Quelques jours avant Noël, Paris Vox donnait la parole à Camille Mordelynch pour revenir sur le message que Jésus-Christ est venu porter aux hommes. Nous remercions l’équipe de ce média d’information francilien pour cette occasion de faire découvrir le travail de notre rédactrice.
Paris Vox : La communauté des biens semble être la règle chez les premiers chrétiens. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
Camille Mordelynch : Concrètement,la mise en commun des biens devait se passer comme l’indique les Actes des Apôtres : « Tous les croyants ensemble mettaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens et en partageaient le prix entre tous selon les besoins de chacun. »(Ac. 2, 44-45), ou encore : « Tous ceux qui possédaient des terres et des maisons, les vendaient, apportaient le prix de la vente, et le déposaient aux pieds des apôtres. On distribuait alors à chacun selon ses besoins. »(Ac. 4, 34-35). Il semble donc que les croyants vendaient leurs biens, et que l’argent qu’ils en tiraient était remis aux apôtres pour être redistribué entre tous, suggérant l’existence d’une caisse commune. Le récit des Actes illustre cette règle communautaire avec l’exemple de Barnabé : « Barnabé ce qui veut dire fils d’encouragement, lévite originaire de Chypre, possédait un champ ; il le vendit, apporta l’argent et le déposa aux pieds des apôtres », et son contre-exemple, celui d’Ananie et Saphire » (Ac. 5, 1-11), qui retiennent une part des bénéfices de la vente de leurs biens pour leur propre compte, et qui paieront de leur vie cet affront.
La mise en commun des biens pratiquée par les premiers chrétiens est corroborée par des textes extra-canoniques du 1er siècle comme celui de la Didaché, l’enseignement des apôtres, qui ordonne la dépossession des ressources matérielles au profit d’un usage commun : « Ne repousse pas l’indigent, mets tout en commun avec ton frère et tu ne diras pas que cela est à toi, car si vous êtes en communion pour ce qui est immortel combien plus pour les biens périssables ? » ; mais également par des sources grecques qui relèvent et raillent ce trait distinctif, comme dans le récit de Lucien de Samosate, auteur du IIe siècle : « Aussi méprisaient-ils pareillement tous les biens et les tiennent-ils pour communs à tous, acceptant avec fou une telle doctrine sans exiger une quelconque preuve » (Lucien de Samosate, Sur la mort de Peregrinus, 13). Concrètement donc, la communauté de biens de l’Église primitive se fondait sur le refus de la propriété privée, la pauvreté volontaire, et l’usage collectif des biens.
Est-ce que le refus de l’enrichissement et de la possession est encore possible aujourd’hui ?
Il faut, de toute évidence, s’écarter de cette irrémédiable logique d’appropriation intéressée de tout ce qui nous entoure, avant que nous ne finissions nous-même complètement réifiés sous cette détermination. Notre quête obsessionnelle de pouvoir, sur les choses et sur les autres, et cette poursuite constante de la jouissance consumériste n’a accouché que d’un homme dés-idéalisé, dénaturalisé, même déshumanisé. À vouloir tout posséder, à désirer l’accumulation illimitée, nous avons fini creux et atomisés ; et pourtant, on sent que quelque chose en nous va mal, comme un vestige indomptable qui résiste : une flamme d’humanité qui veut un jouir véritablement humain, débarrassé de toutes ces pathologies de l’avoir. Cette humanité, qui veut se reconnecter à l’autre par l’amour, à l’absolu par la foi (et on voit nettement ce retour à la spiritualité aujourd’hui), qui a soif d’immatériel, d’inconditionnel, de vivant, est notre espoir : elle est le signe que le capitalisme n’a pas tout aspiré, n’a pas tout rendu inerte. Elle nous prouve qu’on peut aller à rebours de cette tyrannie de l’intérêt égoïste marchand, et qu’il est même nécessaire de le faire, autant que faire se peut concrètement.
Vous rappelez que les pauvres sont les « favoris » de l’Église. Les Gilets jaunes, pas assez pauvres pour être soutenus par l’Église et ses fidèles ?
Malheureusement, les catholiques ont depuis un moment abandonné tout sentiment de lutte. J’ai pu rencontrer durant les premiers actes, un prêtre, ainsi que certains chrétiens affichés comme tels ; mais il est clair que globalement l’Église s’est acoquinée avec une spiritualité aux antipodes de celle des premiers chrétiens, adoptée par des fidèles partisans d’une aristocratie libérale et conservatrice. De fait, toute cette frange du catholicisme n’a cessé de s’éloigner du peuple et de ses revendications, jusqu’à en être définitivement séparée par un abyme sociologique. Une grande partie des catholiques se sont tenus à l’écart à la fois de la violence réelle subie par les travailleurs de la classe moyenne, puis de celle qui, en réponse, s’est exprimée dans le cadre de l’affrontement et qu’ils ont fustigée presque par réflexe, insondable pour eux. Les murs des églises sont devenus des murailles étanches, et comme celles des palais de nos élites, sourdes aux cris des classes populaires (bien que paradoxalement elles laissent une place aux miséreux, comme les migrants), hermétiques aux enjeux sociaux actuels. Cela dit, qu’importe ce qu’en pense l’Église ou la bourgeoisie catholique tant qu’on a l’assurance, auprès du peuple, de se faire disciples du Christ en poursuivant un combat qu’il avait lui-même initié.
En pleine période de l’Avent et à l’approche de Noël, quelle leçons tirer de l’observation des Chrétiens des origines et de leur mode de vie ?
Pour les chrétiens, la leçon qui me paraît essentielle, et la plus exigeante de nos jours, et celle qui rappelle que le message des Évangiles n’est pas simplement une spiritualité, mais un acte de foi destiné à être vécu. C’est ce que les premiers chrétiens nous ont appris : on doit vivre l’Évangile. À leur époque, les Écritures ne sont pas rédigées : il ne s’agit donc pas seulement d’être disciples du Christ en esprit, se contentant d’une foi doctrinale, mais de l’être en foi effective et concrète, en appliquant son enseignement, en imitant son exemple. Il faut rappeler ce que les premiers chrétiens avaient parfaitement compris : l’Évangile est un don, une grâce, mais qui est du même coup exigence, et charge de témoignage. C’est l’injonction du Christ s’adressant au jeune homme riche qui veut le suivre :« Une seule chose te manque : va, vends ce que tu as et donne-le aux pauvres ; alors tu auras un trésor au ciel. Puis viens, suis-moi. » ; ce n’est pas seulement en parole qu’il faut suivre le Christ, mais en actes ! Plus globalement, les chrétiens des origines nous enseignent indéniablement la prévalence du commun sur le privé. Faire communauté le plus unitairement possible, c’est faire communion fraternellement, par le don de soi, l’abandon des pulsions névrotiques d’appropriation matérielle, au profit de l’amour de tous en Dieu.
Nous vous laissons conclure librement …
Jésus a dit « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée », celle qui tranche le monde en deux factions antagonistes : celle de l’avoir et de la soumission à Mammon, commandée par la course à l’intérêt individuel, au pouvoir, à la domination des êtres entre eux et sur l’ensemble de la Création chosifiée ; et celle, incompatible avec la première, qui est rayonnement de l’être, chemin de Vérité vers l’avènement de la Vie, puissance d’amour gratuit et désintéressé. La pratique communautaire de l’Église primitive, suspendue à la spiritualité du christianisme primitif, est une réponse contestataire apportée au monde de l’avoir dans lequel baignent nos sociétés, et nous invite à suivre la voie initiée il y a près de 2000 ans : avoir moins, pour être davantage.
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