliens religieux. La première de ces exhortations officielles apparaît dans une brochure éditée par le commandement Région centre de l’armée israélienne, dont le domaine d’action comprend la Cisjordanie. Dans le petit livre, le grand rabbin de ce corps d’armée écrit :
« Quand, au cours d’une guerre, ou lors d’une poursuite armée ou d’un raid, nos forces se trouvent devant des civils dont on ne peut être sûr qu’ils ne nous nuiront pas, ces civils, selon la Halakhah, peuvent et même doivent être tués… En aucun cas l’on ne peut faire confiance à un Arabe, même s’il a l’air civilisé… En guerre, lorsque nos troupes engagent un assaut final, il leur est permis et ordonné par la Halakhah de tuer même des civils bons, c’est-à-dire les civils qui se présentent comme tels. » [24]
Israël Shahak souligne que « cette doctrine de la Halakhah sur le meurtre est complètement contraire, en principe, non seulement au droit pénal israélien mais aussi aux règlements militaires officiels. Il n’empêche qu’en pratique, elle exerce certainement une influence sur l’administration de la justice, notamment par les autorités militaires. De fait, chaque fois que, dans un contexte militaire ou paramilitaire, des ressortissants israéliens ont tué délibérément des Arabes non combattants – y compris dans le cas de massacres comme celui de Kafr Qasim en 1956 –, les meurtriers, soit n’ont pas été inquiétés, soit ont été condamnés à des peines symboliques, ou ont obtenu d’énormes remises de peine, réduisant celle-ci à néant… Des personnes coupables de tels crimes se sont même fréquemment élevées jusqu’aux plus hautes fonctions publiques » [25].
C’est le cas par exemple de Shmu’el Lahis, responsable du massacre de 50 à 75 paysans arabes enfermés dans une mosquée après la conquête de leur village par l’armée israélienne lors de la guerre de 1948-1949. Il subit un procès pour la forme, puis fut entièrement amnistié grâce à l’intercession de Ben Gourion. Lahis devint un avocat respecté et, à la fin des années 70, fut nommé directeur général de l’Agence juive (qui est, de fait, la direction du mouvement sioniste).
Certains me rétorqueront que cette introduction au judaïsme est quelque peu abrupte et courte, voire injuste pour la religion juive compte tenu de sa richesse ; et ils ajouteront qu’il faudrait comparer ces préceptes du judaïsme à ceux du christianisme et surtout à ceux de l’islam. Je leur répondrai que j’y ai consacré plusieurs ouvrages qui ne demandent qu’a être discutés avec le grand rabbin Moshe ou le président du CRIF…
Youssef Hindi
Source: Lire l'article complet de Égalité et Réconciliation